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Soumeylou Boubèye Maïga : « Il faut que nous ayons une armée qui incarne l’identité du pays »
Publié le mercredi 18 novembre 2015  |  Sahelien.com
Ministre
© aBamako.com par A.S
Ministre de la Défense et des Anciens Combattants, Soumeylou Boubèye Maïga




Il a été à la tête des services de renseignements, de 1993 à 2000, ministre de la Défense d’Alpha Oumar Konaré, chef de la diplomatie sous Amadou Toumani Touré. De septembre 2013 à mai 2014, Soumeylou Boubèye Maïga, est revenu à la tête du ministère de la Défense et des Anciens combattants. Dans une interview accordée à sahelien.com, l’expert des questions sécuritaires au Sahel, revient sur les évènements qui ont marqué son passage au ministère de la Défense, les maux dont souffre, l’armée malienne et les solutions pour la remettre sur pied, l’acquisition des équipements militaires, le trafic de drogue et la crise sécuritaire, etc.
Sahelien.com : Vous revenez du forum sur la paix et la sécurité à Dakar, quelles sont les résolutions de ce forum ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Le forum a fait l’état des lieux de la sécurité dans le Sahel, d’une manière générale. On a parlé du terrorisme et de ses multiples formes, et aussi du financement des actions de lutte contre le terrorisme, notamment Boko Haram. On a fait le point sur les efforts qui sont faits au niveau du continent, pour voir si ce sont des efforts adéquats et adaptés. Mais l’idée générale du forum est, que les Africains puissent s’approprier la réflexion stratégique sur les questions de sécurité sur le continent, pour que ça ne soit pas seulement, l’apanage des structures et des personnes étrangères au continent. Le forum a fait des recommandations dont la première, est de mutualiser les capacités des pays qui sont concernés par la même menace, ensuite le développement par ces pays d’un certain nombre d’efforts spécifiques, surtout sur le renforcement de leurs capacités à se renseigner et, à gérer la menace sur laquelle ils s’appuient. Et enfin, plus de coopération internationale, mais une coopération dans laquelle les Africains devraient progressivement occuper, une place de plus en plus intéressante, puisque c’est chez eux qu’il y a le théâtre des opérations.
Sahelien.com : Selon l’accord de paix et de réconciliation, il est prévu que l’armée malienne retourne progressivement dans toutes les localités du pays. Pensez-vous qu’elle puisse désormais collaborer avec les ex-rebelles ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Dès lors que nous avons signé un accord, nous sommes partenaires, il faut que les différentes parties puissent agir dans un esprit de partenariat. Dans tous les cas, ce sont des Maliens. Il y en a parmi eux qui ont un savoir-faire certain, dont l’Etat ne devrait pas se passer. Maintenant, il faut que tout cela se passe dans un esprit de confiance réciproque et, se mettre dans la tête, que forcément ça va se faire sur la durée. Vous savez, quand les gens se sont combattus surtout d’une certaine manière et, que nous ne sommes pas à la première expérience, on peut avoir des problèmes de confiance, mais ça devrait marcher sur la durée.
Sahelien.com : De quoi souffre l’armée malienne aujourd’hui ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Le premier problème que l’armée a eu, c’est que depuis les années 89-90, que la rébellion a éclaté de nouveau, nous sommes rentrés dans un processus de négociation, discussion. Les différents accords s’étaient traduits par un allégement progressif des dispositifs de l’Etat dans le nord, surtout son dispositif sécuritaire. L’Etat était amené à abandonner certains de ses postes qu’il occupait, lesquels postes ont été aussitôt investis par les groupes armés, ça a laissé un vide dont ils ont profité. Aussi, l’armée s’est trouvée déployée dans des zones où, l’Etat n’avait pas la capacité de l’entretenir et de la faire fonctionner. On avait des unités totalement isolées ici et là. Dans un contexte de paix, ça peut se comprendre, mais dans un contexte de conflit, ça pose de gros problèmes. Par exemple, vous pouviez trouver une unité de cinq à dix personnes, qui sont sous-équipées et démotivées. Nous avions une présence qui ne nous permettait pas de faire face militairement. Au fil des ans, l’Etat a reculé progressivement jusqu’à avoir une présence militaire qui n’en était pas une en réalité. Et nous voilà présentement à la case départ où, il faut encore reprendre le processus de réoccupation, mais dans un contexte de rapport de force, qui n’est pas totalement maitrisé et n’est pas favorable à l’Etat.
Sahelien.com : Que proposez-vous pour remettre l’armée sur pied ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Il faut que nous ayons une armée, qui de manière consciente, incarne l’identité du pays, sa volonté. Une armée au sein de laquelle, la dimension citoyenne et patriotique est une partie importante de la formation psychologique des gens. Il faut que nous ayons une armée qui s’entraîne. Les coûts de fonctionnement de l’armée sont tels que, nous avons des soldats qui ne s’entraînent pas toujours, parce qu’un soldat doit tirer quand même 200 à 300 cartouches dans l’année. Les artilleurs, il leur faut s’exercer. Il faut savoir qu’un obus BM-21, coûte un million et demi de francs CFA. Normalement, il faut que ceux qui sont chargés de l’artillerie, puissent balancer une dizaine d’obus dans l’année, pour se faire la main, être dans les conditions. Et si, vous avez plusieurs unités, tout cela à un coût. Malheureusement sur l’ensemble de ces actions ou activités, nous avons souvent des militaires qui vont sur le terrain, sans avoir eu à s’exercer, sans avoir eu à bien maitriser leurs outils et à intégrer l’utilisation de ces outils, dans une sorte de doctrine militaire sur le terrain. Nous devons renforcer le niveau de l’encadrement des soldats surtout, ce qu’on appelle la hiérarchie de contact, c’est-à-dire les sous-officiers, les officiers subalternes, parce que souvent sur le terrain, ça pose des grands problèmes. Et ce qui est valable pour les soldats, l’est aussi pour les officiers, parce que nous avons beaucoup d’officiers, quand ils sortent de l’EMIA (Ecole militaire interarmes, ndlr) de Koulikoro, ils n’ont pas l’occasion de se spécialiser dans les branches dans lesquelles, ils doivent servir : l’infanterie, les blindés, l’artillerie, etc. Ils se retrouvent dans des situations, où ils n’ont pas la connaissance pratique suffisante pour pouvoir maîtriser à la fois, les équipements et intégrer ces équipements dans une doctrine d’ensemble. Ce déficit-là, affaiblit leur capacité à commander les hommes, parce que si les hommes se rendent compte que leur encadrement ne maitrise pas techniquement l’outil de travail, ça pose problème. Il y a un ensemble de déficit, qu’il faut corriger et avoir une armée qui se professionnalise, où c’est vraiment un métier. Il faut que le métier de militaire devienne un vrai métier et, que nous ayons des militaires ou une armée qui, sur le plan strictement professionnel a une grande maîtrise. La dimension patriotique dont j’ai parlé, même si on a l’impression qu’elle fait défaut, c’est dû au manque de formation. C’est dans la formation qu’on cultive l’endurance, la résistance, un certain état d’esprit.
Sahelien.com : Un soldat a besoin de combien de temps pour se former ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Théoriquement, quand les soldats sont recrutés, ils ont entre 4 et 6 mois de formation commune de base et, puis après ils se spécialisent. Le problème, c’est que si vous n’avez pas les ressources qu’il faut, vous avez des soldats qui peuvent faire une bonne partie de leur carrière, ils n’ont jamais tiré un coup de fusil.
Sahelien.com : Qu’en est-il de l’acquisition des équipements militaires dont le Bureau du vérificateur général vous accusait à l’époque ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Je pense qu’au fil du temps, tout le monde a vu qu’il y avait beaucoup d’affirmations gratuites, d’accusations infondées dans ce qui a été dit. Le problème de l’équipement de l’armée, de sa dotation en matériels conséquents se pose toujours. Quand nous venions aux affaires en septembre 2013, c’était dans le contexte d’une armée qui avait perdu la quasi-totalité de son équipement dans le nord, donc il fallait tout reprendre et, dans un contexte où l’armée était toujours en opération, jusqu’à présent d’ailleurs, c’est-à-dire qu’on a un théâtre qui va de Nara à Tessalit, de Tenenkou à Tombouctou. C’est un théâtre de plus de 60% du territoire, sur lequel il faut déployer des hommes, les transporter, leur donner à boire, à manger, les habiller. Je ne parle pas de l’équipement strictement militaire, rien que la logistique, c’est quand même 70% environ des charges que l’Etat doit supporter parce que c’est en plus dans des zones où il n’y a pas d’infrastructure, il n’y a absolument rien. Je vous donne un exemple : comme nous avions à peu près 9000 hommes sur le terrain, même si vous devez donner un litre d’eau par jour et par hommes, il faut aller les chercher, il faut être capable de transporter de l’eau, faire des forages ainsi de suite, donc tout ce problème se pose toujours. Et je suis persuadé que le Mali, comme tout Etat qui se respecte, devrait consacrer une partie substantielle de ses ressources propres à entretenir son armée, ce qui est le pilier central de l’Etat, parce qu’un Etat qui n’a pas d’armée n’est pas viable. Vous avez vu en 2012, en une demi-journée, tout l’Etat est tombé, parce qu’on n’avait pas de force de sécurité et de défense. C’est un peu cela, et puis on était dans un contexte où les gens ont voulu mélanger beaucoup de problèmes.
Sahelien.com : Comment s’est passée la commande des matériels?
Soumeylou Boubèye Maïga : On a identifié les équipements dont nous avions besoin. Il se trouvait que l’Etat n’avait pas les ressources pour y faire face alors que c’était des équipements qu’il fallait impérativement avoir. Soit les entreprises auprès desquelles on devait s’équiper, nous les donnaient à crédit, soit on trouvait les financements par d’autres voies mais toujours à crédit. Il se trouve que les entreprises françaises auprès desquelles, on devait s’équiper ne pouvaient pas nous faire des crédits au-delà de 18 mois. Il fallait trouver une formule par laquelle, l’Etat pouvait régler mais sur deux ou trois budgets à peu près. C’est là, que les relations du président ont permis de trouver, quelqu’un qui pouvait mobiliser auprès d’une banque ou d’un consortium de banques, des ressources nécessaires, régler les fournisseurs à notre place et puis, se faire rembourser sur deux ou trois ans. Bien naturellement, cet effort financier a un coût, parce que si vous vous endettez à la banque, il y a des frais et aussi la marge de l’intéressé. Donc c’était ça, je crois que les gens étaient allés vite en besogne et, ont parlé de beaucoup de choses, en comparant par exemple, les prix carreaux usines comme on le dit, et puis les prix de cession par l’intermédiaire. Je ne connais nulle part, un article que vous pouvez avoir au même prix quand vous l’achetez à l’usine et quand vous l’acheter au marché, par exemple, surtout, si vous vous endettez pour l’acheter. Je pense que sur ces différentes questions, nous avons donné des explications sur lesquelles nous n’avons pas eu à ma connaissance, des réponses qui mettaient en cause les explications que nous avons fournies.
Sahelien.com : Quel rôle joue le trafic de drogue dans la crise sécuritaire au nord du Mali ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Le trafic de drogue est un des facteurs qui ont contribué à consolider dans les régions du nord du pays, l’influence d’un certain nombre d’acteurs. Il faut toujours avoir en tête que les zones sahéliennes et sahélo-sahéliennes, dans la plupart des pays, d’ailleurs. La Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, l’Algérie, sont des zones qui ont des économies parallèles. Ce sont des zones qui ont toujours eu des économies qui se sont développées, en dehors des cycles officiels qui ont été donc des trafics. Avant, c’était des produits alimentaires, après il y avait la cigarette, et présentement il y a la drogue. Et la drogue fait partie de ce qu’on appelle l’économie criminelle, parce que là, c’est vraiment des réseaux mafieux, qui désiraient exclure toute institution étatique dans ces régions, pour pouvoir continuer leur activité. Donc, on a assisté à une sorte de collusion entre le réseau de la drogue et le réseau de la rébellion, les deux se renforçaient mutuellement. Aujourd’hui, je pense que la mainmise des acteurs de la drogue sur le processus politique social et, même militaire dans cette zone, est un facteur important, qu’il faut voir. C’est même un facteur qui empêche toute évolution positive, parce que tant qu’il n’y a pas cette confusion, c’est un trafic qui ne peut pas continuer, or c’est un trafic qui génère énormément de ressources. Le Sahel est aussi une zone cruciale, dans le développement du trafic parce que, c’est la zone de transit entre différentes régions. Par exemple, quand les gens veulent passer de l’Amérique centrale en Europe en contournant les différentes barrières, c’est la zone la plus facile pour eux.
Sahelien.com : L’Etat avait-il abandonné ces zones aux mains des trafiquants ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Il y a eu progressivement une sous-administration, c’est-à-dire un repli progressif de l’Etat de ces zones. On ne peut pas dire que c’était une volonté de l’Etat de les abandonner, mais il y a des facteurs objectifs. Les trois régions du nord, sont caractérisées par la grande distorsion qui est entre la taille du territoire, la taille de la population et, la taille des ressources avérées ou exploitées. C’est 62% du territoire, mais moins de 10% de la population. Donc le premier point, c’est comment assurer une couverture administrative adéquate d’un espace vide ? Deuxièmement, sur un certain nombre d’investissements et d’équipements, l’Etat s’est trouvé confronté depuis, les années 80 à la mise en avant des critères démographiques, comme critères d’intervention. On vous dit par exemple, il faut 3000 à 5000, personnes pour faire une école, ou un centre de santé etc. Or, il se trouve que dans ces zones c’est rare de trouver des endroits qui dépassent tous mille personnes. Si bien qu’il y a des parties entières de ces endroits de par leur non occupation, sont aussi abandonnées par l’Etat.
Sahelien.com : La gestion au sommet de l’Etat n’est-elle pas à la base de ce dépeuplement ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Le sous-développement des zones, le manque d’activités économiques formelles, ont aussi contribué à ce dépeuplement. Vous prenez, les trois régions du nord, en particulier les régions de Kidal et de Gao, les seules activités qui procurent un salaire régulier, c’est l’administration publique. Donc on a assisté à une situation où c’est comme si on a deux territoires, un contrôlé par l’Etat et l’autre par les trafiquants.
Sahelien.com : Pourquoi n’étiez-vous pas dans la délégation, lors de la visite du Premier ministre Moussa Mara le 17 mai 2014 à Kidal ?
Soumeylou Boubèye Maïga : J’avais des problèmes de santé, c’est tout. Je crois que le Premier ministre, lui-même s’était largement expliqué sur la question. Je n’aime pas parler de mes problèmes de santé, mais je suis quelqu’un d’hypotendu. Quand on est arrivé à Gao, je faisais une tension de neuf et demi. La délégation même y compris, le Premier ministre a estimé qu’il fallait que je rentre à Bamako, parce que je ne supportais pas. On avait fait le trajet Bamako-Goundam-Tombouctou à bord d’un hélicoptère russe qui n’est pas pressurisé et, cela m’avait posé beaucoup de problèmes. On devait aller sur Kidal et, on était effectivement jusqu’à Kidal, on n’a pas pu atterrir. C’est là qu’on est venu à Gao. Je ne pense pas qu’au Mali, quelqu’un puisse mettre en doute mon courage (Rires).
Sahelien.com : Qui a donné l’ordre d’attaquer le gouvernorat quatre jours plus tard?
Soumeylou Boubèye Maïga : Normalement, le rapport de la commission parlementaire devrait nous édifier, mais c’est évident que ce n’est pas le ministère de la Défense, c’est très clair.
Sahelien.com : Disposez-vous du rapport sur le massacre d’Aguelhoc et sur l’attaque du gouvernorat de Kidal ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Honnêtement non. Je sais que quand il y avait eu les évènements de Kidal et, tout ce qui s’en est suivi, les députés à l’Assemblée ont sollicité, la mise en place d’une commission parlementaire qui devait aider à donner des éclairages, sur ce qui s’est passé. J’ai été auditionné comme d’autres, mais on attend toujours. J’entends ici et là qu’ils auraient fini leur travail et, auraient déposé leur rapport.
Sahelien.com : Après votre démission en mai 2014, vous avez été interpellé trois mois plus tard, à Paris dans l’enquête liée à l’homme d’affaires Michel Tomi, qu’est-ce qu’on vous reprochait ?
Soumeylou Boubèye Maïga : La justice française a ouvert une information judiciaire sur Tomi pour différentes choses et, comme l’avion présidentiel est commandé par le ministère de la Défense, et j’étais le signataire du bon de commande, j’ai fait deux jours d’interrogatoire sur différents aspects relatifs à cette commande. Je n’ai pas été mis en cause.
Aissata Ahamadou, Sory Kondo
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