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Me Mamadou I. Konaté : «Au nom de mon père, je le dis !»
Publié le samedi 28 novembre 2015  |  Le Reporter




Si je pouvais faire rire plus d’un, en cette circonstance si malheureuse bien que le rire ne sied guère à ce genre d’exercice de style, je vous ferais connaître à travers cette anecdote, la personnalité de celui qui n’est, hélas, pas et plus avec nous aujourd’hui, alors qu’il aurait tant souhaité savoir, que juste après lui, la République réunie, l’aura salué et même célébré. Mon père aimait la République, ne s’imaginait qu’en République et s’imposait des règles et une vertu toutes républicaines.
Il y a quelques années, il avait été en mission officielle à Addis-Abeba auprès de l’Union africaine (UA), à l’époque où le Président Alpha Oumar KONARE était le Président de la Commission de l’UA. Celui-ci a dépêché Adam THIAM le journaliste le chercher à l’aéroport pour l’amener à l’hôtel. Dès leur première rencontre, mon père, éprouvé par le voyage de Bamako, se mit à raconter les frasques de son long et pénible voyage à son interlocuteur. Pour finir, il laissa entendre que son voyage était tellement long et pénible qu’il a failli perdre l’usage de ses pieds. Mon père ne s’imaginant pas à cette époque l’état physique de son interlocuteur, n’a su que bien plus tard que Adam THIAM est handicapé comme lui, mais physique…
La vie de mon père n’a pas été facile et je m’en suis rendu compte bien plus tard, lorsque j’ai commencé à grandir et à passer de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte. J’aurais eu un profond respect pour mon père qui me rendait en si grande estime que je n’avais aucune autre issue que de me tenir droit dans la vie pour que mes quatre autres sœurs n’aient pas d’autre choix que de passer simplement à la récidive.
Je suis né pendant qu’il était voyant et ai pensé à tort, en le voyant aveugle, qu’il était né tel…
Mon père ne s’est jamais plaint et n’a jamais exprimé la moindre compassion quant à lui ou au sort, cruel que celui d’un garçon, dans la fleur de l’âge, jeune chef de cabinet du gouverneur de Gao, montant à bord de sa deux chevaux un matin, me prenant dans ses bras et me serrant fort pour m’embrasser en ne sachant qu’il n’aura plus jamais d’yeux pour me regarder grandir…
Des années se sont écoulées où les jours et les nuits se succédaient, sans jamais donner la moindre possibilité à mon père de les distinguer, les levers et les couchers de soleil et de tombée de nuit devraient lui signifier exactement la même chose. Tout le long, ma mère, cette brave dame, a été là et heureusement puisqu’elle était cette seule raison qui donnait le goût à la vie à mon père. À côté d’elle, de nombreuses personnes en appui, en soutien, en compassion, en reconnaissance ont été aussi là, aux côtés de mon père pour l’accompagner, pour le soutenir, pour l’assister et pour le renforcer dans la vie.
S’il était encore là, il n’aurait jamais cessé de dire merci pour lui avoir offert un toit, merci pour lui avoir donné à manger un jour, merci pour avoir porté ses enfants et les transporter à l’école, merci pour avoir été simplement là, pour lui et pour sa famille. Pour mon père, perdre la vue n’était pas synonyme de perdre la vie. Mon père aimait la vie qui la lui a si bien rendu, qu’il l’a croquée à pleines dents, soixante-dix huit ans durant.
Trois années de réadaptation passées en France, pour apprendre tout de l’aveugle et du non voyant, y compris l’alphabet inventé au tout début des années 1800 par Louis BRAILLE, devenu aveugle lui-même à trois ans. Ce voyage en France et la bourse qui a été attribuée à mon père et à ma mère l’ont été grâce à la coopération française, notamment une dame AUDIBERT, dont j’ai fait la connaissance plus tard, et aussi grâce à Tanti Ina CISSE, aujourd’hui décédée et qui a été Secrétaire d’Etat aux affaires sociales.
Tanti Ina comme j’aime l’appeler, qui n’est plus de ce monde et dont je veux saluer la retentissante mémoire, a atterri une après-midi dans mon cabinet d’avocat, en quête de conseil puisqu’en possession d’un dossier. Au terme de quelques mois de procédures, finalement heureuses et de grande fierté pour moi, Tanti Ina m’a demandé de lui présenter ma Note d’honoraires d’avocats qui tardait à lui parvenir à ses yeux de cliente peu ordinaire pour moi. Au bout de quelques minutes et sur son instance, j’ai fini par lui avouer que j’étais incapable de répondre de manière satisfaisante à sa demande. Je lui ai rappelé que j’étais le fils de Ismaila, lequel ?
KONATE, l’aveugle….oui et que j’étais incapable de lui facturer ma prestation qui lui était entièrement due et dédiée, en reconnaissance de ses bienfaits pour mon père plusieurs années auparavant. J’aimais profondément autant mon père que toutes les personnes qui l’auront aidé et assisté dans sa dure vie et cette occasion était une opportunité de grande reconnaissance vis-à-vis de Tanti Ina qui s’étonnait que je sache cet épisode de la vie de mon père. Je savais tout de mon père ou presque tout ce qu’il me disait ou ne me disait pas et que j’entendais et que je comprenais et que j’imaginais…
Mon père était un personnage à la fois singulier et particulier. Il se prenait à rêver de choses possibles et même impossibles. Il se plaisait à réfléchir, à penser et à imaginer en même temps qu’il s’imaginait.
Il a rêvé un jour qu’il fallait donner une chance aux enfants aveugles et mal voyants, pour leur apprendre le braille, aller à l’école comme les voyants et même aller en compétition avec les voyants et contre eux s’il y avait lieu. Mon père reculait devant très peu de choses en définitive. Cette volonté ardente ne l’aura jamais quitté, même malade, affaibli et tous les deux dans une chambre de l’hôpital du Mali où il avait été interné un moment, il me parlait encore de reprendre les activités de la Fondation (FONDISMA) qui porte son nom et réaliser selon lui «des choses géniales».
Grand dans l’âme, grand dans l’esprit et d’une grande finesse jusqu’au jour où il n’a pu.
L’Institut des Jeunes Aveugles est passé là et Madame la Présidente Mariam TRAORE, en partie grâce à vous et à votre soutien. L’histoire des hommes est ainsi faite de mépris, de haine, d’ingratitudes et un jour comme celui-ci, de grande reconnaissance. La République a honoré mon père, que la République soit fière et assurée de ce que les enfants de mon père, mes quatre sœurs et moi-même, ma mère et les nombreux autres enfants, directs et indirects de mon père sont fiers de la République.
Mon père a été porté haut par la République, celle des médecins et des infirmiers, mais aussi celle des ambulanciers de la Clinique ALMED et du Professeur Anselme KONATE, de l’Hôpital du Mali du Professeur Sadio YENA et du Professeur AssaTRAORE, de la Polyclinique de Bamako et du Professeur Aly GUINDO….de la Polyclinique TAOUFIK de Tunis et du Docteur CHOUB. Mon Père a été porté haut par les autorités politiques, administratives et civiles du Mali au nombre desquelles, Monsieur l’ambassadeur Siragata TRAORE, ambassadeur du Mali en Tunisie qui nous a rendu le séjour de Tunis aussi agréable à mon père qu’à son épouse et l’ensemble des membres de ma famille, arrivés sur place au chevet de mon père pour l’assister jusqu’à son dernier souffle.
Grâce à Madame TRAORE, l’épouse de Monsieur l’ambassadeur, nous nous sommes sentis en Tunisie comme au Mali. C’est en parcourant assez vite les réseaux sociaux que j’ai appris que mon père était un «baobab». Connaissant les vertus de cet arbre géant, je suis bien évidemment preneur et parfaitement à l’aise avec un tel sobriquet. Cette République des internautes y est allée également et à sa plus belle manière sans compter la République de la presse et des journalistes. Vous parler de République, c’est évoquer la nation, la patrie, le pays comme mon père aimait l’entendre et le vivre.
Pendant qu’il avait accepté de rouvrir les yeux au bout de quinze jours de coma, j’ai soufflé à l’oreille de mon père les dernières actualités que Paris avait été attaqué par la terreur, que l’hôtel Radisson Blu a été aussi attaqué et que la terreur était en passe de prendre le pas sur la lucidité…J’espère simplement n’avoir en rien précipité la mort de mon père qui était devenue inéluctable. Depuis, j’ai reçu nombre d’appels et de messages venant de tout le monde et de partout dans le monde.
Particulièrement et très singulièrement de Monsieur le Président de la République, Ibrahim Boubacar KEITA et de son épouse Aminata MAIGA. De Madame la Présidente Mariam TRAORE ainsi que les bénédictions du Général Moussa TRAORE. Du Général Amadou Toumani TOURE, de son épouse, Madame la Présidente Lobo TRAORE, de sa fille. Un message profond de Adame BA KONARE, épouse du Président Alpha Oumar KONARE… Tous ont été élogieux vis-à-vis de mon père et m’ont transmis leurs sincères tristesses et condoléances. Rien de tout cela n’aurait laissé mon père insensible.
Puisqu’il n’est pas là, je me suis permis de prendre la parole pour vous parler en son nom, comme s’il était parmi nous. Vos présences à tous, fort appréciables, vos gestes et vos actes infiniment cordiaux et solidaires, vos messages si percutants sont le signe évident que lorsque la République se met debout, plus rien ne passe.
Au nom de mon père, je l’ai dit !
MERCI
Source: Le Reporter
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