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Dr Abdoulaye Niang, ancien fonctionnaire international, à L’Aube : « La France a des visées sur les ressources du nord… »
Publié le jeudi 3 decembre 2015  |  L’aube
Dr
© Autre presse par DR
Dr Abdoulaye Niang




Ancien fonctionnaire international, Dr Abdoulaye Niang a occupé d’importantes fonctions au Mali et dans le monde, notamment aux Nations Unies. A la retraite, il est aujourd’hui le Directeur Exécutif du Centre « Sènè » d’études stratégiques sur le co-entrepreneuriat. Il est aussi membre du réseau citoyenneté et co-entrepreneuriat « Joko ni Maaya » et de la coordination nationale de veille stratégique et citoyen.

Dr Niang est connu pour ses analyses pointues et ses prises de position tranchée sur tous les sujets qui intéressent la vie de la nation.

Dans un entretien, qu’il a bien voulu nous accorder, il se prononce sur la crise au nord du Mali, l’accord de paix signé entre le gouvernement et les mouvements rebelles (mai et juin dernier), la présence de la Minusma au Mali, les convoitises sur les ressources du septentrion malien et la gouvernance d’IBK. Interview.





L’Aube : Vous aviez été l’un des rares membres de la société civile a dénoncé l’accord de paix d’Alger. Est-ce toujours votre position ?

Abdoulaye Niang : Ici, nous sommes toujours constants dans nos jugements, y compris concernant notre position par rapport à cet accord. Cette constance dans nos prises de position s’explique tout simplement par le fait que nous nous basons sur l’analyse des situations. Quand vous observez l’organisation méthode (analyser la situation, déterminer la cause profonde et en déduire les relations sous-jacentes) dans ce que vous faites, c’est à partir de là que vous avez votre problème et vous proposez des solutions de rechange aux politiques existantes pour résoudre le problème. C’est ça notre véritable fonction. Et aujourd’hui, nos propositions de solutions de rechange à des politiques existantes qui nous ont amené à la crise, sont disponibles au niveau des politiques.

Huit mois à Alger, ils n’ont pas eu ni la méthode, ni l’organisation. La bonne preuve est que l’accord signé est pour la paix et la réconciliation. La Réconciliation entre qui et qui ? Ils ont supposé que c’est la réconciliation entre le nord et le sud ; ce qui était faux. S’il y a besoin de réconcilier, c’est à l’intérieure de la communauté de la localité de Kidal. Parce que dans cette localité, il y a un problème de droit économique (entre les membres de la communauté) depuis la grande sécheresse de 73-74. Cette sècheresse a fait que les Belahs sont devenus plus riches que leurs maîtres, car les seconds (maîtres) ont vu leurs bovins décimés alors les chèvres des premiers (les Belahs) ont résisté. Mais, la discrimination économique, qui est la cause des deux guerres mondiales, a continué. C’est pour dire qu’aussi longtemps qu’existera la discrimination économique à l’intérieure de la communauté de Kidal, il y aura toujours une menace de guerre. Donc faire croire qu’il y a une quelconque nécessité de réconcilier le nord et sud, comme Yves Le Drian (ministre français de la Défense) le prétendait, est faux. Partant sur cette fausse analyse, on ne pouvait qu’aboutir qu’à ces solutions sous-optimales. Aussi, on parle de paix. Mais en réalité de quelle paix ? La paix nationale ? Non. Cette zone du Sahara, après la Syrie et l’Irak combinés, est le deuxième champ de bataille de la lutte d’extrême violence qui oppose des forces spéciales, notamment françaises et les forces combattantes du groupe Etat islamique. Donc, il y avait une rupture de la paix internationale, et non une rupture entre Bamako et Kidal. S’il s’agissait de cela, on savait comment le résoudre. On leur donne quels postes d’officiers supérieurs dans la douane, dans la gendarmerie, les eaux et forêts… et puis ils reviennent. C’est l’esprit de Razzia. Ils ont fait venir les Nations unies sur la base du chapitre 7 de la charte de l’ONU. Ce qui n’est plus applicable, puisqu’elle a 70 ans. Elle est, si vous voulez, en ménopause. C’est pourquoi, nous, nous avions dit, deux ans plus tard, non à la Minusma, non à l’accord de défense et à Barkhane. Mais on ne dit pas non sans proposer quelque chose. Pour nous, la loi Ibrahim Boubacar Keïta qui s’appelle la loi 04 051 portant organisation générale de la défense nationale, permet d’avoir une entreprise sécuritaire africaine qui sera basée à Tessalit. Non seulement, cette coentreprise sécuritaire peut contribuer au relèvement du niveau de vie et de l’emploi pour la localité de Kidal, mais aussi pour le reste du Mali. La crise là, elle est économique. Elle s’est transformée maintenant en crise sociale qui est devenue une crise globale…

Maintenant on a sur le dos des chinois assis à Gao, les Pays-Bas ou encore ceci cela ; mais qui n’ont aucune coordination et qui ne savent pas travailler ensemble. Ces pays disent : la France, c’est vous qui avez découvert, selon la charte Cabot de 1496, le Mali en tant que première nation chrétienne. Dans ces conditions-là, nous vous regardons. D’ailleurs, la Minusma a finalement été très claire avec la résolution 2227 de 2015, comme quoi elle ne s’occupe ni des djihadistes ni des terroristes ni des narcotrafiquants. Alors, qu’est-ce que cette mission (qui est dans un environnement asymétrique), fait ici ? Et cet environnement asymétrique fait que la Minusma est la Mission qui tue le plus au monde.



Vous avez dénoncé avec des arguments à l’appui, mais vous n’avez pas été suivis par les autres couches de la société civile. Est-ce à dire que vous étiez minoritaires ?

C’est tout à fait normal quand vous avez une nouvelle vérité scientifique. Et que cette nouvelle vérité scientifique est fondée sur le principe de changer l’existant. Surtout quand l’existant fut une source de rente pour cette société civile qui est institutionnelle et alimentaire. Vous comprenez que c’est tout à fait normal.

Aujourd’hui, 99% des groupements qui sont nés à partir de 2012 sont mort. Mais nous, on continue. Nous sommes constants parce que nous faisons de l’analyse. Les autres sont dans le spectacle. Et ils disent qu’il vaut mieux être avec le gouvernement que ces gens qui veulent changer les politiques du gouvernement. Or, c’est nous qui faisons en sorte que le gouvernement soit dans la stabilité.



Finalement l’accord a été signé et sa mise en œuvre a même commencé. Que reprochez-vous à nos autorités?

Ce que je leur reproche, c’est ce que tout le monde dit qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un non-accord. Ce qui n’est pas vrai. Moi je préfère plutôt un non-accord. Et continuer de travailler jusqu’à ce que nous déterminions la cause profonde et les relations sous-jacentes. On serait arrivé à une vraie solution, parce que ça fait 55 ans qu’on ait dans cette crise.



Pourtant les discours officiels donnent l’impression que cet accord a déjà des effets positifs sur la situation sécuritaire du pays.

Avant-hier, il y a eu des morts de casques bleus au nord. Il y a une semaine, plus de 20 personnes ont été tuées à l’hôtel Radisson. Ce sont là les signes évidents de l’insécurité humaine et sociale. Mais si le président de la République dit qu’aucun pays n’est à l’abri de telle situation, il a raison. Mais, nous nous disons non. Je l’invite à ce qu’il ait plus d’ambitions pour le prix Nobel de la paix, que nous avions raté l’année dernière, revienne cette année aux Maliens. Et le prix Nobel d’économie que nous avions raté revient à un Malien. Cela veut dire qu’IBK doit tout faire pour respecter la loi 04 051. Il doit faire respecter par son gouvernement cette loi. Aussi, il doit faire respecter par son gouvernement la constitution du Mali. Et il doit être sensible à l’interpellation du conseil de sécurité qui, depuis la résolution 2100 jusqu’à la résolution 2227, dit que c’est sous la prééminence du Mali que le monde va se sortir de la crise sociale globale et sécuritaire. En bon Malien, il doit comprendre par là qu’on lui a confié une responsabilité mondiale et il aurait dû, à cet effet, stimuler les chercheurs (les véritables) pour trouver des solutions adéquates.



Au-delà des attaques, on constate qu’il y a toujours un blocage à Kidal où l’administration et les forces de défense et de sécurité sont absentes. Qu’est ce qui peut expliquer, à votre avis, cette situation ?

Le problème de Kidal est tout simplement une question de manque d’ambition. Si IBK avait respecté la loi 04 051 qui prévoit en son article 6 la réquisition de 600 milles milliards, aujourd’hui il aurait pu relancer notre armée. Pas sous une forme classique, mais sous un système de défense stratégique de la nation où la défense civile dominera, après la défense économique, et puis la défense militaire. Si on avait appliqué cette loi, on serait aujourd’hui à Kidal. Par exemple, on peut proposer aux gens de Kidal l’installation de 100 branches d’unités de production d’agriculture familiale africaine et d’aménagement du territoire qui vont générer des emplois durables. Il faut apprendre les jeunes à être employable, comme nous on le fait à Samanko où les jeunes ont non seulement un emploi durable, mais ils ont aussi l’opportunité d’être membre d’une coopérative de crédit qui lui permet d’avoir des prêts pour se marier, pour acheter sa voiture… Vous croyez qu’avec ça, un jeune voudra aller s’enrôle pour faciliter le trafic de la drogue où il peut être tué. Au-delà de cette perspective, on peut aussi exploiter l’or de Kidal en donnant 5% du capital d’investissement aux communautés. Et qu’on leur donne des possibilités de devenir des ingénieurs et autres dans ces mines. En réalité on a tout pour s’en sortir.



Justement, les ressources naturelles dont regorge le nord seraient la source de nos malheurs. On parle de plus en plus de convoitise sur ces ressources. Qu’en pensez-vous ?

C’est la France, il ne faut aller trop loin. La visée de la France se trouve dans une déclaration (faite le 28 février 2014) pour le redressement politique de la France. On dit que cela aura pour socle le renouveau minier. Et ce renouveau minier va reposer sur l’or de la Guyane et l’or produit dans des Etats africains qui ont demandé à François Hollande de les aider à être beaucoup plus dans les profits que génèrent ses sociétés multinationales. Aussi, les gens doivent savoir que la couronne britannique (en 1496) a dit à la famille cabot, qui voulait aller à l’aventure pour découvrir le monde, ceci : partout où vous partez et que vous trouvez une localité où il n’y a pas une nation chrétienne, mais qui a des ressources naturelles, alors appliquez la doctrine de la découverte chrétienne des ressources naturelles qui vous donne droit d’appliquer le principe d’acquisition du titre de propriété des terres de ses païens et de ses infidèles. C’est comme ça que les colonies ont été constituées. Si vous comprenez ces choses, vous comprendrez tout le reste…



Quel regard portez-vous sur les fonds mobilisés par des bailleurs en faveur de notre pays ?

Nous avons dit qu’il y a des solutions alternatives aux politiques existantes. Maintenant, si nos autorités continuent d’aller faire le « yogoro » (le troubadour) ailleurs, ça c’est autre chose. Parce qu’ils vont se présenter devant des gens qu’eux-mêmes enrichissent. Ils ont fait de vous (IBK sous-entend) un bon élève en développement économique avec une croissance économique de 7%. Mais, en même temps vous prenez votre avion tout le temps pour, d’abord appauvrir davantage la population, et aller demander une partie de ce qu’ils ont pris chez nous pour le développement de notre pays. C’est pourquoi, on est la 190ème de l’indice de développement humain. En clair, tu es noté très bon élève en création de richesses et, au même moment, tu es noté très mauvais élève en relèvement du niveau de vie et de plein emploi chez toi. C’est une aberration pour nous, les économistes. Mais on ne nous écoute pas.



Un appel ?

Je dis au peuple malien, mobilisons-nous. Nous avons une opportunité extraordinaire pour être riche. Et qu’on comprenne (au sommet de l’Etat) qu’ils n’ont pas besoin de conseiller blanc, les enfants du Mali sont capables. Une coordination nationale de veille citoyenne et stratégique (composée d’intellectuels et des médias) et le réseau « Joko Ni Maaya » font l’affaire. On interpelle qui de droit… et on s’en sort.

Interview réalisée par Issa B. Dembélé
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