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Carrière politique de Fily Dabo Sissoko : Pourquoi l’homme s’est démarqué du Communisme Français ?
Publié le jeudi 10 decembre 2015  |  La Mutation
Fily
© AFP par Byline
Fily Dabo Sissoko




« J’ai vu que le communisme ne s’intéresse aux territoires d’outre-mer qu’avec le dessein prémédité de provoquer un bouleversement complet de l’économie nationale. J’ai vu la lutte des classes acceptée par le communisme qui se nourrit de haine. J’ai vu… J’ai vu… » Voilà des propos tenus par Fily dans une lettre envoyée à Monsieur Marius Moutet, ministre de la France d’Outre- Mer. Nous vous publierons l’intégralité de la lettre. C’était le 30 avril 1946. Lisez plutôt !

Je m’adresse surtout à l’homme plus qu’au Ministre de la France d’Outre- Mer. Ce que j’aurais à vous dire sera l’expression de mes sentiments les plus profondes. C’est aussi le résultat des mûres réflexions que j’ai eu tout le loisir de faire, sous mille angles divers, depuis qu’en décembre 1945, je suis arrivé à Paris. Je me suis toujours occupé de philosophie et par là, et par là j’ai pris contact avec la politique. Je peux vous dire que l’occasion m’a été donnée souvent d’avoir à étudier toutes les doctrines politiques, surtout celles de la France à l’époque contemporaine, et cela en partant des conceptions de Charles Maurras pour aboutir à celles de Henri Barbusse. Ce que la philosophie a déterminé en moi avec le plus de précision, c’est surtout une conception spiritualiste du monde que j’ai retrouvée avec étonnement dans les meilleures classiques français, et en dernier lieu, dans le génial Izoulet, trop négligé, et qui est pourtant, à mon avis, une abondante source d’inspiration. Eh bien, mon cher collègue, mon séjour en France a été une véritable révélation. J’ai fait une expérience décisive, elle est une importance telle que je n’ose la conserver pour moi seul et que je vous la communique, comme à l’autorité la plus représentative aujourd’hui de la nationalité française, car elle seule se trouve au point de jonction des nœuds vitaux de la métropole et des territoires d’outre-mer. Désormais, quelque soit le Gouvernement que nous ayons, le Ministère de la France d’outre-mer aura à jouer ce rôle de premier plan. Le citoyen donc, qui a sur la conscience un problème dont il aperçoit la solution, a non seulement le droit mais aussi le devoir de s’adresser à qui de droit dans l’intérêt même de la Patrie. En conséquence, je voudrais vous donner la quintessence de l’expérience que j’ai vécue à Paris, et qui est extrêmement décisive. J’ai vu que le communisme ne s’intéresse aux territoires d’outre- mer qu’avec le dessein prémédité de provoquer un bouleversement complet de l’économie nationale. J’ai vu la lutte des classes acceptée par le communisme qui se nourrit de haine. J’ai vu que le communisme, en s’associant au socialisme et au Mouvement Républicain populaire manque de sincérité, car j’ai suivi avec une extrême attention plusieurs mouvements en coulisse, plusieurs tractations qui ne tendent à rien d’autre qu’à orienter les parties antagonistes vers des situations sans issue aux fins de les couvrir d’éclaboussures et de les détruire. Je ne médis pas du communisme. Je suis incapable de Médisance et de haine. Ma situation personnelle est communiste, parce que la société indigène, telle qu’elle est organisée, n’est que communiste, mais j’ai la preuve que je m’étais trompé lourdement dans le sens à donner à ce mot communiste. J’avais cru, et je crois encore, que le communisme c’est la reconnaissance de la grande loi de fraternité qui suppose, pour l’ensemble, le bien être de tout le monde, qui s’abstient de spolier les faibles, qui s’abstient de convoitises malhonnêtes et qui partage le peu qu’il a avec le voisin. Dans nos familles, dans nos réunions familiales, dans nos conseils de notables, dans nos sociétés hermétiques même, chacun est libre d’exprimer son opinion, personne n’a l’idée de mettre un bandeau sur les yeux d’un autre pour l’orienter où sa conscience voudrait qu’il n’allât point. Or, j’ai vu que le communisme aboutit à l’automatisme. Cela, à mon avis, est la négation de la liberté de pensée, la négation de la liberté d’opinion, la négation de l’esprit, qui souffle où il veut. D’ailleurs, avant mon arrivée ici, j’avais des présomptions bien arrêtées que les choses se passaient ainsi, mais j’étais loin de me rendre compte de l’ampleur de la situation telle qu’elle m’apparait aujourd’hui avec une clarté aveuglante. Cette appréhension était cependant assez nette pour m’empecher de m’inscrire au parti communiste, tout en refusant le parti paysan et le parti U.D.S.R et en acceptant de figurer dans le petit groupe des Républicains Résistants. J’ai travaillé pourtant avec des communistes, mais je les ai toujours obligés à respecter ma liberté de pensée, mon indépendance totale et absolue de caractère et mes tendances idéalistes que je ne mets jamais en discussion. Je me suis instruit à leur école. Je sais ce qu’il en est. Je sais où l’on va et comment. Je puis vous dire, vous informer que, comme je l’ai opéré en 1926 au Soudan, je sais décider à barrer la route à l’intrusion d’une doctrine qui poursuit par divers moyens la subversion totale des éléments essentiels de la société dans le département que j’ai l’honneur de représenter jusqu’ici au Palais Bourbon. Je n’ai pas l’habitude de promettre beaucoup. Jusqu’ici j’ai toujours laissé les hommes me juger sur mes actes et non sur mes paroles, mais aujourd’hui à la veille de mon départ, au dépositaire des secrets d’Etat, je ne puis qu’apporter un témoignage qui n’est pourtant pas une confession, car j’ai toujours proclamé que, au dessus de tous les partis, je suis Français tout d’abord, Soudanais et Malinké par-dessus le marché. Or, j’ai le » sentiment bien net, en tant que Français, que le devoir m’incite à m’opposer à un courant que je sais subversif parce que j’ai des preuves que je sais inadéquates, parce que incompatibles avec les saines traditions de l’évolution humaine ; que je sais inopérante au regard ders nécessités requises pour l’évolution des masses figées au stade des idéaux affectifs, et pour lesquels la seule condition de progrès est le respect des croyances dans la paix sociale. C’est pourquoi je rentre dans l’arène, avec le dessein bien arrêté de juguler ce mouvement. J’ai lu de BOUGIE, il y a une dizaine d’années, un livre des socialismes français où il apportait la preuve que le communisme ne pourrait triompher en France. J’ai eu, pour ma part, confirmation de ces idées exprimées par l’éminent sociologue dans les trois voyages que je viens d’effectuer dans la province française. J’ai vu à Marvejols des gens de la haute noblesse et des paysans français qui se trouvent très bien dans la République. J’ai vu dans la Drôme, des bourgeois qui n’ont nulle intention de provoquer des bouleversements sociaux. Un paysan de Vouvray, près de Tours, en me faisant visiter sa cave, m’a dévoilé à son insu, une belle âme paysanne française, comme j’en connais tant dans mon pays. J’en ai été tellement frappé que, j’ai pu dire à notre collègue le député-maire de Tours, que le paysan noir, comme celui de la France, n’est pas civilisé pour tromper les gens. Or, pour ma part, j’ai constaté que le communisme est une vaste tromperie à l’échelle mondiale. Ce qui m’étonne encore et ce n’est pas petit, c’est que des gens comme LANGEVIN, comme GOGNIOT comprennent des gens que j’admire beaucoup et que j’admirerais toujours, comme Gabriel PERI, restent ou sont restés communistes jusqu’à l’abnégation suprême. Toutefois en creusant bien aussi cet aspect du problème, je crois pouvoir savoir ce qu’il en est. Voilà mon cher collègue et cher Ministre ce j’avais à vous dire. J’ai encore quelques petites présomptions intimes, quelques scrupules d’avoir pu peut être induire en erreur beaucoup de personnes sur la tendance de mes opinions politiques les plus intimes, les plus conformes de mon caractère. Cependant il était clair de recevoir que le théosophe que je suis est incapable d’acquiescer à une doctrine qui condamne l’esprit, c’est pourquoi en toute sérénité que je vous le répète, je vous adresse la présente, parce que vous avez été dès les premiers instants, l’un de ceux qui ont vu qu’il n’est au pouvoir de personne de me bander les yeux et de me faire pirouetter comme une girouette. D’ici peu, vous serez à même de vous rendre compte de la manifestation des réactions qui ne manqueront pas de se produire, soit au Soudan, soit ailleurs. Ce faisant, je crois devoir servir surtout la France, mon pays. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre et cher collègue, l’assurance de ma haute considération.

Said Bocoum
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