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Problématique des déclarations présidentielles parues dans Jeune Afrique : « Qu’en est-il de l’exactitude juridique de l’inculpation de l’ancien Président de la République » ?
Publié le mercredi 23 decembre 2015  |  Le Républicain
Amadou
© Autre presse
Amadou Toumani Toure
Le président déchu du mali




Les allégations présidentielles dans Jeune Afrique suscitent bien une double interrogation. Qu’en est-il de l’exactitude juridique de l’inculpation de l’ancien Président de la République ; autrement dit, les déclarations présidentielles seraient-elles un moyen politique pour faire passer un message politique présidentiel aux députés afin qu’ils se décident vite à voter la mise en examen d’Amadou Toumani TOURE devant la Haute Cour de justice ?

La problématique des déclarations présidentielles parues dans Jeune Afrique N°2866 du 15 au 19 Décembre 2015 visant l’ancien Président de la République : Dans l’entretien accordé au journal Jeune Afrique sus-référencié, précisément à la page 32, le Président Ibrahima Boubacar KEITA a formellement indiqué que l’ancien Président du Mali dont Amadou Toumani TOURE « est effectivement inculpé devant la Haute Cour », ce qui signifie en langage juridique que l’ancien Président de la République « est effectivement mise en examen par la justice ».

Cependant aux termes de la constitution du Mali de 1992 en vigueur, « la mise en accusation (du Président de la République) est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée Nationale » ; procédure qui n’a pas encore abouti de nos jours bien qu’elle ait été programmée à plusieurs reprises. Une Commission parlementaire constituée spécialement courant 2014 pour examiner la question avait conclu qu’aucune preuve matérielle n’a été trouvée pouvant fonder véritablement une telle inculpation présidentielle, après d’importantes auditions.



Si à tort ou à raison, l’Assemblée Nationale a décidé de se saisir à nouveau dudit dossier, il reste entendu toutefois qu’à l’heure actuelle elle n’a toujours pas pris sa décision, notamment de voter l’inculpation de l’ancien Président de la République. On peut dès lors constater que la Haute Cour reste encore hors-jeu. L’inexistence d’une décision politique qui aurait pu déclencher la procédure pénale en cause justifie également l’absence de mandats de justice adressés à l’ancien Président de la République qui de nos jours aurait librement élit domicile à Dakar au Sénégal.

Devant ces faits qui sont bien têtus, il se trouve bien fondé que les déclarations du Président Ibrahim Boubacar KEITA, tenues dans Jeune Afrique, visant son prédécesseur, peuvent paraitre en effet problématiques et sujettes à interprétations.

Le doute avéré qui existe autour de la véracité juridique des allégations proférées par le Président de la République à l’encontre de l’ancien Président de la République a ainsi déclenché dans la République, dans les réseaux sociaux et à l’internet de vives réactions et condamnations. Devant cette situation conflictuelle supplémentaire qui ne vient aucunement favoriser la consolidation de la paix fragile au Mali, une mise au point académique s’impose dès lors indispensable.

Les allégations présidentielles en cause suscitent bien une double interrogation:

Primo : Qu’en est-il de l’exactitude juridique de l’inculpation de l’ancien Président de la République ; autrement dit, les déclarations présidentielles seraient-elles un moyen politique pour faire passer un message politique présidentiel aux députés afin qu’ils se décident vite à voter la mise en examen d’Amadou Toumani TOURE devant la Haute Cour de justice ?

Secundo : Est-ce que les députés sont tout-à-fait et suffisamment éclairés sur la rigueur des immunités constitutionnelles consacrées au chef de l’Etat, avant de procéder à l’ouverture d’une telle poursuite pénale dont l’aboutissement reste véritablement hypothétique notamment au regard du droit constitutionnel malien en vigueur ?

S’agissant de la première question, les professeurs Bernard BOULOC et Haritini MATSOPOULOU, entre autres, ont souligné que : « la personne faisant l’objet d’un mandat de justice, autre qu’un mandat de recherche, doit être considérée par les officiers et les agents de police comme étant mise en examen, encore même qu’une telle mesure ne lui aurait-elle pas été notifiée » (Voir droit pénal général et procédure pénale, Sirey, Paris, 2006, P317).

C’est après la décision politique de l’Assemblée Nationale que les mandats de justice sont alors envisagés par la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice. L’absence de mandats de justice explique ainsi la non-saisine de la Haute Cour, seule compétente en la matière en cause. C’est pourtant l’instruction de la décision politique de l’Assemblée Nationale par cette commission d’instruction de la Haute Cour qui marquerait bien le déclenchement de la procédure pénale envisagée. , En droit, il y’a donc bien lieu d’élever des doutes sérieuses sur la crédibilité juridique des allégations présidentielles avancées dans Jeune Afrique, portées à l’encontre du Président Amadou Toumani TOURE.

Dans un contexte politique aussi alambiqué et du fait du déficit récurrent d’un réel consensus politique autour de la question visant l’inculpation ou non du Président TOURE, l’interprétation, selon laquelle les déclarations présidentielles visées n’ont de vocation que d’instrumentaliser les députés à voter massivement en faveur de l’inculpation,pourrait bien être retenue, étant donné que le Président de la République est constamment et suffisamment tenu informé de cette situation du fait de sa gravité et de l’importance de la personne visée.

Alors dans cette hypothèse, l’interview présidentielle visée pourrait bien demeurer une tactique politique réfléchie pour faire passer un message politique aux députés. Dans ce cas, c’est le principe de la séparation des pouvoirs qui a été manifestement violé par le garant de la constitution.

On peut également justifier la poursuite de la discussion à L’Assemblée Nationale relative à l’inculpation de l’ancien Président de la République par le fait que les députés n’aient pas reçu les informations juridiques sur la réalité et la rigueur des immunités constitutionnelles reconnues au chef de l’Etat durant l’exercice des mandats présidentiels. Sur ce thème, les écrits de deux éminents professeurs suffiront à éclairer toutes les bonnes volontés. Selon le professeur Gérard CORNU, l’immunité constitutionnelle accordée au Président de la République est « une cause d’impunité qui, tenant à la situation particulière de l’auteur de l’infraction au moment où il commet celle-ci, s’oppose définitivement à toute poursuite alors que la situation créant ce privilège à pris fin » (voir vocabulaire juridique, PUF, Paris, 8è édition, p4335).

Au professeur Olivier BEAUD d’ajouter que « le seul fait de constater l’état de la personne suffit à interrompre, non point le procès, mais la procédure d’enquête préliminaire ». (Voir l’immunité du Chef de l’Etat en droit constitutionnel et en droit comparé, RFDA, PUF, Paris, N°6, 2001, p1127).

Un arrêt du 10 décembre 2001 de la Cour de Cassation française a indiqué également qu’ « il est impensable qu’un chef d’Etat puisse être mis en cause par le juge pénal pour des faits accomplis durant les mandats présidentiels et qui n’avaient pas donné lieu à inculpation ».

Dès lors que les finalités recherchées dans une telle éventuelle inculpation ne peuvent être régulièrement atteintes, il est dès lors judicieux que les représentants du peuple se concentrent davantage sur des préoccupations nationales essentielles, comme le recouvrement de l’intégrité du territoire national.

Il est un principe sacro-saint en droit constitutionnel, puisque la « responsabilité présidentielle », chaque fois qu’il en est question, relève toujours de cette discipline juridique, qu’un Président de la République, fut-il ancien, ne pourrait aucunement être astreint devant une juridiction quelconque pour des faits qui remontent à ses présidences et qui n’avaient alors pas fait l’objet d’incrimination. Le Président Amadou Toumani TOURE a librement démissionné et n’a fait l’objet à l’époque d’aucune inculpation pénale. Aujourd’hui, étant devenu citoyen ordinaire, le droit constitutionnel s’oppose qu’il lui soit appliqué les dispositions constitutionnelles visant le Président de la République.

La conséquence majeure découlant de ces déclarations pour le Président Ibrahim Boubacar KEITA est qu’il sera tenu désormais pour responsable de l’éventuelle inculpation du Président TOURE devant la Haute Cour de justice. La sagesse doit donc le guider, au regard des expériences de procès politiques vécues au Mali, de voir davantage plus grand et plus loin.

Mamady Sissoko

Docteur d’Etat en droit public
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