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Art et Culture

Du Kotèba aux Journées Théâtrales Guimba National 2016 : «Saisissons-nous de l’immense richesse qu’est notre culture, sinon un jour, d’autres se l’approprieront, et nous la perdrons»
Publié le mercredi 30 mars 2016  |  Le Reporter
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© Autre presse par DR
Le comédien malien Habib DEMBELE dit Guimba
Le comédien malien Habib DEMBELE dit Guimba au festival sur le Niger à Segou




Nous avons rencontré Habib Dembélé, deux mois avant le début des Journées théâtrales qu’il a placées sous le signe de la réconciliation.

Guimba, parlez-nous de l’évolution du théâtre au Mali.
La tradition théâtrale du Kotèba existait dans l’Histoire du Mali, bien avant la pénétration coloniale. Le théâtre n’est pas un produit importé. Quand nous avons accédé à l’indépendance, l’Institut national des Arts et le Groupe dramatique national du Mali ont été créés. Ils jouaient ce qu’on appelle les «classiques». Jusqu’en 1978, le théâtre au Mali ressemblait à l’idée que l’Occident se fait du théâtre, c’est-à-dire une scène moderne, frontale, avec des coulisses, des lumières, et un texte écrit en français. C’était inaccessible pour les gens, ils ne comprenaient pas la langue, ils ne s’y reconnaissaient pas. Quand Alpha Oumar Konaré est devenu Ministre de la Culture, il a montré aux Hommes de théâtre maliens de l’époque le chemin vers notre théâtre ancestral. Il a pris les dispositions nécessaires pour qu’ils aillent dans le Bélédougou, et à Markala, berceau du Kotèba. C’est ce qui nous a permis de nous réenraciner profondément dans notre vraie culture théâtrale. Le Groupe dramatique national est alors devenu le Kotèba national.
Pourquoi était-ce si important de retrouver le Kotèba ancestral ?
Kotè signifie escargot, Ba veut dire grand. Basé sur l’improvisation, le Kotèba est un théâtre engagé. Il dénonce les histoires politiques ou administratives, locales ou nationales. Toutes les formes de l’expression théâtrale s’y trouvent. Les comédiens, souvent également musiciens et danseurs, jouent sur la place du village, au milieu des gens assis. Les enfants composent le premier cercle, les femmes le second, les hommes derrière. La lumière, c’est le clair de lune. Le Kotèba s’adresse aux gens dans leur langue, et leur parle de ce qu’ils vivent tous les jours. Ils comprennent très bien que quand les comédiens évoquent le chef du village, il faut entendre que c’est du chef de l’Etat qu’il s’agit. Notre culture aime beaucoup les métaphores.
Comment le Kotèba est-il passé du village à la scène nationale ?
Lorsqu’Ousmane Sow est rentré de ses études de mise en scène en Yougoslavie, la direction du Kotéba national lui a été confiée. Il a insufflé un nouveau visage au théâtre malien. On jouait des pièces écrites en langue bamanan bien structurée, qui traitaient de nous, de notre société, de notre quotidien social et politique. Michel Sangaré et moi-même avons eu la chance de faire partie de ce nouvel élan du Kotéba national. En 1988, nous avons joué Wari, la pièce de Ousmane. Ce fut comme un catalyseur. Les gens ont compris que le théâtre ose dire haut et fort ce que tout le monde tait. Le peuple malien a réfléchi, s’est réveillé, et les premières mobilisations populaires contre le régime ont commencé. Cette prise de conscience a mené notre pays jusqu’à la chute de Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Ousmane, Michel et moi-même avions démissionné du Kotéba national bien avant, car nous ne supportions plus les pressions que nous subissions en tant qu’artistes au sein de la fonction publique dont nous étions agents. Le théâtre était devenu dangereux pour le pouvoir en place. Nous sommes partis pour être libres, et nous n’avons pas cessé de jouer. Après l’avènement de la démocratie, Ousmane a écrit et mis en scène Wari 2 dont nous avons donné des représentations au Palais de la Culture à Bamako, et dans beaucoup d’autres lieux au Mali. Et puis, le théâtre engagé a eu tendance à disparaître au Mali. La politique culturelle publique ne permettait pas aux troupes d’obtenir des subventions. Nous manquions d’argent pour créer des pièces. J’ai décidé d’écrire le premier one-man-show au Mali, «52, la petite bonne à tout faire». Je l’ai mis en scène et joué, sans moyens financiers et techniques. Je n’ai jamais oublié que la jeunesse est l’avenir de notre pays. Je voulais inciter les jeunes humoristes à se manifester. J’ai créé pour eux l’émission «Eclats de rires» sur l’ORTM. Les comédiens devaient continuer à travailler, chacun faisait ce qu’il pouvait pour mener sa carrière.
Le temps a passé. Où en est le théâtre ?
Malgré les gros efforts de quelques troupes, le vrai théâtre engagé, proche du peuple, se meurt au Mali. Et pourtant, la tempête qui fait tanguer notre pays depuis trop longtemps voudrait que le théâtre soit vigilant et s’engage. C’est la raison qui m’a amené à créer les Journées Théâtrales Guimba National, l’année dernière. Notre slogan était «La culture est notre pétrole, exploitons-la.» Seydou Kane en a été le parrain, Madame Chine Lah, la marraine. Habib Sylla et beaucoup d’autres personnes nous ont aidés. Je tiens à les remercier tous à nouveau. Nous avons joué plusieurs pièces, dont Wari et Féréké Gnagamibougou, de Ousmane Sow. Des jeunes troupes et des jeunes humoristes nous ont montré leur savoir-faire. L’Ambassadeur du Mali au Gabon, Diadé Dagnoko, mon professeur, m’a fait l’honneur de venir pour donner une conférence sur «Quel rôle peut jouer l’artiste dans la sortie de crise ?» Notre pays va trop mal depuis trop longtemps, et les choses s’aggravent. C’est notre devoir d’artistes de nous saisir du sujet. Nous devons jouer notre rôle. Le Ministère de la Culture nous a soutenus en 2015, et nous aide cette année encore. Madame N'Diaye Ramatoulaye Diallo sait l’importance de la culture, et du théâtre en particulier. Je l’en remercie. Nous sommes donc en train d’organiser la deuxième édition des Journées Théâtrales Guimba. Nous l’avons placée sous le signe de la réconciliation nationale pour attiser le feu de la fraternité entre tous les fils et filles du Mali. Nous avons programmé des compétitions entre jeunes troupes de toutes les régions. Les finales se tiendront, à Bamako, entre le 23 et le 29 mai. Nous voulons faire pleuvoir de partout les idées de notre jeunesse. La créativité des jeunes comédiens et humoristes saura faire ressortir leurs constats, leurs inquiétudes, et montrer le meilleur chemin pour recoudre notre tissu social, afin que notre pays soit vraiment Un et Indivisible. Les autorités ne pourront pas ne pas les entendre. Zahabi Ould Sidi Mohamed, le Ministre de la Réconciliation, a promis de nous aider. Je sais qu’il sera attentif aux voix de cette jeunesse.
Quelle feuille de route donnez-vous aux jeunes troupes ?
J’incite les jeunes comédiens et humoristes maliens, du Sud au Nord, d’Est à l’Ouest de notre pays, à s’inscrire à ces compétitions avant le 10 avril en contactant le (+223) 76 28 10 10 04 ou 74 74 30 28. Je leur demande d’écrire un texte sur le thème de la réconciliation nationale. Avec leurs propres moyens, ils doivent mettre en scène un spectacle de un à six comédiens, d’une heure maximum. Je donne carte blanche à leur créativité, ils ont le choix : comédie, drame, tragédie, monologue, sketch etc. Ils seront jugés selon les critères des arts de la scène, manière de traiter le sujet, imagination, mise en scène, jeu des acteurs, mouvements d’ensemble, diction etc. Michel Sangaré, en tant que directeur artistique des Journées Guimba, supervisera les compétitions régionales, et les finales à Bamako. Je donne rendez-vous aux Maliennes et aux Maliens pour y assister. Les troupes se produiront avant chacun de nos propres spectacles, au Palais de la Culture, au CICB, au Carrefour des Jeunes, et à Kora Films, la dernière semaine de mai.
Deux mots pour conclure, Guimba ?
N’oublions que les gens de l’extérieur exploitent nos ressources naturelles. Saisissons-nous de l’immense richesse qu’est notre culture, sinon un jour, d’autres se l’approprieront, et nous la perdrons.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
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