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6 AVRIL 2012-6 AVRIL 2016 : Portée de la démission du Président ATT
Publié le samedi 9 avril 2016  |  L’aube
Amadou
© Autre presse
Amadou Toumani Toure
Le président déchu du mali




Mars 2012. Devant l’invasion du nord du Mali par des groupes armés combinés de Djihadistes, de narcotrafiquants et d’indépendantistes, rendue possible surtout par l’éclatement de la Lybie suite à la mort de Mouammar Kadhafi, une mutinerie avait éclaté à Kati et qui s’est vite muée en coup d’Etat. Ce qui déclencha aussitôt une crise politico-sécuritaire au Mali.
C’est alors que les chefs d’Etat de la Cedeao avaient décidé de désigner Blaise Compaoré comme médiateur. Le 6 avril 2012, les acteurs de la crise, après des négociations à Ouaga, ont signé un Accord-cadre. Aux termes de cet Accord-cadre, « le président de la République démissionne officiellement de ses fonctions ». Comment cette démission du président Amadou Toumani Touré est-elle intervenue ? Comment et pourquoi ATT a accepté de partir ? Analyse.
Un rappel succinct des événements qui ont conduit à cette démission présidentielle, à seulement deux mois de la fin légale des mandats, est indispensable, puisque la chronologie des faits est en soi pédagogique.
Devant l’invasion du nord du Mali, courant janvier 2012, par des groupes armés combinés de Djihadistes, de narcotrafiquants et d’indépendantistes, rendue possible surtout par l’éclatement de la Lybie suite à la mort de Mouammar Khadaffi, une mutinerie violente avait éclaté aussi à kati et qui s’était ensuite vite muée en coup d’Etat.
L’intervention de la CEDEAO, dans cette situation militaro-politique alambiquée, avait consisté d’abord à condamner le coup de force en présence et à réclamer ensuite le retour à l’Ordre constitutionnel. Les chefs d’Etat de la CEDEAO avaient encore jugé utile de se rencontrer à Bamako afin de trouver un compromis politique allant dans ce sens.
Mais une horde d’individus s’était approprié le tarmac de l’aéroport, empêchant ainsi l’atterrissage des avions présidentiels. C’est alors que les Chefs d’Etat de la CEDEAO avaient décidé de désigner en leur sein le Président Blaise COMPAORE, alors Président du Burkina-Faso, comme médiateur. Mandataire des Chefs d’Etats de la CEDEAO, le Président COMPAORE avait choisi d’inviter à Ouagadougou les représentants de la junte militaire pour des négociations directes qui ont en effet abouti à la signature d’un Accord-Cadre le 06 Avril 2012.
Aux termes du Chapitre premier de cet Accord-Cadre, « le Président de la République démissionne officiellement de ses fonctions » et ensuite « le Président du CNDRE, conformément à sa déclaration solennelle du 1er avril 2012, déclenche le processus de mise en œuvre de l’article 36 de la constitution du 25 février 1992 ».
Le 08 Avril 2012, les médias ont rapporté la démission du Président ATT de ses fonctions de Président de la République. La suite des événements est bien connue par tous. Le Mali s’était trouvé dès lors doublement atteint : d’une part il vivait une crise institutionnelle grave, d’autre part sa partie septentrionale était de plus en plus occupée par des groupes armés affiliés. La crise politique avait entrainé la fracture de l’armée nationale et la course effrénée pour s’accaparer du pouvoir étatique.
Pour l’histoire
A l’anniversaire de ces moments difficiles, le rappel est un devoir. C’est aussi une opportunité idéale pour la constitution exacte de l’histoire. Le caractère pédagogique des crises aidant, nous pourrions davantage aborder l’avenir avec plus de sagesse et dans la confiance.
Au regard des faits, on peut s’interroger sur la sincérité de la démission du Président démocratiquement élu. En réalité, comme il avait lui-même affirmé dans sa lettre de démission, le Président ATT s’était vu « dans l’impossibilité d’exercer sa fonction », du fait du coup d’Etat, ce qui l’avait conduit à la démission. On peut également se rendre compte de l’ignorance délibérée de la souveraineté du Mali de la part de la CEDEAO, du fait notamment des contrariétés grossières qui ont existé entre notre loi fondamentale et l’Accord–Cadre signé entre les putschistes et la CEDEAO. Le Président de la République demeure la clé de voute des institutions dans la constitution de 1992. L’accord-Cadre, contrairement à celle-ci, avait plutôt placé le Premier ministre au cœur des institutions de la République.
Dans l’application dudit Accord-Cadre, on a cependant suivi les conséquences négatives d’une telle décision politique. Cet Accord-Cadre ne devait aucunement avoir le quitus de la classe politique, au-delà de leur clivage. L’engagement politique clair qui avait toutefois été observé à l’égard dudit Accord-Cadre autorise de nos jours à affirmer que l’intérêt supérieur de notre pays n’avait pas été la préoccupation essentielle des acteurs politiques en ces circonstances douloureuses.
La signature d’un Accord-Cadre entre des forces brutes et spontanées et le médiateur de la CEDEAO, dont la désignation ne prenait pas en compte certaines données politiques historiques et le mépris permanent de celui-ci contre le règne du droit, il ne pouvait pas alors favoriser la paix au Mali. Il ne pouvait pas non plus engager le Mali. La base de notre cohésion politique et sociale réside dans notre loi fondamentale. Chaque fois que celle-ci serait transgressée, c’est la paix politique qui serait ébranlée.
Le professeur Francis DELPEREE a doublement souligné : d’une part que : « sans doute un Etat doté d’une constitution, peut-il vivre comme si cette règle n’existait pas » ? D’autre part, il écrit encore que « suffit-il à un groupe d’hommes, même bien intentionnés, de se proclamer gouvernement provisoire et d’édicter quelques arrêtés pour faire naître le droit de l’Etat nouveau ?» (Droit Constitutionnel, les données constitutionnelles, Maison F. LARCIERsa, Bruxelles, Tome I, 2ème édition, 1987, P. 87). Le contexte démocratique ne permettait pas une accession autoritaire au pouvoir.
Il est important de rappeler que le consensus politique, revendiqué par certains hommes politiques en son temps, dans le but de désigner le Président de la République, ne pouvait prospérer, dans la mesure où cette démarche manquait bien de base constitutionnelle. Le triumvirat (Conseil Présidentiel) souhaité par le Président Dioncounda TRAORE était également contraire à notre constitution.
Tous ces deux projets politiques réalisaient en droit de nouveaux coups d’Etat. La vérité est qu’aucun consensus politique, fut-il important, ne peut valablement bousculer encore moins annuler la constitution. A l’opposé de ce principe, il faudra alors, dans une société démocratique, s’attendre à des conséquences juridiques fatales.
La démission du Président ATT ouvrait la voie à la seule application correcte de la constitution ; de ce pas, la paix serait préservée dans la mesure où toutes les manœuvres politiques seraient en conséquence anéanties. S’écarter de cette solution, forcément engendrerait par contre des conflits politiques importants comme il avait été observé.
Le silence profond du peuple et l’inaction calculée des hommes politiques devant le renversement autoritaire du gouvernement légal et légitime avaient constitué une jurisprudence regrettable qui n’augurait cependant pas un lendemain serein pour notre démocratie. Ces réponses négatives n’ont pu ainsi dissuader d’autres groupes, peu de temps, qui ont dès lors tenté à leur tour de s’accaparer par la force du pouvoir. Le bilan macabre lourd de ces affrontements entre militaires n’était-il pas la conséquence directe de turpitudes politiques adoptées ?
Le successeur immédiat du Président ATT ainsi que l’actuel n’ont–ils pas essuyé aussi les effets pervers des arguties juridiques fabriquées dans l’Accord-Cadre, puisque les situations qui avaient généré les conflits pour lesquels la junte avait été anéantie, prenaient bien leur source dans l’Accord-Cadre, élaboré au mépris de nos réalités. C’est à ce titre que l’analyse de la portée de cette démission devenait une nécessité notamment dans le cadre de la poursuite démocratique au Mali.
Au plan politique : il est important alors d’avoir à l’esprit que des questions spécifiques demeureront toujours des affaires internes des Etats. Le règlement de celles-ci relèvera toujours des seuls citoyens et sur la base de la seule loi fondamentale du pays et des aspirations du peuple. Le peuple burkinabé a démontré récemment la véracité de ce principe.
Les burkinabè ont compris et affirmé que la CEDEAO n’était pas un Etat fédéral mais que celle-ci reste seulement et seulement une organisation communautaire et qu’à ce titre, elle ne peut valablement ni empêcher un Etat-membre d’appliquer sa loi fondamentale ni décréter l’embargo contre un Etat-membre comme il avait été le cas contre le Mali. Aucune base juridique n’existait à cette fin. Les solutions politiques adoptées du médiateur avaient suffisamment démontré leur caractère inefficient et inefficace.
Nous devons toujours rester soudés autour de notre constitution qui consacre l’unité nationale et notre souveraineté, quelque que soit la gravité d’une situation donnée. Dans la construction de la démocratie, les citoyens jouent un rôle déterminant. A un moment donné, la détermination du peuple à participer à la gestion de l’Etat est essentielle. Notre constitution a, à cet effet consacré que « le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat ».
Le professeur Jean-Denis BREDIN a rappelé qu’en France : « les partis politiques se battent souvent sur des conflits artificiels, vieillis, scolastiques, qu’entretiennent leur mythologie et le discours rituel : en revanche, ils sont pauvres d’idées sur les problèmes essentiels qui devraient être de ceux des vrais affrontements » (in revue Pouvoirs, le consensus, PUF, Paris n° 5, 1978, P ?41). Il est dès lors difficile pour les citoyens de compter toujours sur les seules actions des acteurs politiques habituels.
Au plan juridique : la suprématie de la constitution, remise en cause pendant et après les événements douloureux des 21 – 22 Mars 2012, doit être cependant davantage cultivée. La loi d’amnistie votée en faveur des putschistes contredit formellement notre constitution qui dispose clairement que « tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien » (article 121 de la constitution de 1992 en vigueur).
L’amnistie ainsi adoptée est seulement nulle et non avenue. Elle ne peut que précipiter davantage le chaos dans un Etat. L’Etat de droit est un corollaire de la démocratie. Les règles constitutionnelles sont bien au fondement de notre unité, occulter celles-ci, reviendrait à favoriser voire à provoquer l’éclatement de l’Etat.
Le professeur Philippe ARDANT a rappelé que : « les dispositions concernant la désignation du Chef de l’Etat, l’élection des députés, la création d’une Cour chargée de veiller au respect de la constitution, les relations entre les chambres, la révision de la constitution…etc., forment le noyau dur de la constitution ». Dès lors « ces règles sont obligatoires pour les pouvoirs publics » (Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, LGDJ, Paris, 19e éd, 2007, P66). Aucune autorité étatique ne peut valablement s’en écarter.
Le professeur J. DABIN rappelle aussi que « la constitution d’un Etat est le principe générateur, régulateur et animateur de tout le système étatique » (In F.DELPEREE, Droit Constitutionnel : les données constitutionnelles,. F Larcier, Bruxelles, tome I, deuxième édition, P.23). La constitution ne s’oppose nullement pas à la paix, au contraire, la paix demeure son objectif majeur. C’est la raison pour laquelle, le Président ATT avait fait appel à la constitution en démissionnant de ses fonctions.
Comme en 1992, lorsqu’il avait refusé la prorogation de son pouvoir à la tête de l’Etat au nom de son serment d’officier, l’histoire retiendra, une fois de plus, le geste si majestueux et si responsable du Président ATT qui avait permis le retour à l’Ordre constitutionnel normal dans notre pays. C’est bien cette décision difficile mais noble du Président ATT qui avait mis en échec la tentative autoritaire d’usurpation du pouvoir du 22 mars 2012.
En acceptant tout de même de quitter le pouvoir, le Président ATT venait de déclencher lui-même la mise en œuvre de l’article 36 de notre constitution qui avait conduit le Président de l’Assemblée Nationale au pouvoir présidentiel. C’est son engagement pour la paix et son amour envers son pays qui ont évité au Mali le pire.
La résistance du Président TOURE et de ses alliés, à conserver le pouvoir en ces instants difficiles, aurait pu aggraver la situation chaotique que l’on vivait au pays. Sinon, sous quel fondement juridique pouvait-on contester de façon avérée sa résistance, du moment où il disposait encore de la légitimité obtenue par onction populaire face à des forces perdues et en ruptures de banc ?
Pour éviter davantage « la sécheresse des espoirs déçus », la réflexion politique doit être encore poussée (Philippe GUILHAUME, Jules Ferry, Albin Michel, paris, 1992, P.4).
L’une des leçons qui ressort de l’échange entre l’Archevêque CAREY et le Cardinal DALY, dans la recherche de la paix durable après de graves crises, c’est que « les regrets formulés au nom d’une communauté et susceptibles d’avoir le plus de portée sont ceux qui émanent des personnalités en exercice » William BOLE, (Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, Nouveaux Horizons, Paris, 2004, P.73). La Vérité restant la source de paix, elle doit donc être révélée et au moment opportun.
Mamady SISSOKO
Docteur d’Etat en Droit public
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