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L’avenir politique au Mali : Les paradoxes et les contrastes
Publié le mardi 3 mai 2016  |  L’Essor




Ménaka en contrepoids de Kidal, les grandes urgences contrariées par les petites combines, l’interpellation préférée à l’ultimatum. Les contraires ne manquent pas dans notre actualité

Les réalités nationales résultent plus souvent de la juxtaposition des contrastes que de l’addition des similitudes. Aux généralisations hâtives qui tentent parfois d’unifier les inconciliables et à la négation des nuances, il faut savoir opposer la coexistence des paradoxes et la cohabitation des contradictions. Cette approche qui relève du réalisme le plus élémentaire devrait être adoptée sans hésitation dans l’analyse de la situation d’un pays comme le nôtre qui doit demeurer constamment attentif à la survenue de complications imprévues et à l’apparition de nouvelles tendances. Ni les premières, ni les secondes ne viennent en fait bouleverser fondamentalement les choix stratégiques faits pour sortir de la crise. Elles n’altèrent pas non plus le socle des convictions raisonnables acquises. Mais elles remettent en mémoire la complexité du défi à relever et elles rappellent la nécessité d’une culture de la réactivité.



C’est donc sous l’angle du contraste et du paradoxe qu’il serait intéressant d’analyser les événements qui se sont produits ces dernières semaines au Septentrion. Ces événements confirment les tendances qui se sont progressivement et durablement établies depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Ils opposent tout d’abord la profonde aspiration d’un retour à la normale qu’expriment toutes les populations du Septentrion aux calculs et aux manœuvres auxquels n’ont toujours pas renoncé certains protagonistes de la crise. Le très fort désir de paix qu’expriment les simples citoyens n’amène certes pas un effacement immédiat et total de tous les malentendus nés entre les communautés dans les périodes les plus insupportables de tension. Il n’éteint pas non plus chez les victimes d’exactions le désir de justice, ni n’atténue chez elles l’exigence d’un châtiment pour les auteurs des pires excès. Mais il permet de ne plus ériger le traitement définitif de ces deux points en préalables incontournables à l’entame de tout dialogue.

Il est donc déjà possible de commencer à décompter les signes positifs qui se manifestent au Nord du Mali. A cet égard, le forum de Ménaka qui s’est ouvert vendredi de la semaine dernière représente le parfait contrexemple de l’acte manqué qu’a constitué la réunion de Kidal. La capitale de la nouvelle Région administrative avait eu le triste privilège d’avoir été le vrai point de départ de la rébellion de 1990, puis d’avoir vu les éléments intégrés de sa garnison rallier rapidement les rebelles du 23 mai, auteurs de l’attaque du camp de Kidal en 2006.

L’ANTITHÈSE DE KIDAL. Mais au cours de la crise actuelle, Ménaka a fait partiellement oublier la réputation fâcheuse qui lui avait été accolée. Elle été la première localité d’importance retirée par le GATIA à l’emprise de la Coordination des mouvements de l’Azawad. La libération de la ville a, en outre, eu l’utilité de vérifier les limites militaires du MNLA qui avait lancé plusieurs tentatives infructueuses de reconquête. La ville avait également vu sa population désavouer lors de manifestations massives le modus vivendi déséquilibré instauré par les forces onusiennes, modus vivendi qui avait confiné les forces armées maliennes et mis les habitants sous la coupe réglée des combattants de la CMA.

Ménaka est donc, tout comme Kidal, porteuse de symboliques aussi diverses et contradictoires que le sont les rapports entre les tribus établies sur son territoire. Mais à l’inverse du chef-lieu de la 8ème Région, la toute nouvelle capitale régionale peut se permettre d’envisager l’avenir sous des perspectives positives. Elle a déjà inscrit dans ses annales un tournant majeur dans la gestion des conséquences des événements du 20 mai 2014. Aujourd’hui, la ville pourrait jouer un rôle pilote dans le rapprochement des communautés qui avaient toujours exprimé avec force leur appartenance au Mali ; dans le retour effectif de l’administration avec notamment la nomination d’un gouverneur dans lequel se reconnaissent les populations ; et dans la mise en place d’un dispositif sécuritaire consolidé incluant alliant FAMas et éléments des anciens groupes armés.

Ménaka est, à bien des égards, l’antithèse de Kidal, localité devenue le chaudron des intrigues les plus meurtrières et des manipulations les plus explosives. La capitale des Ifoghas paie à l’heure actuelle le tribut de toutes les ambiguïtés qui y ont été tolérées et de toutes les anomalies qui ont pu y prospérer. Les forces onusiennes qui avaient le devoir de faire régner l’ordre dans la ville avaient bien vite renoncé à cette mission, puisque celle-ci les amenait inévitablement à se confronter aussi bien aux combattants de la rébellion qui avaient leur propre dispositif de quadrillage qu’aux éléments infiltrés d’Ançar dine qui ne se seraient jamais pliés à un contrôle quelconque. En outre, les Casques bleus avaient – et cela bien avant le 20 mai 2014 – largement démontré qu’ils n’avaient pas la maitrise nécessaire pour s’opposer aux mouvements de foule, même ceux de faible ampleur. Le « caillassage » de plusieurs convois gouvernementaux et l’envahissement à répétition de la piste d’atterrissage pour bloquer l’arrivée des délégations officielles maliennes n’avaient enregistré aucune prise de mesures particulières par les troupes internationales.

Ce qui s’est passé à Kidal le 18 avril n’est malheureusement que la réédition – mais cette fois-ci portée à une échelle tragique – de précédents débordements organisés. En attendant que des investigations plus poussées permettent de déterminer l’origine des tirs mortels et le degré de violence programmé par les organisateurs de la manifestation, deux constats se dégagent déjà. En premier lieu, la MINUSMA a enfin choisi de durcir nettement le ton contre les fauteurs de troubles.

UN MAL PROFONDÉMENT INCRUSTRÉ. Ces derniers ont causé d’importants dégâts sur les installations aéroportuaires et vont gravement perturber l’acheminement des aides vers Kidal. La Mission, et à sa suite l’UNICEF, ont aussi choisi de dénoncer pour la première fois l’instrumentalisation des enfants. La condamnation arrive tardivement. Les gosses ont été, en effet, régulièrement expédiés aux avant-postes au cours de ces trois dernières années par des boutefeux dont les intentions, l’identité et les accointances n’ont jamais fait l’objet d’un doute.

Le deuxième constat concerne la réaction vigoureuse de Barkhane après la mort de trois de ses soldats, tués dans ce qui, de toute évidence, était une embuscade. Les interpellations auxquelles ont procédé les forces françaises entérinent un fait connu de tous : les djihadistes tiennent officine à Kidal. Ce qu’y font exactement leurs agents reste encore à éclaircir. Mais déjà la rapidité du contre-feu allumé par les organisatrices de la manifestation de « protestation », la célérité avec laquelle s’est construite la proposition d’échange entre les individus interpelés par Barkhane et les otages supposément capturés par AQMI et la réaction plus que modérée de la CMA devant l’accumulation d’événements pour elle contrariants sont autant d’éléments qui témoignent du degré de l’anormalité dans laquelle s’est installée la capitale de la 8ème Région.

L’infléchissement dans l’attitude Barkhane et le début de fermeté dans les jugements de la MINUSMA marquent-ils l’amorce d’un refus de tolérer la perpétuation de cette anormalité ? Sans doute. Mais le mal s’est si profondément incrusté dans la ville, le partage actuel des rôles agrée à un tel point aux différents acteurs, les compromis tacites se sont si fortement transformés en mode de cohabitation qu’une inversion des phénomènes négatifs et des us discutables n’est certainement à espérer ni dans l’immédiat, ni dans un proche avenir. Or, répétons-le, la prolongation du statu quo se fait au détriment des populations elles-mêmes. Et quelque soit l’autorité intérimaire qui s’installera, elle ne mettra pas fin au désordre que porte en lui le système en place.

Le chemin de la paix dans le Nord du Mali est jalonné d’autres contrastes. Comme celui que crée le décalage entre les grands challenges et les petites combines. Mentionnons pour mémoire les querelles qui n’en finissent pas de secouer le MNLA et qui ont enregistré un énième épisode avec la démission de Moussa Ag Assarid de son poste de représentant du Mouvement pour l’Europe. Il est cependant inutile de s’attarder plus que de raison sur le nouveau coup médiatique d’une personnalité qui parvient à faire parler d’elle sans rien énoncer ni de nouveau, ni de substantiel. Mais qui ne s’aperçoit sans doute pas que le jeu qu’elle pratique est passé d’époque et que faute d’avoir eu l’intelligence de prendre le train de l’Histoire, elle s’expose à rester durablement à quai.

Par contre, le vol d’armes de guerre dans certaines structures des FAMAs et leur revente à des responsables des groupes rappellent malheureusement qu’il ne faut pas négliger ce qui constitue l’écume des entreprises majeures. Ainsi que nous l’avions mentionné dans une précédente chronique, les opérations d’identification des ex-combattants des divers mouvements donnent lieu à un méprisable business. Méprisable, parce qu’il surfe sur la vulnérabilité de jeunes sans emploi et en fait les victimes d’une foire aux illusions. Méprisable aussi, parce qu’il va infailliblement ajouter le désespoir au désarroi de centaines de déçus.

UN PORTEFEUILLE GONFLÉ. En cette amorce du mois de mai, les contrastes se repèrent aussi sur le front social. Alors que les principaux acteurs de la scène publique avaient choisi de mettre un bémol à leurs activités pendant la convalescence du président de la République, la Confédération syndicale des travailleurs du Mali avait maintenu sa marche pacifique programmée en milieu de semaine dernière. Au final, le résultat été notablement éloigné du battage médiatique qui avait précédé l’événement. La CSTM et les associations qui l’ont accompagnée sont en effet tombées dans l’erreur que commettent très souvent les mouvements de contestation en se méprenant sur l’humeur réelle du pays et en surestimant la légitimité dont ils jouissent dans l’esprit du citoyen moyen.

Le climat social est effectivement lourd en raison d’une conjoncture économique peu réjouissante, les délestages et la privation d’eau pèsent de manière parfois insupportable sur le quotidien des Bamakois et les intérêts contrariés suscitent de manière inopinée des alertes localisées, la dernière étant la grève de courte durée des promoteurs des écoles privées. Mais la Confédération n’a pas la capacité d’attirer sous sa bannière les gros contingents d’insatisfaits. Ceux-ci ont pris l’habitude d’organiser leur propre combat plutôt que de laisser celui-ci récupéré par un intervenant extérieur ou de voir leur cause annexée dans un ensemble global.

La CSTM se rattrape en ratissant une multitude de causes souvent mineures. Ce qui gonfle son portefeuille de revendications (trois nouveaux points ont été par exemple ajoutés après la marche), mais rend celui-ci difficile à traiter par les interlocuteurs gouvernementaux en raison du caractère bigarré des dossiers. La tactique de la Confédération s’oppose à celle de l’UNTM, qui forte de sa capacité de mobilisation récupérée et étalée lors des dernières grèves, s’évite le recours aux ultimatums perpétuels. Mais la centrale, qui fera bientôt le point sur l’exécution du protocole d’accord signé avec le gouvernement en octobre 2014, ne s’ôte pas entretemps son droit d’interpellation des autorités. Elle fait sentir son ambition de peser sur la vie publique en évoquant des thèmes comme la politisation des nominations dans l’administration ou encore les difficultés dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Deux sujets qui trouvent un écho chez les Maliens lambda.

L’actualité n’est avare ni en inquiétudes non évacuées, ni en demandes de certitudes. Apaiser les premières peut à certains moments ressembler à un perpétuel recommencement, notamment en ce qui concerne la gestion de l’impératif sécuritaire et la reconquête de la stabilité. Répondre raisonnablement aux secondes est possible en restant sur une ligne de principe réitérée avec constance. C’est la seule manière de gérer nos paradoxes et nos contrastes. Sans les endurer. Sans être handicapé par eux.

G. DRABO
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