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Mohamed Ali Bathily, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières (2) : « L’administration doit arrêter de produire des faux documents »
Publié le mercredi 4 mai 2016  |  L’Essor
Point
© aBamako.com par Androuicha
Point de presse du ministre des affaires foncières et des domaines de l`Etat
Bamako, le 27 juillet 2015 au cabinet du ministère des affaires foncières et des domaines de l`Etat. Le ministre Mohamed Ali Bathily a tenu un point de presse au sujet de la démolition des constructions illicites deSouleymanbougou en commune I du district de Bamako.




Après avoir souligné l’ampleur du phénomène de la spéculation foncière, le ministre Bathily expose les solutions qu’il préconise pour y mettre fin. L’Essor : Quelle solution préconisez-vous à l’accaparement des terres des paysans ?
Mohamed Ali Bathily : La spéculation foncière est aussi grande ailleurs. Bamako a un avantage et un inconvénient : il y a beaucoup de gens ainsi que les autorités, etc. On a remarqué que dans les régions, on se réveille en retard par rapport à la capitale, mais quand on commence, les choses vont plus vite. Comment expliquer qu’à Sikasso, un titre foncier a été créé sur tout le village de Laminbambala pour le donner à une société ? Laminbambala est le village voisin au camp militaire de Sikasso qui est le dernier bâtiment administratif de la ville. Le village existe depuis des lustres avec ses champs, son école, etc. Le village suivant, situé à 3 km de Laminbambala, a également été donné comme titre foncier. On leur a donné 6 mois pour libérer les lieux et s’installer à 10 km loin du goudron, sans dédommagement, ni rien.
Je n’ai pas vu un exemple aussi gros à Bamako. Nous avons porté plainte mais ces plaintes n’évoluent pas. Ceux qui s’occupent généralement des dossiers bloquent les plaintes en misant sur le fait qu’au Mali, les ministres ne durent pas à leurs postes. Ils ne comprennent pas qu’il ne s’agit pas du problème d’un ministre. Aujourd’hui, grâce à Dieu, les gens refusent de bouger quand on leur explique la loi, ils commencent à comprendre et créent des associations qui s’opposent aux spéculateurs. De plus en plus, les gens ne se laissent plus faire. La solution consiste à parler aux paysans, à leur expliquer la loi et faire d’eux des partisans de la loi c’est-à-dire des gens qui défendent la loi et donc qui refuseront sa violation. Il s’agit de combattre au plan pédagogique à travers l’explication des lois.
L’Essor : Depuis votre arrivée aux affaires, le département des Domaines a décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Quelle est votre stratégie ?
Mohamed Ali Bathily : Notre stratégie consiste à restituer les terres à leurs propriétaires en menant les procès contre les faux documents qui les leur retirent. Pendant que ces procès sont en cours, les propriétaires des terres continueront à les exploiter. Il s’agit aussi d’amener l’administration elle-même à s’auto-évaluer et à comprendre que si elle n’y prend garde, elle va être la source d’un conflit social. Notre objectif est d’avoir un contrôle plus strict sur les actes posés par l’administration. Des procédures sont instruites au niveau du Camp I.
L’autre stratégie, c’est aussi d’expliquer aux gens que la loi donne à la personne le droit de se défendre. La terre appartient au paysan. Si la loi ne le protège pas et au contraire vient l’attaquer en violation des propres procédures qu’elle a instaurées, il a droit à la légitime défense. C’est pourquoi nous conseillons aux paysans, que si quelqu’un vient les agresser en mettant des bornes sans enquête préalable, de les enlever puisque les bornes sont la marque de la spoliation des terrains. S’il fait un forage, nous leur disons de le boucher parce qu’il a le droit de défendre son terrain.
Autre réalité : au Mali, la dévolution successorale se fait selon la coutume du défunt et les gens ne vont pas toujours à la justice pour partager l’héritage. Généralement, ce ne sont pas des biens coutumiers mais des biens hérités. Étant donné que la loi reconnaît l’héritage selon la coutume, si les paysans ont hérité de leurs terres pourquoi quelqu’un pourrait s’assoir dans son bureau pour créer un document et attribuer l’héritage du père d’un paysan à un commerçant ?
L’Essor : Est-il possible de vendre les terres des paysans à leur insu ?
Mohamed Ali Bathily : Vous n’avez pas tout à fait tort. Dans certains villages, certains paysans s’associent aux spéculateurs qui leur remettent des miettes. Aujourd’hui encore dans nos villages, les biens sont collectifs ou communautaires et tant que cela existe, ils appartiennent à la fois à chaque individu et à toute la collectivité. Cela signifie que chaque membre est propriétaire d’une portion de ce bien et quel que soit le villageois qui veut vendre muni d’un document, il ne peut vendre que la portion lui appartenant.
L’Essor : Les titres fonciers déposés auprès des banques feraient eux aussi l’objet d’une grande spéculation et influeraient négativement sur le fonctionnement des banques. Qu’en est-il exactement ?
Mohamed Ali Bathily : Il faut juste jeter un coup d’œil sur le taux des suretés foncières dans nos banques. Ce taux dépasse largement le taux fixé par la Commission bancaire. Il y a un problème d’insolvabilité des gens qui déposent les titres et ne payent jamais. Raison pour laquelle, j’ai mentionné ci-dessus (ndlr : dans notre édition d’hier) le cas de la BHM qui est passée sous le contrôle de la BMS. Les titres fonciers sortent, au moins, une centaine de milliards de Fcfa des banques par an. Nous sommes informés parce que quand les banques prêtent de l’argent, elles prennent en hypothèque les titres fonciers et viennent inscrire les hypothèques chez nous. Donc nous savons ce que tel titre a gagné dans quelle banque. Souvent, les gens ne payent pas et la banque est obligée d’aller vendre le terrain et c’est au moment de vendre que les vrais propriétaires sont mis au courant que des titres sont créés sur leurs terrains. Donc, on crée des titres fonciers sur les maisons des gens à leur insu. Quand j’étais ministre de la Justice, j’ai vu un Monsieur à la retraite dont la maison a fait l’objet d’un titre foncier. Le porteur du titre avait contracté un crédit de 180 millions de Fcfa à la banque qu’il n’a jamais remboursé. Un jour, des huissiers de la banque et des acquéreurs se présentent chez le propriétaire de la maison pour l’hypothéquer. C’est comme ça qu’il a appris que sa maison avait fait l’objet d’un titre foncier. Il a piqué une crise cardiaque et en est mort.
L’Essor : Qu’en est-il de la situation particulière de la zone aéroportuaire ?
Mohamed Ali Bathily : C’est là une question très délicate. La zone aéroportuaire constitue toujours un risque. Les accidents d’avion, selon les statistiques, surviennent à 80% au moment de l’atterrissage ou du décollage. Raison pour laquelle on dégage la zone que survolent tous les avions qui décollent ou atterrissent. Dans les pays côtiers, cette zone correspond généralement à la mer. Donc même s’il y a un accident (on ne le souhaite pas), les conséquences sont limitées car l’avion ne tombera pas sur des habitations. Étant donné que nous n’avons pas de littoral, le Mali doit définir une zone de dégagement de toute habitation qui s’étend sur 7 km à partir de la piste d’atterrissage. C’est ce qui a été fait à Sénou en 1974. La zone s’étend vers Sirakoro Méguétana mais n’arrive pas au village.
La situation est telle qu’aujourd’hui, les gens ont progressivement occupé les terrains jusqu’aux bornes. Certains ont franchi les bornes et ont commencé à construire au-delà. L’occupation a été faite sous le contrôle du maire du District de Bamako, Adama Sangaré, du maire de Kalabankoro et du chef de village de Sirakoro. Des milliers de personnes occupent l’endroit.
Imaginez-vous un avion rempli de 40 000 litres de carburant au décollage qui tombe en survolant la zone aéroportuaire. Quelles peuvent en être les conséquences ? Quelle sera la responsabilité ? On dira ce jour (que Dieu nous en garde) que c’est le gouvernement qui a laissé faire. Pourtant aujourd’hui, on demande aux gens de quitter, ils ne veulent pas. C’est assez préoccupant parce qu’ils sont en danger. Le problème c’est que l’occupation continue parce que les gens se disent que l’Etat est faible. A Souleymanbougou, nous avons essayé de déguerpir les gens, mais les religieux s’en sont mêlés et on a interrompu l’opération. Cette interruption, pour moi, a décrédibilisé l’Etat et a encouragé tous ceux qui sont dans l’illégalité à s’y conforter. Si on avait été au bout de la responsabilité de l’Etat à Souleymanbougou, personne ne se serait entêté à y aller.
Quand j’ai été à l’aéroport, il paraît que des prêcheurs ont incité les gens à me maudire ou à me sortir du gouvernement. Le jour où il y aura une catastrophe, peut-être aussi qu’ils réuniront les gens pour leur dire que le gouvernement n’a pas pris ses responsabilités. En dernière analyse, j’estime que ces maisons doivent disparaître de la zone ou alors, l’aéroport doit en disparaître.
L’Essor : Au vu de toutes ces difficultés, on est tenté de dire que vous prêchez dans le désert.
Mohamed Ali Bathily : Non, pas du tout. Les sociétés n’ont pas évolué d’elles-mêmes sans conviction. Quand le laisser-aller va atteindre une certaine limite, la solution sera aussi d’opposer aux pratiques malsaines persistantes des actions légitimes. Notre Constitution dit qu’on a le droit de se soulever contre l’arbitraire. Il faut l’expliquer aux citoyens et s’assumer. Il faut éviter de violer ses propres lois. Ma conviction est que chacun a intérêt à ce que la loi soit bien appliquée. Sinon c’est la rue qui va venir régler son compte. Nous avons le choix de nous sauver du chaos ou d’appliquer les lois.
L’Essor : Ne pourrait-on pas parler de fuite de responsabilité de l’Etat face à la question si préoccupante du foncier au Mali ?
Mohamed Ali Bathily : Il n’y a pas de fuite de responsabilité de l’Etat. Nous avons trouvé que l’Etat était totalement désarticulé. Il n’y avait pas d’Etat. Il y avait des relations et l’argent qui permettaient de gérer les problèmes et les dossiers de l’Etat. Il s’agit de trouver une solution à ce problème.
L’Essor : Quels sont les dossiers urgents à gérer dans votre agenda ?
Mohamed Ali Bathily : Au nombre des dossiers urgents figure la réforme domaniale et foncière. Nous sommes en train de rédiger le document de politique foncière. Nous voulons notamment sécuriser la gestion foncière et parvenir à instaurer autour des villages, des espaces ou l’administration n’aura pas le droit d’intervenir. Nous voulons donner un statut juridique aux terres agricoles et faire en sorte que le paysan puisse dormir tranquillement. Nous voulons aussi sécuriser les documents fonciers en les dématérialisant c’est-à-dire en les informatisant à travers un processus de création d’un système d’information foncière qui va conduire à créer à la fois un cadastre juridique. Nous travaillons à faire en sorte qu’il n’y ait pas de chevauchement ou double attribution sur des terrains.
L’Essor : Les perspectives de la lutte contre la spéculation foncière ?
Mohamed Ali Bathily : Je ne parlerais pas de lutte, mais nous allons travailler à améliorer la gestion foncière en informant les citoyens le plus possible sur la gestion foncière, en mettant beaucoup de transparence dans cette gestion et en faisant en sorte qu’à chaque fois (et ce qui n’est pas dans la loi actuellement) que l’administration s’aperçoit que les lois n’ont pas été appliquées au moment de la délivrance des documents fonciers, qu’elle ait le droit de les enlever purement et simplement sans pousser les citoyens aux procès et autres. Il s’agit de limiter la capacité d’accès des gens aux faux documents. La sécurisation proviendra de la sécurisation des documents fonciers. Il faut aussi œuvrer pour que l’administration arrête de produire des faux documents.
L’Essor : Avez-vous les moyens de vos ambitions ?
Mohamed Ali Bathily : En parlant de moyens, les gens croient qu’il s’agit d’argent. Ma conviction est qu’un homme formé vaut mieux que 10 chars alignés. L’information est primordiale. Si on en est arrivé là, c’est que les paysans n’ont pas été correctement informés sur leurs droits. Souvent, les agents agissent mal aussi parce qu’ils sont mal formés. Information et formation combinées peuvent aboutir à des résultats positifs. Aujourd’hui, les paysans se mobilisent. Il a suffi de quelques déclarations diffusées en bambara pour qu’ils se mobilisent. Personne ne pourra défendre les droits des paysans si ce n’est eux-mêmes.
L’Essor : Êtes-vous optimiste quant à l’assainissement du secteur ?
Mohamed Ali Bathily : Il faut être optimiste. Une fois les idées formulées elles feront leur chemin. Personne ne pourra arrêter les informations que nous diffusons sur la législation foncière. Les radios libres reprennent les infos et les paysans s’en emparent, après il y croient et s’interrogent sur la façon dont leurs terres leur ont été prises.
L’Essor : Êtes-vous parvenus à des résultats ?
Mohamed Ali Bathily : Aujourd’hui, beaucoup de spéculateurs ont peur. Mais il y a des agents qui ne relèvent pas de nous comme les maires, les préfets, les gouverneurs mais, même là, ils savent que leurs documents peuvent être rejetés à notre niveau et s’ils sont rejetés, ils n’ont plus de sens et des poursuites peuvent en découler. Quelque part, il y a une rupture dans la chaîne de complicité. Notre détermination est de saper la complicité qui existait et mettre les agents indélicats en difficulté.
L’Essor : Avec quels services collaborez-vous pour l’assainissement du secteur ?
Mohamed Ali Bathily : Mes services travaillent en synergie avec les ministères de l’Administration territoriale, de la Décentralisation. Au niveau de l’aéroport, nous travaillons avec le ministre en charge des Transports. Nous essayons de coordonner toutes les actions pour parvenir à des solutions partagées. Le vrai problème concerne le comportement des gens. Pour moi, si dans un pays, 80% des dossiers en justice portent sur le foncier, c’est qu’il y a un gros problème à résoudre.
L’Essor : Si on vous demandait de formuler un vœu, lequel feriez-vous ?
Mohamed Ali Bathily : Je formulerais le vœu que notre pays retrouve sa sérénité, la paix dans le respect des uns et des autres. Mon vœu le plus cher c’est que nous retournions aux vertus du respect de la loi.
Propos recueillis par
F. MAÏGA
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