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Péril environnemental au Mali : Le gouvernement cautionne le sacrifice des vies
Publié le mercredi 15 juin 2016  |  Le Reporter
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© aBamako.com par A.S
Ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Ousmane Koné




La pollution au mercure et au cyanure ! Tel est le nouveau défi qui s’ajoute aujourd’hui à la longue liste des conditions indispensables à la croissance économique du Mali. À cause de l’orpaillage dans le lit du fleuve Niger dans plusieurs localités riveraines, notamment dans le Mandé, les eaux du Djoliba (fleuve Niger) et leurs ressources comme le poisson sont aujourd’hui impropres à la consommation. Sans compter ces dizaines de milliers d’enfants (entre 20 et 40 000) qui sont au contact permanent avec le mercure sur les nombreux sites d’orpaillage.

«Le problème du fleuve ne date pas d’aujourd’hui», nous rappelait Sonia Duchesse, une amie activiste française, après la publication d’un de nos articles sur la pollution du Niger. Bien évidemment, aux eaux usées des teinturières, des rares industries du pays ; des intrants utilisés par les paysans et les maraichers… s’est greffée une autre source de pollution très nocive. C’est l’utilisation des dragues pour exploiter l’or dans le lit de ce cours d’eau vital pour la grande majorité des populations maliennes. Le gravier extrait est traité avec du mercure et du cyanure pour extraire les pépites d’or. Un crime contre notre écologie voire contre l’humanité (la vie de plusieurs générations de riverains est ainsi menacée sur des décennies) au vu et au su de tous.

Ce n’est un secret aujourd’hui que le mercure est l’un des métaux les plus dangereux pour non seulement notre santé, mais également pour l’environnement (les plantes, les ressources en eau et halieutiques, les animaux, les insectes…). À l’essor de l’orpaillage, sous une forme différente des traditions bien connues chez nous, car privilégiant l’usage des produits chimiques, le mercure et le cyanure sont devenus des menaces graves pour le Mali. De nos jours, selon des estimations concordantes, entre 20 000 et 40 000 enfants travailleraient dans le secteur de l’exploitation aurifère artisanale (orpaillage) au Mali. La plupart commence à travailler dès l’âge de six ans, donc au mépris de l’accès à l’éducation, qui est l’un de leurs droits fondamentaux.

Sur les sites d’orpaillages qui ne cessent de se multiplier dans notre pays, ces enfants sont soumis à quelques-unes des pires formes du travail des enfants entraînant des blessures, une exposition à des produits chimiques toxiques voire la mort. Beaucoup d’enfants souffrent de graves douleurs à la tête, au cou, dans les bras ou dans le dos, et risquent à long terme des lésions à la colonne vertébrale en raison des charges pesantes qu’ils déplacent et des mouvements répétitifs qu’ils exécutent.

Un chaos sanitaire à l’horizon

Les enfants orpailleurs sont également exposés au mercure, une substance extrêmement toxique, lorsqu’ils effectuent l’amalgamation du minerai aurifère et du mercure, brûlant ensuite l’amalgame pour récupérer l’or. Selon de nombreux spécialistes, le mercure s’attaque au système nerveux central et se révèle particulièrement nocif pour les enfants. Les enfants travailleurs risquent un empoisonnement au mercure, qui entraîne une série d’effets neurologiques, notamment des tremblements, des problèmes de coordination, des troubles de la vue, des maux de tête, des pertes de mémoire et des problèmes de concentration.

«Les effets toxiques du mercure ne se remarquent pas immédiatement mais se développent au fil du temps. Pour les personnes qui ne sont pas des experts médicaux, ils sont difficiles à déceler», déplore un récent rapport d’Human Rights Watch. «La plupart des orpailleurs adultes et enfants n’ont pas conscience des graves risques qu’ils encourent sur le plan de la santé en utilisant du mercure», précise l’ONG. «Le mercure est hyper dangereux alors comment se fait-il que les orpailleurs l’utilisent sans aucune précaution et mettent des vies en danger dont la leur ?» s’interroge Sonia. Pourquoi le gouvernement malien ferme les yeux sur l’activité des orpailleurs ? Qui fournit le mercure et d’où provient-il ? Ce sont, entre autres questions, qu’on nous a posées après la publication d’un premier article sur le sujet, il y a deux semaines (Le Reporter N°209 du 31 Mai 2016).

Cette activité inhumaine, qui menace aujourd’hui notre environnement et surtout les enfants censés représenter l’avenir d’une nation, est très lucrative. Elle rapporte de l’argent à l’Etat (impôts et taxes), à des collectivités décentralisées, aux services de contrôle… Mais il est clair que le coût de la réparation est inimaginable quand les effets de l’utilisation de ces produits chimiques vont commencer réellement à se manifester sur les populations et notre environnement. Présentement, craignent des experts indépendants, il est impossible de contenir les ravages que le mercure va provoquer avec une pollution destructrice à tous les niveaux. «Ce problème n’a pas commencé aujourd’hui. C’est ce qui m’inquiète le plus car cela voudrait signifier que, dans votre pays, personne ne prend la chose au sérieux. Je pense aux organismes humanitaires mais aussi les autorités nationales, ainsi que la responsabilité des négociants en or», s’interroge Sonia Duchesse.

Interdire l’importation et son usage dans l’orpaillage

Qui fournit le mercure ? D’où vient-il ? De nos investigations, il ressort aussi que le mercure et le cyanure sont au cœur d’un juteux trafic à partir notamment de la Guinée Conakry, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. «Je ne peux pas vous donner de chiffre précis n’ayant pas les statistiques à portée de main, mais la quantité déclarée à l’importation par des opérateurs économiques est très en deçà de celle qui est utilisée rien que dans l’orpaillage», confirme une responsable des douanes maliennes qui a requis l’anonymat. Le gouvernement malien a entrepris une démarche encourageante en prenant certaines mesures importantes pour protéger les droits des enfants. Il a déclaré illégal le travail dangereux des enfants dans les mines artisanales. En juin 2011, il a aussi adopté un Plan d’action national pour l’élimination du travail des enfants. Des mesures dont la mise en œuvre fait rarement objet de suivi rigoureux. En ce qui concerne le mercure, le gouvernement s’est engagé à appuyer les mesures de réduction de son utilisation prévues dans le futur Traité international sur le mercure. Aucune de ces mesures n’est suffisante à enrayer cette menace.

À notre avis, il faut définitivement interdire l’orpaillage dans le lit et sur les berges des cours d’eau ainsi que l’importation du mercure. «Le gouvernement malien devrait prendre immédiatement des mesures visant à mettre fin à l’utilisation du mercure par des enfants travailleurs, en menant une campagne d’information et de sensibilisation auprès des communautés affectées», conseille le rapport de Human Rights Watch. Le gouvernement malien et les bailleurs de fonds internationaux, notamment Américains et Européens, devraient apporter un appui politique total et un soutien financier suffisant au Plan d’action national pour l’élimination du travail des enfants récemment adopté, notamment aux programmes visant à écarter des mines les enfants qui y travaillent.

Il est temps que soit élaboré, en partenariat avec la société civile nationale et internationale, un plan d’action national pour la réduction de l’utilisation du mercure dans l’orpaillage, en prêtant attention à la situation particulière des enfants et des femmes enceintes qui vivent et travaillent dans les zones d’extraction minière artisanale. Si de telles stratégies et actions sont inexistantes au plan national, les organismes extérieurs ne pourront rien y changer. Leur seule marge de manœuvre risque d’être le refus de subventionner des projets tant que le pays ne prenne pas des mesures courageuses pour mieux protéger les cours d’eau, et assainir l’or du mercure et du cyanure. Et ce n’est pas trop lui demander car si un pays souverain n’est pas en mesure de régler le désordre qui le plonge dans le chaos, comment peut-il compter sur l’aide des organisations extérieures ?

Ces derniers temps, nos partenaires techniques et financiers (même si la sincérité de certains est sujette à caution) s’activement pour permettre au Mali de voir le bout du tunnel et de tourner la triste et dramatique page de la crise. Mais, craint Sonia, «si rien n’avance, à quoi bon s’entêter à faire des efforts pour redonner un dynamisme à ce pays. Face à une telle désorganisation sciemment entretenue, les bonnes volontés seront vite découragées». D’où l’urgence d’une réaction du gouvernement par des actes concrets afin de prouver à ses partenaires sa capacité à gérer son pays. «Sans ce premier pas, nous (l’Occident) aurons toujours cette impression d’inutilité qui se résume par cette expression : à quoi bon essayer de les aider si nos efforts sont réduits à néant par une mauvaise politique. La majorité des Français pense cela, à tort ou à raison, car on se sent démuni face à autant de lenteur», conclut notre activiste, Sonia Duchesse.

Par son inertie, c’est comme si les autorités nationales cautionnaient le sacrifice des vies au nom de l’argent. Aucun pouvoir responsable ne saurait laisser les défis d’une telle envergue s’amonceler d’autant que, déjà dans cette société où tout va trop vite avec notamment les avancées technologiques, les citoyens conscients se demandent comment nous devons agir pour récupérer notre retard. En accumulant les défis sans réagir et agir, l’écart ne peut que se creuser davantage. Ainsi, pendant que nous stagnons, les autres pays avancent à pas de géants. Est-ce que nous devons réellement croire que nos dirigeants politiques ont l’ambition et la vision de mettre ce pays sur la voie de l’émergence ?

Moussa BOLLY
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