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joseph Brunet-Jailly, Consultant et enseignant en Sciences Po : «Les concertations nationales …N’est-ce pas exactement ce dont le Mali a besoin ?»
Publié le lundi 25 juillet 2016  |  Le Républicain




Dans un article paru le 18 juillet 2016 sur Médiapart, le Professeur JOSEPH BRUNET-JAILLY, un fin connaisseur du Mali, fait un diagnostic, sans complaisance de l’Etat malien, de ses institutions, de son mode de fonctionnement. Et cela de l’indépendance à aujourd’hui. Selon le Professeur, l’une des défaillances de l’Etat malien est qu’ « il n’a jamais voulu analyser et nommer les causes profondes de la crise de 2012, et donc ne propose rien dans aucun des domaines d’où naissent des conflits locaux violents et où s’exprime l’insatisfaction profonde de la population : la justice, le foncier, l’emploi des jeunes, l’éducation… ». En outre, de l’avis du Professeur, notre pays « s’est montré complètement passif et dominé dans le processus d’Alger et se voit maintenant amené à satisfaire aux revendications des groupes armés avant d’avoir obtenu leur désarmement et leur cantonnement ».

« C’est une parodie d’Etat qui s’est reconstruite en 2013, avec les élections souhaitées par la “communauté internationale”, avec un candidat présentant bien, capable de servir tous les régimes, et emmenant avec lui sa famille et les députés choisis par cette dernière et par le secrétaire général de son parti. La défense est assurée par la MINUSMA et par Barkhane, puisque la reconstitution d’une armée malienne est une tâche décennale, à peine commencée (quelques bataillons et une formation qui prête à discussion) ; la justice est tellement méprisée que les citoyens se vengent eux-mêmes des torts qu’ils ont subis (art. 320) et que les religieux et les cadis revendiquent un nouveau moyen d’étendre leur emprise sur la population ; l’économie est aux mains des “partenaires du développement” qui à nouveau rédigent eux-mêmes les projets de développement qu’ils vont financer ; la police est si corrompue et si décriée, l’impunité si parfaite, que l’insécurité règne sur tout le territoire… », explique le Professeur.

Comment trouver une solution à un tableau si noir ? Selon JOSEPH BRUNET-JAILLY : « aujourd’hui, il est clair que les groupes armés n’ont pas plus de projet politique que le gouvernement : d’un côté comme de l’autre, on veut le pouvoir pour le pouvoir, rien d’autre… Ce qui se passe sous nos yeux, ce n’est pas une reconstruction de l’Etat, parce que la “communauté internationale” refuse de voir que le problème politique doit être traité par des moyens politiques. Au contraire, elle se contente d’administrer le pays, de le protéger tant bien que mal des agressions extérieures dont il est victime –sans pour autant oser s’attaque au cœur du problème, au nerf de la guerre : à la drogue–, de secourir quelques populations ruinées par les combats, l’insécurité, l’obscurantisme, de veiller à ce que l’incendie ne se propage pas au voisinage.

Elle exerce de fait, d’ores et déjà, un protectorat, sans le dire bien sûr, sur un Etat fantôme, vide de toute ambition et de toute compétence, qui ne dispose plus que des signes extérieurs de son rôle. » Les concertations nationales prônées par l’opposition politique malienne, de l’avis du Professeur, est la solution préconisée : « Depuis des mois l’opposition demande l’organisation de concertations nationales, où l’on voit bien reparaitre le moyen qui a permis à plusieurs Etats africains de sortir des crises des années 1990. Cette formule, “mode de transition original, propre à l’Afrique”[78], suppose évidemment que soit reconnue la nécessité d’une transition vers une nouvelle organisation politique, vers un nouveau projet politique. N’est-il pas temps de reconnaître que c’est exactement ce dont le Mali a besoin ? » Lisez plutôt l’article, en entier, paru dans Mediapart.

Depuis trois ans, le Mali est sous tutelle de la “communauté internationale”. Est-il parvenu à reconstruire un Etat capable d’assumer ses fonctions régaliennes et la gestion d’une administration efficace ? S’est-il au contraire engagé dans des voies qui le conduiront inéluctablement à disparaître ? Telles sont les questions à aborder, si l’on ne veut pas voir la crise s’approfondir et se durcir. Le 21 mars 2012, au Mali, l’Etat s’est effondré comme un château de cartes à la suite du coup d’Etat dont un simple capitaine avait pris la tête. La “communauté internationale” s’est émue, au bout de quelques mois la France est intervenue, les institutions régionales et internationales ainsi que plusieurs pays africains ou européens se sont manifestés, et finalement des élections présidentielle et législatives ont été organisées dès 2013. La démocratie, au sens où l’entend la “communauté internationale”, était rétablie ! Mais où en est-on aujourd’hui ? L’Etat s’est-il reconstruit ? Comment fonctionne-t-il ?

Les apparences sont sauves ! Le chef de l’Etat reçoit beaucoup de visiteurs étrangers et se déplace sans cesse à l’étranger (depuis le début de son mandat, en moyenne trois voyages internationaux chaque mois)[1], avec tout le cérémonial que ces voyages impliquent. Les communiqués hebdomadaires du conseil des ministres sont en grande partie consacrés à des accords internationaux de financement (lus à la télévision, à la radio, publiés dans la presse écrite…), à l’adoption de textes de loi ou de décret, tous rédigés dans une langue en général inaccessible au commun des citoyens. Il semblerait que le monde entier soutienne cet Etat en lui accordant d’importants financements. D’ailleurs cet Etat achète des armes, et forme des bataillons.

Certains observateurs vont jusqu’à dire que cet Etat est même tout-à-fait moderne. Les campagnes électorales, il est vrai, s’inspirent depuis longtemps du modèle américain : caravanes, T-shirts et casquettes, pagnes, drapeaux en papier, agences de communication (pour les slogans, les affiches…), distribution de cadeaux (tasses=bassines, sacs de riz, sacs de sucre, thé, noix de cola, pagnes…) mais aussi tout simplement petites coupures, toujours bonnes à prendre. En 2013, IBK a eu recours aux agences Havas et Voodoo (celle qui avait travaillé pour Alassane Ouattara en 2010), Soumaïla Cissé à Diop&Fall (agence établie au Mali), Modibo Sidibe à CEIS (très orientée défense et nouvelles technologies), Dramane Dembele à Spirit McCann Erickson (filiale française d’une des quatre plus grandes compagnies mondiales dans le domaine)[2]. Et dès décembre 2015 un nouveau contrat a été passé par la Présidence avec Havas Worlwide (et Synergie, agence nationale appartenant à un proche de Karim Keita, le fils d’IBK) pour préparer 2018.[3]

De même, il est question de créer prochainement une seconde chambre, comme l’a proposé dès 2008 la commission présidée par Daba Diawara, proposition reprise dans l’accord d’Alger : ce serait adopter un modèle courant dans les pays du Nord. Une autre caractéristique de nombreux Etats modernes est le désintérêt manifesté par la population à l’égard de la vie politique, et la faiblesse persistante des taux de participation électorale. Enfin, comme tous les Etats modernes, le Mali est fortement dépendant d’institutions étrangères ou supranationales (pour les uns G7, G20, OMC, Union Européenne, etc ; pour d’autres Banque Mondiale, FMI, “partenaires au développement”, et plus récemment Serval, Barkhane, MINUSMA, conférence internationale de bailleurs…) et il est entrainé de gré ou de force dans la mondialisation.

Mais examinons les choses de plus près !

Comment fonctionne cet Etat, quatre ans après la crise ?
Il fut un temps où l’Etat, au Mali, bien que pauvre en cadres et en ressources, fonctionnait avec efficacité et se montrait capable de décisions témoignant d’une parfaite indépendance par rapport à l’ancienne puissance coloniale : dès 1960, le Mali adoptait un plan de développement économique qui avait pour ambition la “décolonisation économique”[4], et dont il restera un important secteur public, qui sera conservé et développé sous Moussa Traore ; à la même période, l’Etat chassait toute présence militaire française de ses bases au Mali[5]. Mais la personnalisation du pouvoir et le système du parti unique, entrainant vers la même pratique néopatrimoniale du pouvoir, sous Modibo Keita comme sous Moussa Traore, aboutissent à ce que, à la fin des années 1980 déjà, l’Etat n’exerce plus ses fonctions : il n’est même plus capable de payer ses fonctionnaires[6]. C’est dans ces conditions, alors que les générations militantes du temps de l’indépendance ont été écartées ou éliminées par Moussa Traore, que se constituent tous les mouvements politiques et associatifs qui préparent la crise de 1990 et la chute de Moussa Traore.

Comment fonctionnent aujourd’hui les principales institutions de l’Etat ? La réforme essentielle de l’ère Alpha Oumar Konaré a été, sans conteste, la décentralisation, qui devait donner aux communes tous les pouvoirs de décision qu’elles seraient capables d’assumer, et ne laisser à l’Etat, outre ses fonctions régaliennes (défense, justice, législation…) qu’un rôle de conseil, d’appui, et de redistribution. Cette réforme ne pouvait que susciter un immense espoir, et mobiliser les énergies : mais elle supposait un lent processus à installer dans la durée par des cadres convaincus et déterminés.

– Les conseils communaux

Dès 2003, avec l’avènement d’Amadou Toumani Touré à la magistrature suprême, l’effort en faveur de la décentralisation et de la démocratisation est immédiatement abandonné. Il s’agissait d’une ambition trop grande pour celui qui préchait le consensus autour de sa personne et méprisait les partis. Les Centres de conseils communaux, qui avaient pour tâche de former les cadres des collectivités à leurs nouvelles responsabilités, sont supprimés en 2007[7]. Les administrations centrales reprennent tout leur pouvoir et tous leurs moyens, car le consensus, nouvelle loi du pouvoir, doit être acheté en espèces sonnantes et trébuchantes.

Et les conséquences sont immédiates et dramatiques. Les rares études menées sur la décentralisation des compétences en matière d’enseignement[8] ou de gestion du foncier[9] montrent clairement que la décentralisation a été un échec. Pas seulement parce que les ressources financières n’ont pas été attribuées en volume suffisant aux communes ; mais tout autant parce que ces communes n’avaient pas les cadres capables d’exercer les compétences transférées ; et surtout parce que les élus souhaitaient s’installer dans les positions de notables que leur offraient les nouvelles institutions plutôt que d’arbitrer entre les intérêts concurrents de leurs mandants ; et enfin parce que les administrations centrales ont eu pour seul souci de reprendre la main et d’en revenir à leurs pratiques antérieures.

A la base, il faut bien admettre que l’élection n’est pas considérée par les élus comme l’acceptation d’une lourde responsabilité, celle de faire prévaloir l’intérêt général. Cette notion est d’ailleurs absente des esprits autant que des pratiques, et pour le commun des mortels l’entrée dans la réflexion politique extrêmement rare, entièrement guidée par le hasard des réseaux de relations individuelles, et fragile.[10] De fait les jeunes qui se mobilisent pour les campagnes électorales n’ont pour autant aucune chance d’accéder à un rôle politique.[11]

Quant aux “partenaires au développement”, ils n’ont pas osé dire ce qu’ils voyaient : ainsi l’AMM[12] comme Cités-Unies entretenaient le mythe d’un Mali modèle de démocratie, un mythe qui satisfaisait les opinions publiques des pays du Nord. Quelques exceptions (en commune V ou dans la région de Sikasso) ne font que confirmer l’échec général, imputable au désintérêt de l’Etat et en premier lieu de son Chef.

– L’assemblée nationale [13]

L’Assemblée Nationale devrait représenter la population. Mais les candidats, s’ils ne sont pas choisis par eux, doivent être soutenus par les états-majors des partis, qui ont la haute main sur le financement des campagnes électorales. Seuls peuvent se passer de cet appui les candidats nouveaux riches à la recherche d’honneurs civiques ou, lorsque leur fortune a une origine douteuse, de la protection qu’apporte un mandat électoral. Toutes ces candidatures sont vendues aux électeurs par les procédés habituels des bateleurs : caravanes et fêtes, cadeaux en nature et en espèces ; mais aussi depuis deux décennies par la mobilisation des milieux religieux. IBK a semble-t-il été le premier à tirer argument électoral de sa visite au cherif de Nioro lors de la campagne de 2002, avant de tisser son réseau d’appuis religieux à l’AMUPI, à la CENI, à la Chambre de Commerce…

Comme partout, la composition de cette assemblée montre qu’elle est beaucoup plus qualifiée et beaucoup plus urbaine que la population du pays. Alors que l’agriculture occupe les trois quarts de la population, ce sont les hommes d’affaires, “opérateurs économiques” et autres commerçants, chefs d’entreprise, gérants de société, transporteurs… qui sont les plus nombreux à l’Assemblée (un tiers de l’effectif), devant les agents de l’administration et enseignants (un tiers également), qui eux-mêmes précèdent les cadres supérieurs et professions libérales (ingénieurs, pharmaciens, architectes, médecins, agronomes, économistes, experts d’élevage, juristes… au total 22 %). Les populations rurales ne sont pas représentées, les intérêts du commerce et ceux de la fonction publique le sont très bien. Les femmes et les jeunes ne sont pas représentés : l’Assemblée ne compte que 10 % de femmes et l’âge moyen des députés est supérieur à 54 ans[14].

Un demi-siècle après l’indépendance, le sentiment national ne s’est pas propagé. L’entrée dans la vie politique ne dépend que de circonstances fortuites, familiales ou locales, mais pas de convictions ni d’une vision politique, encore moins d’un engagement. Le caractère familial et local de la vie politique explique que, dans certaines circonscriptions, malgré le nombre de postes à pourvoir, les électeurs votent peu parce qu’aucun candidat n’est originaire de chez eux[15].

Par ailleurs, quel est exactement le rôle de l’Assemblée Nationale ? Depuis longtemps, il est mineur. L’Assemblée a pu voter une réforme du code de la famille que le président ATT n’a pas osé promulguer, laissant à la rue la charge de faire la loi. Et plus récemment, comme l’a rappelé Adam Thiam récemment, l’Assemblée n’a pas été consultée sur l’accord de paix , et ne s’en est pas elle-même saisie[16]. En un mot : elle n’a ni rôle ni autorité.

Il faut d’ailleurs tenir compte de la capacité des élus à penser les problèmes du Mali au niveau national et international, plutôt qu’au niveau des per diem ou autres bénéfices. Un seul exemple : Karim Keita, homme d’affaires parmi bien d’autres, mais fils du nouveau président, bien que nouveau venu en politique est aussitôt élu député, puis aussitôt porté à la présidence de la commission de la défense et de la sécurité, et reconnait lui-même le 27 avril 2016 que cette commission n’a fait aucune proposition dans son domaine de compétence[17] ; interrogé de façon pressante et précise par Lilianne Nyatcha quelques jours plus tôt sur BBC Afrique, il avait indiqué que la Commission était consultée, mais le seul sujet qu’il avait pu citer était celui du DDR[18] ; puis il avait insisté sur ses bons rapports, anciens et amicaux, avec le ministre de la défense[19], confirmant sa conception exclusivement familiale de la société et de la vie politique. D’ailleurs, sitôt élu, il avait propulsé son beau-père à la présidence de l’Assemblée nationale ; aujourd’hui, sans oser s’en débarasser, elle en est réduite à faire grève contre lui, et elle ne s’honore pas par le motif de cette grève[20].

– Les ministères

Le Mali souffre depuis des décennies d’une grande faiblesse de son administration : négligence, manque de conviction, soumission totale aux instructions politiques, elles-mêmes médiocrement inspirées. Gregory Mann a écrit tout un livre sur l’infiltration de l’administration dès le milieu des années 1970 par certaines ONG, notamment par l’ONG américaine Care, et sur les conflits de cette dernière avec les ministres des transports et de l’éducation[21] ; le sous-titre de son livre dit bien que, depuis lors, l’Etat au Mali est sur la voie d’une incapacité à se comporter en Etat.

Plus récemment, Idrissa Dante et alii ont rappelé que dans les années 1990 la préparation des DCPE[22] se faisait à Washington, et que c’est seulement dans les années 2000, pour rédiger les CSLP[23], que les services maliens ont été impliqués, et conviés à rédiger les documents, mais “sous haute surveillance”[24]. Quant aux documents présentés à Bruxelles pour la réunion des bailleurs de mai 2013, documents qui devaient être préparés par les parties à l’accord d’Alger, ils ont en fait à nouveau été rédigés par les bailleurs eux-mêmes[25]… Cinquante ans après son indépendance, le Mali ne dispose pas de hauts cadres compétents clairement engagés dans la conception, la défense, l’exécution et l’évaluation de stratégies nationales.

La brêche ouverte par les ONG dans la capacité de l’Etat à diriger la stratégie du pays a été une aubaine pour les coopérations bilatérales et multilatérales. Sur l’exemple de la santé pendant la récente crise, le Dr Balique montre le rôle qu’ont joué les intervenants extérieurs dans ce délabrement de l’autorité de l’Etat : se comportant comme en pays conquis, ils ont empêché l’Etat –ici le ministère de la santé– de jouer son rôle de leader dans la définition et l’exécution des stratégies nationales. Le Dr Balique prétend que dès juin 2012, le ministère de la santé était en mesure de reprendre son rôle. Mais il en était fermement empêché par le cluster santé, regroupant à l’initiative et selon la méthode des Nations-Unies tous les intervenants extérieurs : symboliquement, les réunions se tenaient à l’OMS, pas au ministère de la santé ; pratiquement, le ministère n’était pas toujours invité[26]. Quatre ans plus tard, la présence d’une administration internationale est toujours aussi pesante et paralysante.

L’administration gère-t-elle au moins les services publics ? Dès avant la crise, on pouvait observer que le ministère de l’éducation n’exerçait aucune tutelle sur les établissements scolaires[27] ; et la malheureuse expérience des marchés ruraux de bois[28] comme la dilapidation du foncier communal rural[29] montrent que la tutelle était inexistante –si elle ne participait pas elle-même au trafic– dans ces domaines aussi. La crise de 2012 n’a fait qu’aggraver cette situation : aujourd’hui, il n’y a plus aucune activité de l’administration en matière d’agriculture ou d’élevage –à part les Offices et la CMDT.

Ne parlons pas de l’enseignement supérieur, naufragé avec la participation active des syndicats d’enseignants.[30] Ne parlons pas du ministère des finances, puisqu’un document récent nous apprend que 80 pour cent des importateurs, soit environ un millier d’entreprises, déclarent à la DGI un chiffre d’affaires inférieur au montant de leurs importations tel qu’il est connu des douanes, soit une sous-évaluation de l’ordre de 500 milliards de FCFA par an ; et que plus de 90% des adjudicataires de marchés publics déclarent des chiffres d’affaires inférieurs au montant des marchés qu’ils ont obtenus ; ou encore que la moitié seulement des entreprises assujetties à la TVA la paient effectivement.[31]

Le Mali a été le “chouchou” des bailleurs : il s’est montré non seulement docile, mais complètement dépendant à leur égard[32]. Aujourd’hui, il n’a plus d’administration. L’UNESCO signale que le Mali a été incapable de lui fournir un rapport sur l’état des sites du patrimoine mondial, une incapacité qui vient d’aboutir à ce que Djenné soit classée comme site en péril.[33]

– La Présidence

Ibrahim Boubakar Keita, vieux routier de la politique malienne, est parvenu en 2013 à se faire passer pour une victime du “système”, et grâce à une campagne fondée sur des slogans habilement choisis par des conseils en communication, il a obtenu une majorité exceptionnellement élevée, d’autant plus remarquable que la participation au vote a été relativement forte compte tenu de ses niveaux historiques au Mali.

Depuis qu’il est aux affaires, un trait fondamental de sa gestion est, d’accord avec les partenaires au développement, le refus d’identifier et de nommer les causes profondes de la crise survenue en 2012 et de se donner les moyens de les traiter. “Nous avons fait notre diagnostic et la réponse est dans le programme d’activité du gouvernement” nous disait-on fin 2013, alors que ce programme n’est qu’un copié-collé des documents précédents adressés aux bailleurs. Il faut dire que les bailleurs ont soutenu de tout leur poids ce black-out. A la réunion organisée par le ministère des affaires étrangères et du développement international, à Lyon, en mai 2013[34], le mot d’ordre de la France, exprimé par Laurent Fabius, était : reprenons la coopération le plus vite possible, sans rien y changer, seulement en y consacrant si possible des moyens un peu plus importants. “Business as usual.” C’est que, parmi les causes de la crise, la responsabilité des bailleurs aurait dû être elle aussi révélée et évaluée, ce dont ils ne voulaient surtout pas.

Il est difficile de savoir quelle a été la part de responsabilité du président dans l’évolution du processus d’Alger, et dans quelle mesure il a été contraint par d’encombrants amis et médiateurs. L’Algérie fustige aujourd’hui le mutisme des membres de la délégation malienne.Mais les consignes rendues publiques parmi celles qui ont été données par le président à cette délégation, depuis les négociations de Ouagadougou (à savoir : intégrité territoriale, unité nationale, forme républicaine et laïque de l’Etat, …) étaient beaucoup trop sommaires et l’Algérie a eu la bride sur le cou. Le résultat est là : un accord inapplicable, et des groupes armés revendiquant toujours plus de pouvoir hors de tout contrôle démocratique, tant au Nord qu’à Bamako.

Quant à la capacité de ce président à tracer les grandes orientations de la politique de son gouvernement, et à la faire partager par la population qui l’a élu, elle est visiblement très limitée si l’on en juge par exemple par son dernier discours de nouvel an[35]. Il faut dire qu’il a fort à faire pour étouffer une succession de scandales qui mettent en cause ses proches, et parfois lui-même.

– Les juridictions

La pluralité des systèmes juridiques est une caractéristique durable de la situation au Mali ; dans ce contexte, l’insouciance, l’incompétence ou la corruption des juges et des avocats ouvrent la voie à des arguties sans fin, qui sont la vraie cause de la défiance que la population éprouve à l’égard de la justice.

La Cour constitutionnelle n’a été consultée ni sur l’accord d’Alger, ni sur la loi du 30 mars 2016 organisant des autorités interimaires. Dans les deux cas, les observateurs ont immédiatement relevé les points sur lesquels les dispositions de ces textes pourraient être contraires à la Constitution[36] [37]. C’est tout récemment qu’un comité d’experts a été créé par décret pour préparer la révision constitutionnelle qui s’impose.[38] Quant à la loi relative aux autorités interimaires, la Cour ne s’est prononcée sur sa constitutionnalité qu’à la suite d’un recours de l’opposition.

Un seul point de sa décision mérite d’être signalé ici. Personne ne conteste que l’art. 98 de la Constitution dispose explicitement que les collectivités s’administrent librement par des conseils élus. Personne ne conteste que la loi créant les autorités interimaires prévoit que les membres en seront nommés. L’opposition a donc soulevé un motif d’inconstitutionnalité, mais la Cour a jugé l’argument infondé ! Faut-il croire que le bon peuple avait tort de distinguer entre une nomination par une institution sans existence légale et une élection ? Sans s’embarrasser de pareilles considérations, le chef du gouvernement a voulu tout récemment convaincre le Conseil de sécurité du fait que “La conformité des dispositions de cette loi à la Constitution malienne a été établie par l’organe juridictionnel compétent, mettant ainsi fin à toutes formes de contestation”[39]. Mais sans donner à ses auditeurs aucune explication plus convaincante.
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