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L’Indépendant N° 3202 du 15/2/2013

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Entretien avec Le président du CNID, ME Mountaga Tall sur la crise / «Il ne faut ni instrumentaliser ni politiser l’institution militaire» /«Le Mali était dans la situation d’un naufragé qui cherche une bouée de sauvetage : Dioncounda n’avait pas le choix»
Publié le vendredi 15 fevrier 2013  |  L’Indépendant




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Comment mener la guerre et la gagner contre les jihadistes, l’appui des troupes françaises et des pays africains sous la bannière de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), la réconciliation post-conflit, l’éventualité d’une négociation avec le MNLA, la question des exactions, la lancinante affaire des bérets rouges… Avec l’éloquence qu’on lui connaît, Me Mountaga Tall aborde, dans cette interview exclusive, tous ces sujets de préoccupation des Maliens durant cette période de crise. Pour le président du CNID-FYT et coordinateur de la Convergence pour sauver le Mali (CSM), l’institution militaire est sacrée; il faut tout mettre en oeuvre pour ne pas l’instrumentaliser, ni la politiser. Il a rappelé que le Mali était dans la situation d’un naufragé qui cherche une bouée de sauvetage. Et face à cette situation, le président Dioncounda n’avait pas le choix. Il ne pouvait qu’appeler à l’aide.

Votre analyse de la guerre que mène actuellement le Mali contre les jihadistes qui ont envahi une partie de son territoire?
Le 10 janvier 2013 le verrou de Konna avait sauté. Il restait celui de Sévaré, qui aurait eu beaucoup de peine à résister, non pas parce que nous n’avions pas de militaires maliens aguerris pour résister mais parce que la puissance de feu d’en face était supérieure. Si Sévaré tombait, Bamako allait suivre après Ségou.

Face à cette situation, le président par intérim n’avait pas le choix. Le Mali était dans la situation du naufragé qui cherche une bouée de sauvetage. Il fallait sauver le pays. Alors, le président de la République a fait appel à la France. Pourquoi la France ? Sûrement pas comme ancienne puissance coloniale. Mais parce que la France est la seule grande puissance à disposer en Afrique de l’ouest de moyens humains, militaires, matériels et logistiques pour intervenir rapidement dans cette région. Les autres puissances ne disposent pas de tels atouts.
Et la France a répondu à cet appel non pas parce qu’elle aurait, je ne sais quel intérêt spécifique à défendre. La vérité, est que ceux contre lesquels le Mali se bat aujourd’hui, c’est-à-dire les narcotrafiquants, les internationale. Face à eux aucun pays n’est à l’abri, aucun sanctuaire n’existe. Et, il faut une coalition internationale pour les contrer. Si ces forces néfastes arrivaient à Bamako, elles auraient, par exemple, pris des milliers d’otages occidentaux et d’autres nationalités. La prompte intervention française a donc permis d’éviter cette catastrophe. C’est d’ailleurs pourquoi les autres pays ont très vite compris qu’il ne fallait la France et le Mali seuls. Ce qui explique la participation de nombreux pays sous des formes diverses.
Certains se sont demandés pourquoi le président de la République par intérim n’a pas alors fait appel aux forces de la CEDEAO qui s’était saisie du dossier depuis longtemps. La raison est simple : malgré son engagement aux côtés du Mali, la Cedeao ne dispose pas de moyens logistiques appropriés pour agir aussi promptement. Il fallait stopper l’avancée des narcoterroristes immédiatement après la prise de Konna. Mais il faut aussi dire que la France est une amie du Mali. En témoignent la qualité de notre coopération bilatérale, nos liens historiques.
Pour ce qui concerne les forces maliennes, ce ne sont pas les hommes qui sont en cause mais leur manque d’équipement pour contrer la puissance de feu de l’ennemi. Aucune armée au monde, mise dans les mêmes conditions, ne peut arrêter l’avancée des terroristes.
La France n’est-elle pas un peu isolée dans cette intervention au Mali?
Non. Le Mali et la France bénéficient aujourd’hui de nombreux soutiens. Sans être exhaustif on peut citer les Etats Unis d’Amérique qui sont intervenus en matière de renseignements, dont personne . Ils sont également intervenus à travers le ravitaillement des avions en vol et pour le transport des troupes. Le Canada, la Grande Bretagne, l’Allemagne, la Belgique et d’autres pays occidentaux ont contribué à différents niveaux.
Les pays membres de la Cedeao sont sur le champ des opérations et des pays hors Cedeao, comme le Tchad, sont là pour nous rappeler que la France n’est pas isolée dans cette guerre contre le terrorisme. Je voudrais mentionner un cas assez symbolique : le débarquement des militaires togolais de l’avion présidentiel qui, bien évidemment n’est pas fait pour le transport des troupes, est un témoignage poignant de cette solidarité à l’endroit du peuple malien.
Il s’y ajoute les appuis fournis par d’autres pays dans le cadre de la coopération bilatérale. Je pense à des pays comme la Chine et la Russie.

Aujourd’hui, ni la France, ni le Mali ne sont isolés dans cette lutte contre le crime organisé.
Il est à noter que toute cette mobilisation se fait dans le cadre de la légalité internationale adossée aux textes adoptés à l’ONU et la demande des autorités maliennes.
Le soutien au Mali est également légitime. Il est faux de soutenir que l’intervention de la France,est une » guerre contre les musulmans « . Ceux qui ont été libérés sont des musulmans, ceux qui étaient violentés, torturés, flagellés, amputés sont des musulmans…
Que pensez-vous de la présence des troupes françaises à Kidal sans l’armée malienne ?
Il faut être clair sur ce point. Il ne saurait y avoir des zones interdites pour l’armée malienne sur le territoire malien. Nul ne songe à l’imposer et nul ne l’acceptera. Ce qui se passe dans cette zone, procède, je crois, de stratégies et d’approches militaires. Les autorités militaires ont donné l’assurance que l’armée sera partout, qu’elle ira inéluctablement à Kidal pour assumer sa part de travail. Je m’en tiens à cela. Vous savez, la communication est le terrain de prédilection du MNLA. La désinformation aussi.Ce groupe vient d’ailleurs d’accuser la France de trahison. Je crois qu’aucun Malien ne peut accepter qu’un millimètre carré du territoire national soit fermé à l’armée malienne.

Quid de l’affaire des bérets rouges ?
J’entends sur certaines stations internationales que l’armée malienne est divisée. Je ne dis pas que des problèmes n’existent pas. Mais l’armée malienne n’est pas divisée sur la nécessité d’aller au nord et de se battre pour la reconquête de l’intégrité territoriale. Je ne suis pas militaire, mais je sais que dans une discipline, des autorités militaires qui sont sous les ordres de l’autorité civile. Il y a un président de la République, chef des armées,un Premier ministre chargé de définir la politique de défense de la nation, un ministre de la défense et un chef d’Etat-major Général chargé des tâches quotidiennes et opérationnelles. Il faut que ces autorités appliquent et fassent appliquer les règlements et la discipline militaires. Je ne parle pas de procédure mécanique. Tout ce qui peut être fait en amont, doit l’être fait pour que la paix revienne dans les casernes. Toutes les mesures d’apaisement sont les bienvenues. Mais in fine, force doit rester aux textes, à la discipline et aux autorités. C’est à ce prix que nous forgerons une vraie armée.
Certains bérets rouges seraient manipulés par des hommes politiques?

J’invite tous les Maliens à s’abstenir d’instrumentaliser ou à politiser l’institution militaire. Nous en avons suffisamment souffert. Il appartient aux autorités de ne pas laisser les casernes ouvertes à tous vents. Par les temps qui courent, chacun doit faire preuve de responsabilité. Il ne faut pas gérer des agendas personnels et électoraux avec comme instruments les forces armées et de sécurité.Ceci ne profitera à personne.

On parle ces derniers temps d’exactions perpétrées par les troupes sur les populations civiles. Qu’en dites-vous ?
Les exactions sont,à tout point de vue, inacceptables. Je crois que toutes les voix autorisées ont demandé qu’il n’y ait pas d’exactions. Les plus hautes autorités de la transition, les chefs militaires, les autorités religieuses et morales, tous demandé qu’il n’y ait pas d’amalgame entre narcoterroristes et telle ou telle communauté ethnique ou religieuse de notre pays.Il faut mettre le problème dans son contexte.Des régions entières ont été occupées pendant de nombreux mois au cours desquels, il y a eu les crimes les plus indescriptibles : viols, vols, spoliations, amputations, humiliations, exactions par des criminels connus des populations.Celles-ci, après les différents appels lancés ont fait preuve de la plus grande retenue. On ne constate depuis, aucun règlement de compte personnel. Le phénomène, en tous les cas est devenu marginal en moins de 48 heures.
Il faut encourager et féliciter ces populations au lieu de les vilipender. Le gouvernement du Mali en collaboration avec le système des Nations Unies et les autres défenseurs a pris des engagements publics et mène une campagne de sensibilisation.
Malgré tout, certains s’amusent à publier des rapports contestés. Il est important que tout rapport . Il ne faut pas, sur des bases non avérées, jeter le discrédit sur ce que font les militaires maliens et français.
Un point important : j’entends quelquefois certaines personnes demander que le Mali dialogue avec les Touareg pour que les exactions s’arrêtent. Leur demande porte aussi sur un dialogue à instaurer entre le Sud et le Nord du Mali.
Cette approche procède d’une méconnaissance totale des réalités du Mali. C’est une fausse route qui ne peut déboucher que sur des complications. Il n’y a en effet, aucun problème entre le nord et le sud du Mali et malgré la crise le Mali est et demeure une nation avec des brassages entre les différentes communautés et des religions cohabitent harmonieusement voire de façon communielle. Il n’y a pas un problème touareg ou un problème de peau blanche et de peau noire au Mali
Il y a des Maliens et des étrangers qui, par goût du lucre, ont posé des actes criminels. Les communautés dont ils relèvent ne se reconnaissent . Ils y sont largement minoritaires et fortement décriés.Ils ne peuvent pas prétendre parler au nom de ces communautés.Ils ne sont pas élus pour la plupart. Ils n’ont été mis en mission par personne. Ils ne représentent aucune communauté. Et les responsables légitimes des différentes communautés n’ont jamais accepté le terrorisme et les souffrances à elles imposés.Elles continuent de se réclamer du Mali.
A quel dialoguepeut-on penser pour la réconciliation post-conflit ?
Il ne s’agit pas de citer ou de cibler tel ou tel groupe pour dialoguer. Il faut juste poser les conditions minimales à remplir pour prétendre y participer. Elles sont au nombre de quatre au moins :
1- Déposer les armes. Aucune discussion n’est possible avec un groupe armé.
2- Faire une déclaration publique et solennelle reconnaissant l’unité et l’intégrité territoriale du Mali : le Mali un et indivisible en dehors de tout esprit de séparatisme ou d’autodétermination.
3- La reconnaissance de la laïcité de l’Etat.
4- La soumission à la justice nationale et internationale avec comme corollaire l’exécution des mandats d’arrêt déjà lancés et de ceux à venir.
Avec ces 4 conditions on saura qui est éligible à des discussions et qui ne l’est pas et on verra si un seul lobby pourra dire qu’une seule de ces conditions est inacceptable. Ces lobbies diront aussi si quelqu’un qui ne remplit pas une seule de ces conditions peut être considéré comme un citoyen normal chez eux.

Quelles sont maintenant les perspectives d’avenir ?
Malgré tous les problèmes de la France, il y a une entente nationale autour du président François Hollande que je salue vivement pour sa décision courageuse d’intervenir au Mali. Il est important que nous aussi,Maliens, puissions montrer que nous pouvons nous rassembler autour de l’essentiel, parler d’une même etque nous partageons pour témoigner d’une union sacrée autour des autorités de la transition et de nos forces de défense et de sécurité. Toutes les forces politiques, toutes les forces sociales, toutes les forces économiques doivent converger autour de cet objectif que nous appelons de tous nos vœux.

Interview réalisée par Bruno Djito SEGBEDJI

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