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Moussa Traoré, ancien Président du Mali :« Ce n’est pas ATT qui a fait le coup d’Etat » ; « Alpha Oumar Konaré n’était pas à la hauteur »
Publié le lundi 27 mars 2017  |  Le challenger
Moussa
© AFP par FRANCOIS ROJON
Moussa Traoré
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Hier, 26 mars 2017 consacrait le 26ème anniversaire du renversement du régime du général Moussa Traoré suite à une insurrection populaire parachevée par l’armée sous la conduite du Lieutenant Colonel Amadou Toumani Touré. En 2002, soit quelques semaines avant sa libération, l’ex-dictateur, gracié le 29 mai 2002 par le Président Alpha Oumar Konaré, s’est confié, dans une longue interview, à notre confrère Jeune Afrique/L’intelligent. Le tombeur du Président Modibo Kéïta est longuement revenu sur les circonstances de sa chute après 23 ans de règne à la tête du pays. À l’occasion du 26ème anniversaire des événements de mars 1991, Le Challenger a dépoussiéré cette interview de Moussa Traoré qui profite paisiblement de sa retraite dans une résidence luxueuse à Djincoroni Para.
J.A./l’Intelligent : Bien évidemment, vous n’avez pas pu voter lors du dernier scrutin présidentiel…
MOUSSA TRAORE : Ce n’est pas faute d’avoir voulu, mais je suis interdit de vote. J’ai été condamné à mort et, de ce fait, déchu de mes droits civiques. Bien entendu, je considère que j’ai été condamné pour crimes que je n’ai pas commis, au terme d’un procès politique…
Pour lequel des vingt-quatre candidats du premier tour auriez-vous voté ?
J’aurais choisi sans hésiter Choguel Maïga, le candidat du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), qui a toujours revendiqué mon héritage politique et celui de mon parti, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). Vous n’ignorez sans doute pas qu’auprès le coup d’Etat du 26 mars 1991, ceux qui m’ont remplacé à la tête de l’Etat se sont acharnés à faire disparaître l’UDPM, une façon pour eux de reconnaître son influence et son enracinement. En refusant de délivrer un récépissé de reconnaissance officielle à l’UDPM on a contraint mes partisans à changer l’appellation du parti et à créer un autre, l’Union démocratique pour le développement (UDD). Par la suite, ils se sont regroupés au sein du Mouvement patriotique pour le renouveau, dont le candidat officiel à l’élection présidentielle était Choguel Maïga…
Vous a-t-il consulté avant de briguer la présidentielle ?
Il est même venu me voir sur mon lieu de détention. Je lui ai donné des conseils. Je suis persuadé que s’il y avait des élections vraiment transparentes dans ce pays, le MPR l’emporterait au premier tour du scrutin.
Vous pensez donc que vous êtes toujours apprécié de vos compatriotes ?
L’administration pénitentiaire croule sous les demandes de visite. Depuis que notre régime carcéral a été allégé, mon épouse et moi-même recevons des gens qui viennent des quatre coins du Mali. Je consacre l’essentiel de mes journées à écouter mes visiteurs et mes soirées à la prière.
Votre destitution vous paraît donc toujours injustifiée ?
Tout à fait ! Et ce n’est pas moi qui le dis, mais certains acteurs des évènements de mars 1991. L’un d’entre eux, Sada Diarra, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement de transition (mars 1991-juin 1992), m’a même écrit récemment pour reconnaître que ma chute procède d’un complot.
Quels conseils avez-vous donnés à Choguel Maïga ?
Notre entretien a tourné autour de son programme de campagne. Je lui ai recommandé de mettre davantage l’accent sur l’éducation, la santé et l’agriculture, trois secteurs délaissés au cours de la dernière décennie.
Que pensez-vous de lui ?
Même ses adversaires reconnaissent que c’est un garçon brillant, posé, intelligent et bien éduqué.
On avait évoqué, un moment, le nom de votre gendre, l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, comme possible candidat du MPR à la présidentielle…
(Rires.) Cette information, qui n’en était pas une, m’est parvenue il y a plus d’un an. Mais à aucun moment, mon épouse et moi-même n’y avons cru. Pas plus que notre gendre d’ailleurs. Il n’y a pas longtemps encore, on a raconté dans tout Bamako que j’avais été transporté de toute urgence dans un centre de réanimation parce que je me serais trompé de flacon en prenant mes médicaments… Or il se trouve qu’à ce moment-là, je ne prenais aucun médicament. J’étais bien portant et, pour tout vous dire, je jeûnais. Mes amis de longue date savent que je jeûne les 13, 14 et 15 des mois lunaires. En dépit de tout, les radios privées ont repris à leur compte, pendant plusieurs jours, cette rumeur, sans procéder à la moindre vérification.
Le président Alpha Oumar Konaré vient de vous gracier à la veille de passer le témoin à son successeur…
Lors d’une récente émission radiotélévisée, il a conditionné ma libération et celle de mon épouse au bon déroulement des élections. Après l’avoir écouté, je me suis mis à prier et j’ai demandé à Dieu de faire en sorte que les élections ne se déroulent pas dans de bonnes conditions…
Comment réagissez-vous à cette mesure ?
Tout ça a un goût d’inachevé, mais j’espère que le temps permettra de panser les blessures et à la vérité d’éclater au grand jour. Pour l’instant, nous restons à Markala parce que nous n’avons plus de maison à Bamako. Tout a été cassé en 1991. Nous attendons également l’arrivée de nos enfants, qui sont éparpillés entre le Togo, la Côte d’Ivoire et les Etats-Unis, pour prendre des décisions.
Avez-vous franchi la grille de votre lieu de détention à l’annonce de la mesure de grâce ?
Même pas !
Vous ne semblez guère enthousiaste…
Depuis ma destitution, je me suis abstenu de dire ou de faire quoi que ce soit qui puisse entraver le travail de mes successeurs. A part l’entretien que j’ai accordé en 1992 à Jeune Afrique (voir J.A.n°1636 du 14 au 20 mai 1992) et deux autres contacts de ce type avec le correspondant de l’Agence France Presse au Mali, j’ai gardé le silence. Je n’ai ni parlé ni écrit. Pourtant, on continue d’avoir peur de moi, au point de conditionner ma libération au bon déroulement du scrutin présidentiel. De fait, c’est la vérité qui fait peur. Les langues commencent à se délier. Même les parents des victimes de mars 1991 commencent à se rendre compte qu’on les a bernés, qu’on a mis des innocents en prison alors que les coupables sont en liberté.
Qui donc a fait tirer sur la foule en mars 1991 ?
Posez la question aux leaders du fameux « Mouvement démocratique » ! Ils ont monté cette affaire de toutes pièces. Je peux ainsi vous citer le cas d’un jeune handicapé, malheureusement décédé depuis, qui a longtemps été présenté comme une victime de la répression. En réalité, il était tombé d’un manguier, dans son village natal, trois mois avant les évènements. Il a été évacué vers l’hôpital de Kati, non loin de Bamako, spécialisé dans le traitement des traumatismes. Profitant des évènements, on l’a mis sur la liste des victimes et son père a empoché 10 millions de FCFA d’indemnités. Les gens qui l’avaient recueilli à Bamako et à Kati sont toujours en vie. Ils peuvent confirmer comment ceux qui rêvaient d’en découdre avec moi ont cyniquement utilisé le drame de cet adolescent.
C’est un cas isolé. Il y a tout de même eu plusieurs centaines de personnes tuées par balles dans les heures qui ont précédé votre chute…
Je n’ai jamais demandé qu’on tire sur la foule. A qui donc pouvais-je donner pareil ordre, sinon au colonel Bakary Coulibaly, à l’époque responsable du poste de commandement opérationnel ? Or l’intéressé lui-même a déclaré, lors de mon procès, ceci : « Le président Moussa Traoré ne m’a donné aucun ordre, je n’ai pas reçu d’ordre de lui, il ne pouvait pas m’en donner. »
En effet, je ne pouvais pas le faire. Il était placé sous ordre du chef d’état-major et du ministre de la Défense qui, pas plus que moi, ne lui ont ordonné de tirer sur les manifestants.
Que s’est-il donc passé ?
Puisque vous insistez, je vais vous faire une révélation. L’affaire était bien montée entre les socialistes français, les leaders du mouvement dit démocratique et bien entendu, les officiers félons, parmi lesquels se trouvait justement le patron du poste de commandement opérationnel, le colonel Bakary Coulibaly. La vérité, la voici : ils ont fait venir des mercenaires étrangers au Mali et ce sont eux qui ont tiré sur les manifestants.
Des mercenaires étrangers à Bamako ?
Oui, des mercenaires étrangers, noirs et habillés avec des uniformes de l’armée malienne. Selon les informations qui m’étaient parvenues, il y avait parmi eux des Libériens, des Sierra-Léonais, mais aussi des Antillais. Ils ont réquisitionné les Jeeps d’une entreprise qui travaillait sur le deuxième pont de Bamako à bord desquelles ils ont sillonné la ville en tirant sur les gens. Ils avaient des complices en civil qui ont également tiré sur la foule. Certains des manifestants ont été abattus dans le dos…
Pouvez-vous donner plus de détails sur cette affaire ? Ce sont des accusations graves…
Je n’en dirai pas plus pour l’instant.
Avez-vous gardé le contact avec votre tombeur, le général Amadou Toumani Touré (ATT), qui vient d’être élu à la tête du Mali ?
Je n’ai aucun contact direct avec lui.
Il vous envoie pourtant, chaque année, un mouton pour la fête du Ramadan…
[Rires.] C’est exact. Il m’en a encore fait livrer un cette année. Cela dit, on ne s’est pas revu depuis 1991. A l’époque, j’étais incarcéré au camp des parachutistes à Djikoroni, dans la proche banlieue de Bamako.
Le considérez-vous toujours comme un officier « félon » ?
En réalité, ce n’est pas lui qui fait le coup d’Etat. C’est mon aide de camp, le lieutenant-colonel Oumar Diallo, dit Birus, le chef d’état-major général de l’armée de terre, le lieutenant-colonel Kafougouna Koné [aujourd’hui général et président de la délégation générale aux élections, NDRL], et le chef d’état-major de la gendarmerie nationale et patron du poste de commandement opérationnel, le colonel Bakary Coulibaly, qui en sont les cerveaux.
Les protagonistes ont même failli en venir aux mains lorsqu’il a fallu désigner celui d’entre eux qui dirigerait le pays et le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) mis en place après le coup d’Etat. Le colonel Oumar Diallo, qui en a été l’élément déterminant, pensait tout naturellement que la charge devait lui échoir. Il a fallu toute l’autorité du lieutenant-colonel Kafougouna Koné pour ramener les uns et les autres à la raison. Après un débat particulièrement houleux, c’est ATT qui jouissait d’une réelle popularité chez les parachutistes, son corps d’origine, qui a été finalement choisi.
Etiez-vous informé de ce qui se tramait dans votre entourage ?
Je vais vous faire une autre révélation : en novembre 1989, le secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs maliens (UNTM), Bakary Karambé, qui sera plus tard un des artisans de ma chute, est venu me faire une confidence : le gouvernement socialiste français, m’avoua-t-il, envisage de déstabiliser certains pays africains, dont le Mali, dans le but d’installer au pouvoir des opposants. Karambé disait tenir l’information d’une de ses amies, une universitaire française proche des socialistes. J’ai informé le gouvernement et la direction de l’UDPM de ce qui se tramait à Paris.
Bien entendu j’ai mis les services de renseignement au parfum. A l’époque, c’est mon aide de camp, le lieutenant-colonel Oumar Diallo, qui dirigeait la sécurité d’Etat [les services secrets, NDLR]. Savez-vous, par exemple, que Radio France Internationale a annoncé ma chute et la prise du pouvoir par cet aide de camp, alors même que j’étudiais avec le ministre et les membres du bureau exécutif central de l’UDPM des moyens de satisfaire aux revendications du mouvement dit démocratique ? Une rencontre décisive avec les meneurs et les syndicalistes était même prévue, qui n’a pu finalement avoir lieu. J’étais en train d’expliquer à l’assistance que si cette rencontre avait avorté, c’est parce que la France cherchait un homme pour me renverser, lorsque mon ministre de l’agriculture, Moulaye Haïdara, a fait irruption dans la salle pour dire que RFI venait d’annoncer que mon aide de camp avait pris le pouvoir. J’aurais pu ordonner au ministre de la défense d’organiser la riposte, essayer de mater le coup ou de faire « cravater » le chef d’état-major de l’armée de terre qui était présent ou mon aide de camp, qui se trouvait au rez-de-chaussée du palais, mais j’ai continué mon exposé comme si de rien n’était.
Pourquoi vous n’avez pas réagi ?
Si j’avais réagi, croyez-moi, je serais en place aujourd’hui. Mais je me suis abstenu pour éviter un bain de sang. Rien ne justifiait une bataille rangée dans la ville de Bamako. J’ai été élevé dans une grande famille où l’on a le sens de l’honneur. Si j’ai pris le pouvoir, le 19 novembre 1968, c’est parce que notre peuple souffrait des dérives du régime de Modibo Keïta. Pendant trois mois, les gens nous ont manifesté leur soutien et leur reconnaissance.
Ainsi donc, vous seriez resté au pouvoir en 1991 si vous l’aviez voulu ?
Bien entendu ! Certes, la France socialiste et l’Union européenne auraient suspendu leur aide au Mali, mais, à l’époque, nous avions des amis, notamment dans les pays du Golfe et en Asie, qui nous auraient aidés à passer ce mauvais cap. Lorsque, vers la fin des années quatre-vingt, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont refusé de nous venir en aide, nous leur avons tourné le dos et nous nous sommes adressés à des pays amis. Lorsqu’ils se sont rendus compte que l’asphyxie annoncée n’était pas au rendez-vous, ils ont changé d’attitude à notre égard et sont revenus à de meilleurs sentiments. A l’époque, la position du Mali auprès de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest [BCEAO] était largement créditrice…
Vous ne semblez pas porter les socialistes français dans votre cœur…
François Mitterrand est, j’en suis persuadé, le premier responsable de mes malheurs. J’ai toujours assimilé les socialistes à des néocolonisateurs, des négriers contemporains.
Que reprochiez-vous au juste à Mitterrand ?
C’était un hypocrite. Il racontait tout le temps des salades. Il faisait mon éloge et celui de mon pays devant moi tout en agissant dans l’ombre pour me renverser. Nous étions pourtant bien partis pour nous entendre. Il est venu en visite officielle du Mali, et je lui ai rendu la pareille. Son épouse a effectué plusieurs séjours privés chez nous. La première fois, elle était très déprimée parce qu’elle avait, semble-t-il, des ennuis personnels. Nous avons tout fait pour lui remonter le moral. Elle est revenue au Mali, avec des intentions inavouables, en pleine effervescence politique et sociale à Bamako. Nous l’avons plutôt mal reçue, car mon épouse et moi-même n’apprécions guère sa propension à s’immiscer dans les affaires intérieures du Mali. Au début des années quatre-vingt, les socialistes français pensaient rester au pouvoir pour des décennies. Ils voulaient se débarrasser de certains chefs d’Etat africains qui, à les entendre, devaient leurs fauteuils à la droite. A leurs yeux, j’étais lié à Jacques Chirac. Il fallait donc me renverser…
Dans quelles conditions avez-vous connu Jacques Chirac ?
Nous avons vraiment fait connaissance après son éviction du poste de Premier ministre, en 1976, par le président Valéry Giscard d’Estaing, donc à un moment où tout le monde le fuyait. Un jour, il m’a invité à venir assister à des festivités à la mairie de Paris. J’ai tout de suite accepté. Il n’en revenait pas. Il m’a dit : « Vous acceptez de venir ? » Je lui ai répondu : « Pourquoi pas ? Je n’ai rien contre vous. » Il m’a pris par les mains et m’a dit : « Vous êtes un ami. » Beaucoup de chefs d’Etat avaient décliné l’invitation. Chirac, c’est quelqu’un d’extraordinaire. Il me demandait parfois conseil avant de prendre des décisions importantes sur l’Afrique. Il lui est même arrivé de me soumettre, au préalable, certains documents. Je faisais des observations écrites et je les lui retournais. Croyez-moi, il tenait compte de mes avis. Je prenais son attitude pour une marque d’amitié.
Avez-vous gardé le contact avec lui ?
J’ai eu de ses nouvelles, ces dernières années, par personnes interposées. Pour ne pas le mettre dans une position difficile, je lui ai déconseillé d’intervenir en ma faveur auprès des autorités maliennes. Il est passé outre et a demandé, à plusieurs reprises, l’élargissement de mes enfants, de mon épouse et de moi-même.
Il a entretenu, ces dernières années, de bien mauvaises relations avec le président Alpha Oumar Konaré…
C’est en partie à cause de moi. Il avait ainsi demandé au président du Sénégal, Abdou Diouf, d’aller plaider la cause de mes enfants et de mon épouse auprès d’Alpha Oumar Konaré. Dans le cadre de cette mission, le président sénégalais s’est déplacé à deux reprises à Bamako, mais il n’a rien obtenu d’autre de son interlocuteur que de vagues promesses sans lendemain (Contacté, à Paris, où il vit depuis deux ans, Abdou Diouf nous a confirmé être effectivement intervenu en faveur des époux Traoré et de leurs enfants, mais de sa propre initiative, NDLR). Beaucoup d’autres chefs d’Etat ont entrepris la même démarche, sans plus de succès. Konaré n’a rien voulu entendre…
Le contentieux entre Chirac et Konaré remonte au refus de ce dernier d’aller rencontrer le président français à Dakar. C’était en 1995…
Il a refusé d’aller discuter avec Chirac à Dakar, alors que d’autres présidents de la sous-région l’ont fait, mais cela ne l’a pas empêché, dans d’autres circonstances, d’aller à la rencontre d’un ministre français à Libreville.
Auriez-vous accepté, lorsque vous étiez aux affaires, d’aller vous entretenir avec un chef d’Etat français dans un pays tiers ?
Si les intérêts du Mali et de la sous-région l’avaient commandé, je serais allé à Dakar pour m’entretenir avec un président français, fût-il François Mitterrand [rires].
On peut conclure que vous n’avez pas été, comme d’autres, socialiste dans votre jeunesse…
Détrompez-vous ! Lorsque Lumumba a été assassiné en janvier 1961, j’étais à l’école des officiers à Fréjus, dans le sud-est de la France. J’étais révolté. Le lendemain, nous avions un cours sur la guerre psychologique, euphémisme utilisé par les officiers français pour désigner la lutte contre le communisme. Le capitaine chargé d’assurer notre formation est arrivé avec plusieurs cartes géographiques sous les bras. Les unes étaient recouvertes de pointillés rouges, les autres coloriées en rose, comme pour bien fixer dans nos têtes l’axe du Mal. Puis, il s’est lancé dans une violente diatribe anticommuniste, promettant à tous les « rouges » le même sort que Lumumba.
Cet exposé, prononcé au lendemain de l’assassinat du leader congolais, m’a profondément ulcéré. Un de nos camarades congolais a alors fait une longue intervention pour démolir l’argumentation du capitaine et pour lui remettre les idées en place. J’ai pris la parole pour défendre, avec beaucoup d’émotion dans la voix, la mémoire de Lumumba et le bien-fondé du système communiste. Notre instructeur était d’autant plus surpris que j’étais l’un des éléments les plus modérés et les plus sages de la promotion…
Le défenseur passionné de Lumumba a été, jusqu’à sa chute, un opposant forcené du multipartisme…
Cela fait partie des légendes colportées sur mon compte. Comment pouvais-je refuser d’instaurer le multipartisme alors que j’ai été des tout-premiers à en parler ? C’est moi-même qui ai décidé de provoquer le débat sur la démocratie pluraliste, alors même que quarante-six des quarante-huit sections de l’UDPM y étaient opposées.
Pour contourner un éventuel désaveu populaire, nous avions prévu d’instaurer le pluralisme politique, non pas par référendum, mais en amenant en douceur l’UDPM à en accepter le principe. J’assurais personnellement la présidence de la Commission pour le multipartisme au sein du parti. Le dossier était déjà ficelé et un congrès extraordinaire devait se tenir le 28 mars 1991 pour entériner ce choix. Malheureusement, les évènements se sont précipités et j’ai été renversé le 26 mars…
Faute d’avoir écouté la vox populi…
Mais pas du tout ! J’avais mis en place une commission de médiation dont la présidence avait été confiée à l’actuel évêque de Ségou, Mgr Julien Mori Sidibé. Concernant les revendications syndicales, mon ministre des Finances a proposé une augmentation salariale de 15% et un déblocage des avancements. Je ne pouvais pas aller au-delà, sauf à me mettre de nouveau à mal avec les institutions financières internationales. J’ai également proposé aux travailleurs de me désigner certains de leurs camarades que j’aurais placés à des postes clés, au ministère des Finances, pour que l’UNTM se rende compte par elle-même de la situation des comptes de l’Etat. Toutes ces propositions n’ont pas réussi à désamorcer la fronde sociale. Le représentant de l’UNTM a fait, en langue bamanan, cette confidence au prélat : « Monseigneur, en vérité, nous cherchons autre chose qu’une simple augmentation des salaires. » Le même dira plus tard à la télévision malienne : « Ce que nous demandons, ni Moussa ni ceux qui viendront après lui ne peuvent nous le donner. » Je ne pouvais donc rien faire, puisque mes adversaires demandaient la lune.
Onze ans après, êtes-vous prêt à faire une autocritique, à reconnaître votre part de responsabilité dans les évènements de mars 1991 ?
Je suis le responsable politique et moral de tout ce qui s’est passé au Mali du 19 novembre 1968, date de ma prise de pouvoir, jusqu’à mon renversement, le 26 mars 1991. Mais je ne suis coupable de rien.
Le Mali a fait beaucoup de progrès depuis dix ans : le pluralisme politique fonctionne plutôt bien, la presse est libre, Alpha Oumar Konaré passera tout prochainement le témoin à un président élu…
Le progrès ne se mesure pas seulement à ce type de déclaration. Lors de mon premier procès, en 1992, j’ai déclaré que ceux qui avaient marché sur des cadavres pour accéder au pouvoir ne pourront rien faire de leur victoire. J’ai également dit qu’à l’heure du bilan, on se retrouverait comme à la vieille du 19 novembre 1968. Je n’ai pas changé d’avis. Que constate-t-on aujourd’hui ? La situation des cultures vivrières, abandonnées au profit des cultures de rente, est extrêmement préoccupante. Tout comme l’Education nationale. Cela fait onze ans que nos enfants n’ont pas été à l’école. Les centres de santé communautaire, les associations villageoises, bref tout ce que nous avions mis en place pour soulager les plus démunis a été démantelé ces dernières années…
Il y a aujourd’hui plus de routes bitumées au Mali que lorsque vous étiez au pouvoir…
Le financement du pont Fahd, la construction des principales artères de Bamako et du Palais des congrès, étaient déjà bouchés avant notre départ. Ils ont trouvé les plans et l’argent en arrivant au pouvoir. Certains ouvrages, financés. Cheikh Zayed des Emirats arabes unis était et reste un ami. Je regrette de n’avoir pas eu suffisamment de temps pour mener à terme deux ou trois autres projets importants. J’avais ainsi conclu avec les Soviétiques une convention pour l’aménagement de 200 000 hectares de terres. Ils avaient déjà livré du matériel lourd, mais en 1991, les travaux ont été subitement arrêtés et le matériel a été bradé à des entreprises de la place. Deux projets de barrage, censés renforcer l’autosuffisance alimentaire de nos populations, ont également été abandonnés sans explications et sans qu’on nous dise où est passé l’argent. Je n’hésitais pas à me déplacer aux quatre coins de la planète pour trouver des investisseurs. A la recherche de fonds pour l’exploitation du pétrole, je suis allé voir, en février 1989, Deng Xiao Ping, qui ne me refusait rien. Il était très fatigué et se reposait en province.
Beaucoup de chefs d’Etat, dont le président américain George Bush père, étaient passés à Pékin sans pouvoir le voir. J’ai dit aux responsables chinois : « Dites-lui que son ami Moussa veut le voir. » C’était un matin. A midi, on m’a informé qu’un avion m’attendait pour me conduire auprès de Deng Xiao Ping. On s’est connu lorsque j’avais 37 ans. Lui en avait 69. Lors de notre dernière rencontre, en 1980, j’avais 53 ans. Lui, 85 ans. Il m’a reçu dès le lendemain en présence de quelques dignitaires du régime – en Chine, il n’y a pas de tête-à-tête, et il m’a dit : « Mon ami, il faut retourner à Pékin. On essaiera de trouver une solution à ton problème. » Lorsque je suis revenu quelques heures plus tard dans la capitale, j’ai été conduit directement devant les membres du Parti communiste et du gouvernement réunis. Ils m’ont dit que leur pays n’avait pas beaucoup de devises et qu’ils ne pourraient pas, de ce fait, investir au Mali. Ils m’ont proposé, en revanche, de leur concéder une de nos mines d’or. Ils s’engageaient, avec une partie des bénéfices, à démarrer l’exploitation du pétrole…
Du troc, en quelque sorte…
J’ai, en tout cas, accédé à leur demande, ce qui a fortement déplu aux Français, qui avaient pourtant refusé, quelques mois plus tôt, de nous venir en aide…
Depuis dix ans, l’environnement régional a beaucoup changé. La Côte d’Ivoire et le Sénégal sont dirigés par deux anciens opposants, Laurent Gbagbo et Abdoulaye Wade…
Je ne connais ni l’un ni l’autre et je ne les ai jamais rencontrés. Mais, à plusieurs reprises, le président Senghor m’a parlé de Wade sur le ton de l’humour : « On me reproche d’être marié à une Française. Pourtant, au Sénégal, chacun à sa Française, à commencer par Wade… » Quant à Laurent Gbagbo, j’en ai entendu parler pour la première fois en 1990, lors de l’agitation sociale en Côte d’Ivoire…
Depuis onze ans, vous consacrez l’essentiel de votre temps à la prière…
Ce n’est pas nouveau. Lorsque j’étais aux affaires, je jeûnais trois jours par semaine, le mercredi, le jeudi et le vendredi, que je sois au Mali ou en voyage. Avec l’âge, je ne jeûne plus que trois jours par mois.
Vous avez eu comme ministre de la Culture, dans votre gouvernement, un certain… Alpha Oumar Konaré. Fut-il un bon ministre ?
Je peux jurer sur le Coran qu’il n’était pas à la hauteur. Il ne maîtrisait pas ses dossiers. Si je mens, je demande à en répondre le jour de la résurrection devant Dieu.
Vous l’avez pourtant gardé plusieurs années au gouvernement…
Je pars du principe que, dans la vie, on peut toujours s’améliorer. Les êtres humains sont perfectibles.
Et le commandant de votre garde s’appelait… ATT.
Il n’avait pas de relation directe avec moi. Il était placé sous les ordres de mon aide de camp, qui le connaissait mieux que moi.
Lui en voulez- vous toujours ?
Permettez-moi de vous répondre par un proverbe de chez nous : « Lorsque vous savez pourquoi vous endurez une souffrance, celle-ci cesse d’être une souffrance. »
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