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Janjo à Edmond Ousmane Traoré
Publié le samedi 8 avril 2017  |  Le Reporter
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Un Homme comme il n’en existe que rarement. J’ai mis du temps à t’écrire cet hommage parce que je n’en ai pas eu la force. Chaque fois que j’ai tenté d’écrire quelque chose, ma plume s’est arrêtée. Il m’a fallu 7 ans pour y arriver. 7 ans, tu t’imagines ! Depuis un 8 avril 2010. Un mois terrible ! J’ai été la dernière personne à te voir la veille, le soir du 07 avril. T’en rappelles-tu ? «Ordure, décharge municipale !» Pourquoi tu ne m’as pas mis dans la confidence ? Comment faire confiance à un Traoré ? Tu es vraiment une «ordure, une belle ordure», «mon ordure à moi», plus que «ordure», une «décharge interétatique». Nous partagions un vocabulaire qui nous était familier…Une sorte de complicité intellectuelle et affective.

Ce soir du 07 avril, nous nous sommes retrouvés comme tous les soirs à refaire le monde. Nous avions parlé de la situation du pays, du monde et de la déchéance de notre société, des dérives de l’humain… À peine sorti de ta maison, vers les alentours de minuit, une coupure soudaine d’électricité. C’était devenu une habitude en ce mois de canicule. Nous nous sommes arrêtés et tu m’as proposé de nous asseoir devant ta maison, en attendant le retour du courant. Une curieuse conversation s’est alors engagée entre nous. Tu m’as parlé de ton aversion profonde pour l’obscurité. Elle te rappelait celle de la tombe, disais-tu !

Tu m’as parlé de la solitude de la tombe. Je me suis rappelé l’enterrement d’un de tes amis d’enfance, dans son village lointain sur la route de Garalo, dans le cercle de Bougouni. Tu m’avais dit avoir été frappé par le silence accablant du lieu où il reposait désormais. Tu m’as dit que tu préférerais reposer un jour dans le cimetière de Niaréla. Les alentours étaient bruyants. Pas de solitude. Les Sotramas y passaient tout le temps avec le vacarme de leur klaxon. Depuis, à chaque fois que je passe à proximité, je klaxonne, comme pour te réveiller de ton sommeil éternel. Etrange soirée quand j’y repense.

Le lendemain, quand on m’a informé de ton décès, je n’y avais pas cru. Un terrible poisson d’avril ? Non, c’était la triste réalité. J’en étais foudroyé. Je suis rentré aussitôt à la maison et je suis resté cloitré dans ma chambre, l’esprit vide. Curieuse sensation d’absence, de solitude extrême… Quand je me suis décidé à aller te voir, j’ai refusé qu’on enlève le drap qui couvrait ton corps. Je ne voulais pas garder de toi l’image d’une rigidité corporelle. Nous avons perdu toi et moi, des parents, des amis, des camarades…Dernièrement mon épouse Haby… Paix à ceux qui sont morts, douleur à ceux qui leur survivent ! Vanité et insignifiance de l’humain face à son destin…

Je me rappelle au centimètre près, des endroits, au croisement de ta rue et de la mienne où nous pouvions rester de longs moments à causer et à nous raccompagner l’un et l’autre, du fauteuil où je m’asseyais chez toi chaque soir, du tien chez moi, de tout comme si c’était hier… Au fil des années notre complicité était devenue plurielle.

Comment comprendre cette amitié entre un «communiste attardé» selon ton expression et un «féodal incorrigible» selon la mienne ? En fait, la solidité de notre amitié reposait sur notre attachement respectif aux valeurs de nos terroirs respectifs : amour de la vérité, haine de l’injustice, solidarité humaine, loyauté. Bien qu’ayant été tous deux, à l’école occidentale, nous sommes restés assez ancrés dans nos cultures et valeurs fondamentales de civilisation. Je me rappelle des propos tenus par des parents venus du fond du Bafing te rendre hommage. J’en avais été émerveillé. Des vieux de l’âge de nos parents qui ont salué ton sens de la famille, ta générosité d’esprit et de cœur, toi le jeune bâtisseur de ponts entre les générations…

J’ai bu leurs discours jusqu’à la dernière goutte. Moi, le «communiste», j’étais fier d’avoir pour ami toi, le «féodal» ! Nous n’étions pourtant pas politiquement du même bord. Je te traitais souvent de «chien méchant» du CNID ou de Mountaga Tall. J’étais souvent étonné de ton engagement actif tardif en politique, toi qui as eu pour père Tidiane Faganda Traoré, un illustre militant politique dont la force de conviction, l’engagement et l’honnêteté étaient reconnus par tous. Je me rappelle de ton arrestation et ton emprisonnement suite à une marche de l’Opposition. Tu avais été précisément ciblé. Il fallait régler ton compte. Je me rappelle de tes larmes quand on t’a accusé à tort d’avoir jeté des cailloux contre les forces de l’ordre. Pure indignité pour le «féodal» que tu étais !

Il fallait t’humilier, toi, l’opposant politique du moment. On a poussé l’acharnement jusqu’à accuser ton jeune frère, maire d’une Commune de détournement de deniers publics. Il en a été, lui aussi, brisé à jamais. Il fallait te rabaisser le caquet. Immense tragédie ! Méchanceté gratuite ! Des vies broyées ! Dérives politiciennes qui nous ont conduits dans les impasses actuelles. Ton désengagement ultérieur du champ politique ne m’a pas non plus surpris quand tu t’es aperçu du double jeu et du revirement de certains de tes compagnons politiques d’alors. Le temps des convictions était révolu, place à l’opportunisme. Il fallait aller au festin du pouvoir. Tu n’étais pas de cette étoffe. Cela nous a rapprochés et davantage ancrés dans les principes et valeurs qui étaient les nôtres. Mais aussi dans nos amertumes…

Quand j’interroge le présent, dans la solitude qui est parfois la mienne, une consolation me vient à l’esprit, la chance que tu as eue de n’avoir pas été témoin de la déchéance actuelle de notre pays, de toutes les trahisons et bassesses qui nous ont amenés à saccager l’héritage que nos aînés nous avaient laissé, par cupidité, par lâcheté collective. Nous sommes devenus presque un peuple de «gueux»! Je ne suis pas un griot pour chanter ta mémoire. Toi, Traoré, je te fais Diarra. Même s’il est vrai qu’aujourd’hui bien des Diarra sont devenus moins que des Traoré. Les hommes de conviction et de principe sont devenus rares. Etrangers qu’ils sont dans leur propre pays. Le désastre est total.

Il reste à espérer que des parcours de vie tels que le tien et celui d’autres patriotes puissent un jour faire germer de nouveau l’espérance. Alors, j’écris un Janjo pour toi. Tu as accompli ta part de devoir. Chantons des exemples comme le tien pour que les actuelles et nouvelles générations puissent se rappeler les leurs et ne pas continuer à trahir le pays et ses racines. Repose en paix, cher ami, mon «ordure» de lumière !

Pr. Issa N’DIAYE
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