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Mahamadou Diarra, marabout/guérisseur et non-voyant : «J’invite tous les handicapés à ne pas perdre espoir…»
Publié le mercredi 17 mai 2017  |  Le Reporter
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Mahamadou Diarra est un marabout et non moins guérisseur. Installé à Niakané, arrondissement de SEFETO, dans le cercle Kita, de passage à Bamako, impressionnés par son dynamisme malgré son handicap, nous avons tenu à le rencontrer. Ici, il nous raconte son parcours, la méchanceté des gens, mais surtout il conseille à tous les handicapés de ne pas perdre espoir et de se battre pour se faire une place au soleil.
À quel âge êtes-vous allé à l’école ?
Je n’ai pas fait l’école française. Je suis né en 1953, mais je suis allé à l’école coranique à l’âge de 7 ans. Je tiens à rappeler qu’à l’âge de 6 ans, j’ai perdu la vue.

Comment avez-vous perdu la vue ?
En 1953 et le jour de ma venue au monde, mon village a eu l’opportunité d’enregistrer 3 naissances et nous étions tous des garçons. Il se trouve que dans notre village, il y avait Lassana Diaby, un marabout Djaganké, venu de la Guinée et qui faisait des prédictions. Nos parents sont allés l’informer de notre naissance et le consulter. Selon le marabout Djaganké, vu le jour de notre naissance et le mois, il y a de forte chance qu’aucun d’entre nous ne vive pendant longtemps. Mais, il a tenu à préciser que celui qui vivra parmi nous trois, deviendra une forte personnalité, c'est-à-dire un «massa». Qu’à cela ne tienne, nous avons été baptisés.

L’un a été prénommé ADOU, l’autre NEGUE et moi Mahamadou. Mais NEGUE et ADOU sont vite décédés. NEGUE n’a pas atteint les 2 ans. ADOU est décédé avant d’avoir 4 ans. Donc, je suis resté le seul survivant et cela a énormément commencé à intriguer. Autour de moi, il se disait que les prédictions du marabout Djaganké allaient se réaliser. Et, cela n’était pas le souhait de tous.

J’ai été victime de la méchanceté de l’oncle de mon père lorsque j’avais à peine 6 ans. Il se trouve qu’une dame du nom de Bamissa qui était possédée par des génies avait demandé à mes parents de ne jamais me laisser manger des noix de cola que quelqu’un pourrait me donner dans la rue. Enfant, j’ignorais cette interdiction. Un jour, un oncle de mon père m’a remis une noix de cola, sûrement «maraboutée» et m’instruit de la croquer. Chose que je fis sans hésitation. Mais, à la vue de ma bouche toute rouge, ma mère m’a demandé de cracher cette noix de cola. Mais le mal était déjà fait parce que j’avais avalé une bonne partie. Comme par magie, après 4 jours de maux d’yeux, j’ai perdu la vue au bout du 5è jour.

Malgré cette perte de vue, vous êtes allé à l’école coranique ?
Effectivement, malgré la perte de vue, mon père a décidé de m’envoyer à l’école coranique. Il avait fait un raisonnement simple : m’envoyer à l’école coranique pour que j’apprenne des sourates qui pourront m’aider à mendier pour vivre, parce que je suis aveugle. Mais Dieu faisant bien les choses, j’étais très intelligent et j’apprenais facilement les versets coraniques. J’ai eu pour premier maître Mary Traoré. Après son décès, j’ai rejoint mon maître et oncle Sambaly Diarra, lui-même élève de Seydina Oumarou Dramé de Nioro.

De l’école coranique, comment êtes-vous devenu marabout guérisseur ?
C’est le fait de Dieu. En plus de l’école coranique, j’ai eu la chance d’être très vite initié par mon père qui était un très grand guérisseur. Il n’était pas féticheur. Je ne l’ai jamais vu avec un fétiche. Il connaissait vraiment les plantes. Et, il était beaucoup sollicité par de nombreux malades de notre secteur. Les malades venaient de Seféto ou Késsé, Kakolota, Bagué, kasson, Soroma, Guidimé, Gagnaga, Térenga, Gadiaga, guidimaga. Très jeune, tous ces malades de mon père m’étaient confiés à la lisière du village. Souvent chez nous, il y avait à la maison de 5 à plus de 30 malades. Et, comme mon père avait une très grande renommée, cela a commencé à faire des jaloux dans le voisinage. Les gens ont commencé à se plaindre que les malades soignés dans notre famille allaient finir par contaminer le voisinage.

Pour mettre fin à ces critiques acerbes, tous les matins mon père m’envoyaient avec les malades à la lisière du village, au bord d’une rivière et sous un grand arbre. J’y restais toute la journée avec les malades avec la lourde responsabilité de leur administrer les médicaments que mon père avait préalablement préparés. On ne rentrait au village qu’au petit soir pour y passer la nuit et le lendemain, très tôt, on quittait le village pour éviter les critiques des voisins. En plus de ma formation dans les plantes médicinales, cela m’a permis d’apprendre à parler le sarakolé, le peulh et le maure.

Sûrement la maîtrise de ces langues vous a motivé à sillonner le monde ?
Effectivement, c’est à l’issue de cette expérience que j’ai eu l’envie d’aller à la conquête davantage de connaissances et de savoirs. J’ai commencé à voyager dans les localités comme : Nioro, Yélimané, Bafoulabé. Et j’ai pris goût et je me suis retrouvé au Sénégal, en Mauritanie, en Gambie et en Côte d’ivoire. Ensuite, j’ai aussi fait le Ghana, le Togo, le Bénin, le Cameroun, le Gabon et même l’Europe, précisément la France.

Vous avez voyagé pour votre formation ou pour proposer vos services ?
Lors de mes voyages au Mali et dans certains pays de la sous-région, j’allais à la recherche des connaisseurs, des grands maîtres. Certains connaissaient déjà les prouesses de mon père et n’hésitaient pas à m’assister en me donnant quelques secrets. En réalité, de ces voyages, j’ai beaucoup appris. Autant que sur les bancs de l’école coranique que près de mon père. Cela m’a permis d’accumuler d’énormes connaissances.

Comment la connaissance s’est installée en demeure chez vous ?
Il faut que j’ajoute que mon père avait un ami qu’on appelait Djiné Brahima. Il s’était installé à Yélimané. Parce qu’il recevait un très grand nombre de visiteurs qui venaient par avion. Mon père m’a confié à lui et j’ai séjourné chez lui de 1974 à 1975. Et, il m’a donné d’énormes connaissances. Mais, auparavant, mon père qui n’avait pas encore dit son dernier mot quand à ma perte de vue, en 1964, m’a accompagné à Denguébéré pour voir Modibo Gueri. Ce dernier a dit à mon père que je n’allais plus recouvrer la vue. Mais, il a instruit que dès notre retour au village, de changer le site de notre concession pour me faire beaucoup plus d’espace dans l’avenir, parce que j’aurai une famille énorme et du monde autour de moi. Même si nous avons beaucoup pleuré quand nous avons reçu cette information qui faisait fondre notre espoir, mon père m’a proposé d’aller voir Modibo Kane à Mondoro.

Chemin faisant, mon père m’a fait la révélation que nous avons plus que 2500 francs maliens et que cette somme ne suffisait plus pour nous assurer le transport retour jusqu’au village. Il se lamentait parce que nous n’avons pas la possibilité de travailler pour nous faire un peu d’argent, afin de revenir chez nous. C’est en ce moment que nous avons vu une grande foule qui venait à notre rencontre. J’ai vraiment eu peur ce jour-là parce qu’il y avait un énorme bruit. Mais, heureusement, s’était une foule d’admirateurs que nous ignorions.

Il se trouve que quelques heures avant, Modibo avait informé le village de notre arrivée, avec des détails précis. Malgré sa sainteté, il avait souhaité que le petit garçon que je suis et qui accompagnait une personne âgée, fasse des bénédictions pour son village. À notre arrivée, les villageois déjà informés par le maître Modibo Ando kane, sont venus à notre rencontre. Donc, c’est sur les conseils de mon père que j’ai fait des bénédictions pour le village. Contents, les villageois nous ont remis un taureau que nous avons vendu pour payer notre transport retour au village, après avoir reçu des bénédictions de Modibo.
Malgré votre handicap, vous avez sillonné tout le Mali pour prier sur les tombes de saintes personnes.

Au Mali et un peu partout en Afrique de l’Ouest, j’ai prié sur la tombe de la plupart des saintes personnes. En bateau, je me suis rendu dans le nord du pays pour prier dans des lieux saints et implorer l’assistance de Dieu. De retour d’un voyage de Côte d’Ivoire, je me suis rendu chez un grand marabout à Youwarou pour chercher de la connaissance. Effectivement, ma rencontre avec ce grand marabout est pour beaucoup dans le succès des bénédictions que je fais.

Il m’a fait subir un rite initiatique à travers une retraite spirituelle (Kaloa) de 40 jours dans un creux dans la brousse. Et, cela m’a énormément réussi. Parce que depuis, mes bénédictions et prières sont exaucées par Dieu. Pour faire preuve de modestie, je peux dire que Dieu exauce mes bénédictions et prières à hauteur de 80 voire 90%. Mais Dieu reste fort. Il accepte quand il veut et il refuse quand il veut. Je continue à réussir par le téléphone des bénédictions et prières pour des Maliens même des Etats-Unis, de la France et partout dans le monde.

Est-ce qu’on peut dire que vous êtes aujourd’hui installé à Bamako ?
Je ne suis pas installé à Bamako. Même si j’ai un immeuble en étage dans cette grande ville, je suis installé dans mon village. De retour de Youwarou, de bouche à oreille, les gens ont commencé à me solliciter davantage. C’est ainsi que des commerçants qui avaient maille à partir avec les douanes m’ont fait chercher au village pour trois wagons saisis. J’ai refusé de venir à Bamako, parce que mon père était malade il y avait trois ans et j’étais le seul fils à m’occuper de lui. Mais, mon père m’a instruit de venir.

Et que sa maladie ne devait pas m’empêcher de voyager, pour la simple raison que la vie appartient à Dieu. Les commerçants qui m’ont fait venir à Bamako, m’ont installé à Sabalibougou, où mon père malade m’a rejoint quelques temps. Il s’est ouvert à moi, en me disant qu’il n’était pas malade. Mais qu’il se faisait vieux et qu’il se souciait énormément pour moi, parce que les prédictions tardaient à se réaliser. En réalité, mon père avait perçu l’invitation des commerçants de Bamako comme un premier pas de la réalisation des prédictions.

Il n’avait aucun doute que les prédictions allaient se réaliser. Mais il m’a instruit de ne pas rester à Bamako, même si j’allais y construire un jour un immeuble en étage. Mon père m’a demandé de ne jamais abandonner sa concession au village. Il a insisté que je fasse tout pour construire cette concession. Chose que j’ai faite, même si en 1986, j’ai commencé à construire mon immeuble à Daoudabougou, comme mon père l’avait prédit. Aujourd’hui par la grâce de Dieu, j’ai 4 épouses et une grande famille à ma charge.

Avec le nombre élevé de visiteurs que vous avez à travers le Mali et le monde, vous ne dites pas tout cela pour en chercher davantage ?
Rassurez-vous, Dieu merci. Aujourd’hui, ma renommée me permet de vivre. Je ne le fais pas pour conquérir une nouvelle clientèle. Mais ma sortie a pour sens de sensibiliser les handicapés au Mali et à travers le monde de ne jamais perdre espoir. De croire en la force et la puissance de Dieu. Avec la croyance en Dieu, l’espoir est permis. Je vais vous raconter une petite anecdote me concernant.

En 1964, quand mon père et moi sommes revenus de notre périple de Denguébéré et de Mondoro, il est allé faire le compte-rendu à son oncle qui était le chef de famille. Il l’a informé que son petit-fils n’allait plus jamais recouvrer la vue. Mais, il a sollicité que son oncle l’autorise à s’installer dans un espace plus grand comme l’a souhaité le marabout de Denguébéré. Cela a fait de nous la risée du village, parce que ceux qui avaient 7 voire 8 garçons, ont commencé à se moquer de nous. Certains ont même dit que si pour un seul garçon, qui plus est aveugle, l’on veut un grand espace, qu’eux avec leur nombre d’enfants devaient aller s’installer dans le Sahara. J’en ai énormément souffert.

Mais, ces méchancetés n’ont pas émoussé l’ardeur de mon père qui est allé chercher les Baradji de Sitakoulou pour venir chasser les djins de l’espace qu’il convoitait pour l’installation de notre nouvelle concession. Mon père n’est plus en vie, mais aujourd’hui, la concession a débordé de loin les limites qu’il nous a léguées. Mon cas doit inspirer tous les handicapés. Je suis aveugle depuis l’âge de six ans. Aujourd’hui, j’ai 4 épouses et une nombreuse descendance dont de nombreux petits-fils et filles. Je peux aussi vous révéler que j’ai eu à faire la vaccination de plus de 200 têtes de bœuf qui m’appartiennent.

Est-ce qu’on peut dire que vous êtes marabout ?
Oui, je suis marabout. Je n’adore pas de fétiche. Je lis le Coran. Je guéris des malades et je fais des bénédictions pour les gens au nom et par la grâce de Dieu. Je suis guérisseur parce que j’utilise les plantes pour soulager les maux de mes concitoyens et je ne crois pas que cela fasse de moi un féticheur. Je fais aussi des bénédictions pour la résolution des difficultés des gens. J’interviens pour les couples qui ont des difficultés d’avoir des enfants. Je fais des bénédictions pour les voyages de ceux qui veulent aller en aventure. Je fais aussi des bénédictions pour la facilitation d’obtention des documents administratifs pour nos expatriés qui le souhaitent. Je rappelle que j’ai une renommée établie dans ma localité d’origine, en ce qui concerne les bénédictions qui facilitent les voyages en Europe. Et,

j’ai même essuyé des actes de jalousie de certains parents. En 1986, j’ai fait taire tous les jaloux par un voyage bien réussi et rempli en France. De retour de mon premier séjour français, j’ai acheté ma concession de Daoudabougou et j’ai acheté une quarantaine de têtes de bœuf. Déjà jeune et je faisais partie des gens en France par mes bénédictions et qui m’envoyaient des mandats. Cela a fait des jaloux de telle sorte qu’on a commencé à dire qu’au lieu de faire partir les gens : pourquoi je ne le fais pas pour moi-même.

Cela m’a énormément fait pleurer et ma mère m’a demandé de faire des bénédictions pour moi-même pour que j’aille en France aussi. Mais aveugle que pouvais-je faire en France ? Sur le coup, j’ai été sollicité pour une retraite spirituelle à Bamako. J’ai profité pour faire des bénédictions pour mon voyage. Et en 1986, je suis venu pour un mariage à Bamako et cela a coïncidé avec mon billet d’avion sur Paris. Et là, j’ai eu un succès énorme.

Vous êtes un marabout constructeur ou destructeur ?
Je jure la main sur le cœur que je n’ai jamais pris de l’argent avec quelqu’un pour faire du mal à quelqu’un d’autre. Je ne suis pas jaloux des autres marabouts. Je n’envie pas les autres marabouts. Oui, des gens viennent me voir pour faire du mal à d’autres personnes, mais je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais.
Quelles sont vos conditions ?

Je n’impose pas de prix. J’accepte ce qu’on me propose. Mais, il y a des cas où je dis après satisfaction, tu me payes ça.

En guise de conclusion
Je n’ai pas accepté cette interview pour que je puisse avoir de nouveaux clients. Dieu merci, aujourd’hui, j’ai beaucoup de visiteurs qui me font confiance. Mais, j’ai fait cette interview pour demander à mes concitoyens et surtout aux handicapés de croire en Dieu. Lui seul est miséricorde et a la possibilité de trouver des solutions à nos difficultés. Je souhaite aussi que les handicapés qui vont me lire sachent qu’un handicapé, comme eux, s’est battu dans la vie pour exister.

Assane KONE
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