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Art et Culture

Marchés du mobilier : Nos artisans s’adaptent à l’évolution du marché
Publié le mercredi 16 aout 2017  |  L’Essor
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De très beaux meubles importés de l’étranger sont aujourd’hui excellemment imités par les ébenistes. Et les consommateurs s’en réjouissent

Depuis quelques années, les meubles importés avaient fait le forcing pour s’imposer dans le secteur du mobilier de maison et de bureaux dans notre pays. Le constat s’établit de lui-même. Dans les bureaux, maisons, hôtels, restaurants, salons de coiffure etc., le « made in Mali » se faisait rare. Et une petite promenade à travers le grand marché et dans les magasins implantés le long des avenues démontrait à suffisance ce basculement.
En effet, les meubles en provenance de Chine, de Dubaï, d’Inde, du Pakistan, de Corée, de Singapour, du Vietnam, de Malaisie, des Philippines, de Bahreïn, d’Indonésie ou de Thaïlande etc., avaient investi le marché du mobilier à la grande satisfaction de leurs importateurs. Outre leur finition soignée, ces meubles se distinguaient surtout par leur design moderne et en constance innovation. Ces deux éléments constituaient leurs grands atouts sur des meubles locaux qui laissent beaucoup à désirer dans ces domaines.
Les prix diffèrent en fonction du pays de provenance, du standing du magasin et de la taille du meuble. La frange « huppée » de la population ne lésine pas sur les moyens pour embellir ses demeures. Ces goûts nouveaux et ces nouvelles habitudes de consommation avaient cassés les reins aux menuisiers locaux. Mais pas pour longtemps. En effet, tirant les leçons de ce forcing des meubles importés, nos artisans ont développé leur capacité de réactivité, d’adaptation et d’imitation. Aujourd’hui, ils imitent parfaitement et même mieux les mobiliers importés, cela au grand bonheur des consommateurs.

UN CRÉNEAU TRÈS PORTEUR. En effet, depuis une décennie, les magasins de meubles importés, ont poussé comme des champignons à travers Bamako. Ces meubles brillent de mille feux et aimantent le regard par leur style, leurs couleurs et les matériaux utilisés. La gamme proposée est très large incluant de profonds fauteuils de salon, de très classes mobiliers de bureau, des tables à manger bourgeoises, des bibliothèques, armoires, buffets recouverts d’une superbe patine.
Sidi Mohamed Sylla est un jeune négociant de meubles, dont la boutique est logée dans l’immeuble Simpara sur la route de Sotuba. Sa boutique « Sylla Décor » est aujourd’hui pleine à craquer et on y trouve toutes sortes de mobiliers. Ce commerçant nous dévoile que ses meubles viennent de Chine et de Thaïlande. « Mais beaucoup d’autres jeunes importateurs de mobiliers de maison importent de Malaisie, du Bangladesh et même de Bahreïn. Les femmes préfèrent les Émirats arabes unis principalement Dubaï », explique le commerçant. Cette abondance de biens ne le fait pas sourire. Bien au contraire. Il relève en effet une certaine déprime dans le secteur depuis bientôt deux ans par la faute de la pléthore de négociants qui s’est engouffrée dans le créneau.
La concurrence se marche sur les pieds tandis que s’alourdissent les taxes et le transit. Il n’y a pas si longtemps, un salon complet en cuir coûtait entre 350 000 à 500 000 FCFA. Mais les frais d’acheminement et de douane ont lourdement grevé les coûts. Malgré tout, les importateurs parviennent à tirer leur épingle du jeu, tempère notre interlocuteur.
Leur marge semble, en effet, confortable comme un tour dans certains magasins de la capitale le montre assez nettement. On y déambule entre des salons coûtant entre 1,4 et 2 millions de Fcfa, selon la qualité et le style. Le mobilier d’une chambre à coucher nécessite de débourser de 900.000 à 3 millions de Fcfa. « Je vends le mobilier d’une chambre à coucher complète, c’est-à-dire une armoire de 6 battants, un lit-double, une coiffeuse, à 2.500.000 Fcfa. Certains clients m’ont proposé 1,5 million mais il me faut au moins 2 millions. Le marché est très lent, je passe parfois une semaine sans vendre un seul meuble », indique le jeune commerçant, le gérant d’un magasin de meubles à Faladié.
Cependant, reconnaît-il, le marché est en pleine régression « Ces marchandises que vous voyez ici ont été importées depuis plus d’une année. Les acheteurs font les va-et-vient et trouvent souvent que les prix sont assez élevés. Pire à la concurrence entre nous importateurs s’est greffée celle des artisans locaux qui imitent avec une perfection ahurissante nos marchandises. Et pire, ils le vendent moins chers que nous », se désole Sidi Mohamed Sylla.
Mme Fatim Ongoiba promotrice de « Didja Boutique », spécialisé dans les équipements de maison, mobiliers et décorations, est aussi déconcertée. « Aujourd’hui, nous privilégions les modèles commandés. En effet, de façon générale, les meubles importés ne s’écoulent facilement sur le marché, moi j’importe en fonction de la commande. Car, pour percer dans ce secteur, il faut avoir une notoriété certaine et un carnet d’adresse bien fourni. Mais aujourd’hui avec l’ingéniosité de nos artisans qui arrivent à reproduire avec une conformité surprenante, le marché est encore très lent. Mieux le prix proposé par les artisans locaux est 2 fois moins cher que le nôtre », indique la grande commerçante.

LA QUALITÉ AMÉLIORÉE ET LE DESIGN RÉADAPTÉ. En effet, les meubles venus d’ailleurs étaient très prisés, mais sont-ils, pour autant, exempts de reproche ? Non, réagissent vivement des fabricants locaux qui assurent que les meubles « made in Mali » résistent mieux à l’humidité et à la saison des pluies. La plupart des produits importés se déforment sous l’effet de l’humidité, croient-ils savoir. « Ce sont des bijoux d’une brillance éblouissante, mais faits de carton de cire et de copeaux », juge même Mohamed Diané, un fabricant local installé au bas de la colline de Badalabougou.
Cependant, exergue notre interlocuteur, le temps du complexe et de l’impuissance est dépassé. « Aujourd’hui, beaucoup d’artisans comme moi, avons pris le temps de mieux étudier des mobiliers importés pour les imiter. Vous voyez vous même le résultat. Il suffit qu’un client nous apporte la photo d’un meuble pour que nous la reproduisions. L’avantage, c’est d’abord la qualité. Ici, nous utilisons les vrais bois et même du bois rouge alors que les importations sont plus des cartons et bois broyés. Le seul problème qu’on avait était l’accessibilité aux tissus et aux objets décoratifs, mais nos commerçants importent ces produits maintenant et de qualité. Mieux, quand les meubles se détériorent, nous pouvons les réparer sans difficultés », indique l’artisan.
Salia Sangaré est à la fois importateur de mobilier de maison et propriétaire d’un atelier de fabrication de meubles locaux. Ses deux casquettes incitent à écouter avec attention son point de vue : la différence entre les meubles importés et locaux résidait dans l’aspect extérieur des seconds qui sont très raffinés et élégants. « Ce qui est sûr cependant, c’est que les prix d’origine sont vraiment faibles. D’abord ces meubles sont fabriqués dans des pays, où la matière première et la main d’œuvre sont bon marché, où les matières premières existent et en abondance. En plus, ces pays possèdent une industrie textile très performante capable de fabriquer les meilleurs tissus d’ameublement », analyse-t-il en indiquant que nos opérateurs importent aujourd’hui des tissus d’ameublement très raffinés, ce qui nous incite à imiter l’extérieur.
Les meubles fabriqués en Asie ou en Europe sont loin d’être de la pacotille ou des « détritus » déversés dans nos pays. « Contrairement à nous, les Européens et les Asiatiques n’aiment pas les meubles lourds, difficiles à transporter. Ils préfèrent des meubles démontables. Ils assurent eux-mêmes le montage de leurs meubles et la décoration de leurs maisons. En outre, ils ont des produits d’entretien de meubles de meilleure qualité. Là-bas, il y a moins de poussière et de chaleur et leurs meubles sont fabriqués en fonction de leurs exigences », précise le connaisseur.

LA TENDANCE AU SALON MAROCAIN. Il faut dire que dans un passé très récent, les fabricants locaux ne s’embarrassaient pas de toutes ces subtilités. Leur analyse de la situation était lapidaire et mêle mauvaise foi et légitime défense. De leur point de vue, le marché était envahi et leur profession menacée. Ils indexaient la qualité des matériaux utilisés dans la confection de ces meubles importés et alignent les jugements sans appel comme « meubles-poubelles des Européens », « pacotille asiatique » ou « carton arabe ».
Nos artisans locaux semblent s’adapter à cet environnement et ce savoir faire importés d’autres cieux. Les résultats dépassent toutes les attentes. Cependant, le bouleversement le plus spectaculaire vient des salons dits « Marocain ». En effet, introduit dans notre pays, il y a quelques années, le salon marocain est aujourd’hui, le produit vedette du marché de mobilier de maison. Autrefois importés du Maroc ou de la Mauritanie, nos artisans s’en sont spécialisés. Il faut dire que ces salons sont inspirés du modèle de salon marocain traditionnel qui sont de somptueux canapés qui transportent dans un univers oriental.
Chérif Konaté, ébéniste à Djikoroni Para explique que la particularité de ce meuble c’est surtout son support doté d’accoudoirs et le guéridon assorti qui se parent d’une touche de modernité et surtout de son image de simplicité rehaussée par des estampes arabesques. « Les banquettes sont recouvertes de tissu imprimé, assorti à l’ensemble. Aussi confortable et convivial, le salon marocain moderne imprègne la décoration d’intérieur d’une atmosphère orientale discrète. Ces salons sont surtout facilement reconnaissable à son design épuré et un formant en U ou en L, il est constitué d’un support, fait de matière plus légère. La banquette peut être capitonnée avec le même tissu qui recouvre le matelas ou tout simplement laquée avec la même nuance de teinte. Outre le style très épuré, le mariage de couleurs entre la banquette recouverte de tissu uni et le matelas surmonté d’une superbe couchette imprimée doit être très réussi. De plus, la table basse en bois doit s’accorder parfaitement avec les guéridons intégrés à la baquette », explique l’ébéniste.
Selon notre interlocuteur, beaucoup d’artisans se sont aujourd’hui lancés dans la fabrication de ce mobilier, chacun ajoutant sa petite touche pour attirer les clients. « Je vends au moins deux salons par semaine soit 300.000 Fcfa à 400.000 Fcfa par salon, selon le design et le format demandé par le client. Internet aidant, nous arrivons à reproduire parfaitement des styles demandés par les clients. J’avoue le salon marocain moderne est le produit phare actuellement », témoigne notre interlocuteur.
Chez l’ébéniste Karim Doumbia, l’enthousiasme l’emporte. « Il fut un moment nous étions très inquiets pour notre métier, ces inquiétudes ne sont pas totalement dissipés, mais de nouveaux horizons s’ouvrent. En vérité, nous ne pouvons pas concurrencer ces mobiliers importés parce qu’ils sont fabriqués dans de véritables industries, où tout est informatisé. Ces meubles ont des dimensions techniques extrêmement fines et des designs superbement élégants. Pourtant, aujourd’hui avec un peu d’ingéniosité, nous arrivons à confectionner des meubles très raffinés, mais surtout robustes et adaptés à notre climat.
C’est le cas des marocains made in Mali qui n’ont rien à envier à l’importation », assure cet ébéniste.
Bref, entre le fatalisme et le désarroi, nos artisans semblent choisir l’action et l’adaptation. Un tour d’horizon du secteur, nous a fait entrevoir une lueur d’espoir et les pièces de collections imitées avec ingéniosité embellissent à coup sûr nos intérieurs. Portes, salons, fenêtres, bibliothèques, lits d’enfants ou placards sur mesure sont des valeurs sûres parmi les produits locaux. Certains clients l’ont compris et n’hésitent pas à copier des modèles de lits, d’étagères ou autres mobiliers sur Internet et de commander leur production auprès des menuisiers locaux. Certes, leur créativité est « torturée », mais cela leur sert à avoir un aperçu de ce qui se fait ailleurs et de s’adapter.
Doussou DJIRÉ
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