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Une élection sous influence de l’ex-junte
Publié le dimanche 28 juillet 2013  |  Le Nouvel Observateur


© Autre presse par DR
Le capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo


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Seize mois après le coup d'Etat, les Maliens s'apprêtent à élire un président. Le scrutin renverra-t-il les militaires dans leurs casernes ? Pas sûr. De notre envoyée spéciale.
To-lé-rance zé-ro !" Il a suffi de deux mots pour sortir de leur torpeur les gradins pleins à craquer de supporters. Depuis l'estrade écrasée de soleil en plein milieu de l'immense Stade du 26-Mars de Bamako, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, le vieux caïman de la classe politique malienne, venait de ponctuer la litanie des promesses de campagne par cette reprise mot pour mot de l'expression chère au très peu recommandable capitaine Sanogo. Celui-là même par qui la crise était arrivée, un beau jour de mars 2012, lorsqu'il avait pris le pouvoir par la force.
Inconnu de tous, ce quadra au béret vert était alors apparu pour la première fois sur les écrans de l'ORTM, la télévision publique malienne, pour promettre une "tolérance zéro" envers tous les tenants de l'ancien régime corrompu qu'il venait de renverser. Un an plus tard, l'emprunt laisse songeur à l'heure où l'élection présidentielle de dimanche doit justement jeter aux oubliettes celui qui est désormais un pestiféré.
Mise en quarantaine
C'est à une quinzaine de kilomètres de là, dans le camp militaire de Kati, la plus grande garnison du pays dont les putschistes ont fait leur bastion, que Sanogo a été mis en quarantaine par la communauté internationale. On se contente de le boycotter, faute de s'en être "débarrassé comme on l'aurait fait il y a quarante ans", déplore un diplomate occidental. "Bruxelles nous a interdit tout contact avec lui", explique un militaire français du programme européen chargé de remettre sur pied une armée malienne en lambeaux. Mais le béret vert continue de hanter les Maliens. Il est devenu celui dont on ne prononce le nom qu'en baissant la voix.
Le commandant Samaké du deuxième bataillon formé par les Européens s'agace : "Oui, j'ai des hommes de Kati, mais ce ne sont plus ceux de Sanogo, ce sont les miens désormais. Veuillez ne plus me parler de Sanogo." Le capitaine mégalomane, qui disait de lui-même qu'il avait "été pour le Mali ce que de Gaulle avait été pour la France", ne semble plus régner que sur une garnison aux allures de village.
Entre les chèvres qui vont et viennent, le linge qui sèche, la petite mosquée blanc et vert, le terrain de basket et les allées en terre transformées en torrents de boue sous les pluies diluviennes de l'été, on tombe, ici, sur son portrait peint sur un mur, là sur une école pour enfants de militaires, portant son nom. Au centre se trouve le siège de son pouvoir, une bâtisse coloniale pompeusement baptisée "CMSRFDS", pour Comité militaire de Suivi de la Réforme des Forces de Défense et de Sécurité du Mali. Un organe créé pour lui en février par le président de la transition, Dioncounda Traoré, afin de flatter son ego et brasser du vent. A la porte, les gardes avachis sur des chaises cassées devant un verre de thé jouent les fers-à-bras en barrant l'entrée de leurs vieilles kalachnikovs. Pourtant, le capitaine n'y met plus que très rarement les pieds.
Sanogo le sait, sa tête est mise à prix. Du coup, il se barricade. Il s'est retranché dans un bunker à l'entrée du camp, ceint de hauts murs et de canons pointés pathétiquement sur la route cabossée qui mène à Kayes. Muré dans un silence qui alimente toutes les rumeurs, il projette une ombre menaçante sur l'élection présidentielle. Que trame-t-il ? Sa confidence au journal allemand "Der Spiegel", en mars, a jeté le trouble. "Si les élections se déroulent dans de bonnes conditions, je ne m'en mêlerai pas", avait-il déclaré. La phrase avait sonné comme un avertissement. Mais sa marge de manœuvre s'est considérablement réduite avec la présence des forces françaises et onusiennes.
Reste sa capacité à mobiliser la rue, il en avait fait la preuve en mai 2012 et en janvier 2013, manquant à chaque fois de peu de renverser le président de la transition... Mais est-il encore suffisamment populaire ? L'homme qui avait reçu jusqu'au soutien du chérif de Nioro, l'autorité musulmane la plus influente du pays, lui qui avait été applaudi par toute une frange de la population écœurée par la gestion calamiteuse du président d'alors, Amadou Toumani Touré, dit ATT, a déçu. Témoin de cette rancœur, le quotidien "le Républicain" avait publié en mars une lettre ouverte "des soldats au front" qui se disaient "révoltés par les avantages accordés" à la junte. "Pendant que nous mourons dans le grand désert, le capitaine Sanogo doit bénéficier d'un salaire de 4 millions de francs CFA" [plus de 6.000 euros] par mois, écrivaient-ils.
"Il voulait le changement, il n'a rien changé", accuse un jeune caporal de Kati. Costume gris à col mao, Oumar Mariko, un trublion d'extrême gauche honni par une bonne partie de la classe politique, tempère ce désamour entre le peuple et une junte qu'il a soutenue au moment du coup d'Etat : "Les putschistes sont respectés pour avoir destitué le président ATT, mais on déplore qu'ils aient capitulé sous la pression de la communauté internationale. Car ils n'avaient pas l'ambition de mener un homme au pouvoir mais celle de changer le Mali."
Une mutinerie rejointe par l'élite
Même regret chez l'un des jeunes lieutenants de Sanogo. Il veut bien parler, mais sous le sceau de l'anonymat. C'est en civil, polo et jean, qu'il donne rendez-vous, sous les néons glauques d'un fast-food de Bamako. Il a fait partie de la trentaine d'officiers et de sous-officiers à "avoir participé au changement", comme il dit. "Ce n'était d'abord qu'une mutinerie mais elle a très vite été rejointe par l'élite, raconte-t-il. On nous a diabolisés, alors qu'on voulait refonder l'armée et avec elle l'Etat, les débarrasser du népotisme, de la corruption, des trafics en tout genre." Il a fait ses classes à Saint-Cyr, le capitaine Sanogo est, lui, passé par l'école américaine. "Le noyau dur de la junte, c'est la crème de l'armée", confirme Modibo Goïta, chercheur à l'Ecole de Maintien de la Paix à Bamako. Il connaît bien le capitaine qui y donnait des cours d'anglais. "Sanogo n'est pas le cerveau, c'est leur figure de proue, car il a du cran et du charisme", confie-t-il.
Un an plus tard, les idéologues de la junte, le premier cercle, n'ont pas déposé les armes. Non seulement ils prépareraient, dans le secret de la villa du CMSRFDS, une loi de programmation militaire, mais ils comptent des relais à tous les postes clés de l'Etat. "Les ministres de la Défense, de la Sécurité intérieure, de l'Administration territoriale, des Transports, tous les membres de l'état-major sont des nôtres", raconte le lieutenant putschiste. "La junte, ce n'est pas seulement Kati, c'est diffus, il y a des métastases. Il y a des militaires et des civils qui n'en font pas partie mais qui respectent ses idées. Ce serait dangereux de mettre ceux qui ont fait le coup d'Etat entre parenthèses", avertit Oumar Mariko.
Ménagés par le président de la transition qui les craint, les putschistes continuent de lui imposer des nominations à des postes stratégiques, dans l'armée, la police, les renseignements, au gouvernement... "Ils ont gardé un pouvoir de nuisance", en déduit le rédacteur en chef du "Républicain", Boukary Daou, qui a été malmené pendant un mois dans les geôles des putschistes après avoir publié la lettre des soldats pourfendant Sanogo. Les défenseurs des droits de l'homme ont dressé une liste de crimes auxquels s'intéresse aussi la Cour pénale internationale : disparitions forcées, tortures, détentions arbitraires, intimidations et mauvais traitements d'opposants... La junte a démontré qu'elle avait les moyens d'imposer ses vues.

Ibrahim Boubacar Keïta en meeting
Est-ce pour ne pas insulter l'avenir que les candidats ou leurs émissaires se sont succédé à Kati pendant la campagne ? "Sanogo pourrait influencer le résultat s'il lui déplaisait. Les principaux ministres impliqués dans l'élection sont des gens de la junte", pense Boukary Daou : "Le ministre de l'Administration territoriale chargé de l'organiser, celui de la Sécurité qui la sécurise, celui des Transports qui va convoyer les urnes... Le président ne va pas être élu, il va nous être donné." Et les observateurs européens ? "Il y a un proverbe en bambara qui dit que "les étrangers ont des yeux qui regardent mais ils ne voient rien"", réplique le journaliste. Nombre d'experts du marigot malien en sont convaincus : la junte fera barrage, d'une manière ou d'une autre, aux candidats issus de l'ancien régime d'ATT. Certains estiment même qu'elle a son candidat.
Dans le salon d'honneur de l'aéroport de Bamako, IBK, le vieux caïman en tenue immaculée, du bonnet au boubou, se veut blanc comme neige : "Je ne regrette pas le président qui est parti. Mais j'ai été le premier à condamner le putsch et je ne suis pas réputé frayer avec des putschistes. Même si je les comprends." Pourtant, ce serait bien lui leur champion. IBK a le triple mérite d'être le favori du scrutin, le candidat de la France et un opposant de longue date à ATT. Entre lui et la junte, il y a déjà eu des gages de confiance : il n'a pas été inquiété par elle contrairement à d'autres candidats et les militants d'IBK l'ont soutenue dans la rue le 10 janvier. De là à imaginer qu'il ait pu pactiser avec Sanogo... Ce serait peut-être le secret de la fameuse "tolérance zéro".
Mais cet ex-Premier ministre et président de l'Assemblée sera-t-il le candidat du changement ? "Il y a vingt ans, alors que l'Etat était déjà en déliquescence, ATT, après avoir été porté au pouvoir par des militaires, n'a fait qu'accélérer le déclin. On craint que l'histoire ne se répète", conclut, désabusé, le lieutenant de la junte.
Sarah Halifa-Legrand

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