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Crise au Nord-faillite de l’Etat (1ere partie) : Eclairages et propositions du Dr Choguel K Maïga !
Publié le lundi 16 decembre 2019  |  L’aube
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© aBamako.com par AS
Lancement du Livre de Dr Choguel Maiga
Dr Choguel Maiga a procédé au lancement de son livre le Jeudi 28 Juin 2018 à la Maison de la Presse.
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La présente tribune se propose d’être une contribution au débat, un essai d’explication du MPR, en vue d’identifier les origines du mal, de situer les responsabilités dans sa perpétuation et de proposer des pistes de solutions de sortie de crise. Le président du parti Mouvement pour la République (MPR), Dr Choguel Kokalla Maïga, ancien ministre apporte son éclairage et « des clarifications qui s’imposent » pour sortir le Mali de la crise ? Lisez plutôt.

Le Mali vit une des périodes les plus difficiles de son histoire contemporaine. Les données du tragique que nous vivons sont suffisamment connues. Elles ont pour noms : rébellion armée, insécurité généralisée, massacres à grande échelle des populations, exodes massifs tant interne qu’externe. L’Etat a échoué dans l’exercice de ses fonctions régaliennes. Il s’est révélé incapable de défendre l’unité du peuple, l’intégrité du territoire, la sécurité des personnes et de leurs biens. Aussi n’est-il pas excessif de le qualifier d’Etat failli.

Depuis le 17 janvier 2012, notre Armée, trahie, a dû plier et céder du terrain. Appelé à la rescousse par un Président de la République par intérim en détresse, le gouvernement français est intervenu pour arrêter une offensive djihadiste sur Bamako.

Depuis, les rebelles séparatistes, retranchés à Kidal, interdit d’accès à tout officiel, en imposent à nos gouvernants, les obligeant à passer sous les fourches caudines avec la bénédiction de la France et de la MINUSMA. Le Mali serait-il devenu «le vieil homme malade » de l’Afrique de l’Ouest ?

Or tout indique que le mal a fait l’objet d’un mauvais diagnostic ; d’où l’inefficacité des solutions proposées. Par conséquent, il s’agit de poser le bon diagnostic pour permettre la prescription de solutions idoines. Un célèbre homme d’Etat africain le rappelait souvent : « Quand on a fait l’historique d’une question, on l’a résolue à moitié ». En d’autres termes, un problème bien posé est à moitié résolu dit-on.

La présente tribune se propose d’être une contribution au débat, un essai d’explication du MPR, en vue d’identifier les origines du mal, de situer les responsabilités dans sa perpétuation et de proposer des pistes de solutions de sortie de crise.



L’actualité
En cette fin de l’année 2019, la donne a complètement basculé dans l’opinion publique malienne vis-à-vis des forces internationales au Mali : la MINUSMA et surtout Barkhane. Elles sont conspuées, accusées d’être à la base de la dégradation continue de la situation sécuritaire au Mali et plus largement au Sahel.

Nous sommes loin des souvenirs des journées d’allégresse, de janvier-février 2013, lorsque, dans les premiers mois de l’opération Serval, partout au Mali, y compris à Kidal, le drapeau français flottait à côté de celui du Mali dans les rues, sur les maisons, dans les restaurants, dans les boutiques, dans les marchés, quand ce ne sont pas des couples qui donnaient les noms Damien Boiteux et François Hollande à leurs nouveaux nés, signe suprême de reconnaissance dans la culture malienne. Les peuples malien et français semblaient alors s’être définitivement réconciliés. Les frustrations des périodes coloniale et post-indépendance sont oubliées, reléguées aux oubliettes de l’Histoire.

Cependant, à y regarder de près, ce retournement de l’opinion publique apparaît comme une aubaine pour les autorités de Bamako qui, malicieusement et cyniquement , instrumentalisent et attisent en sous-main le sentiment d’exaspération et de trahison que ressent le peuple malien à l’égard des forces internationales pourtant censées être venues aider à stabiliser le pays.

En effet, cette situation est triplement profitable au pouvoir en place, ne serait-ce qu’à court terme. Elle lui permet de distraire la population déjà à bout de souffle et de nerf, de trouver un exutoire ou un bouc émissaire pour calmer sa colère grandissante, de faire oublier du coup l’échec généralisé de la gouvernance caractérisée par son incapacité et son incompétence avérées à résoudre les problèmes de la nation, notamment les problèmes sécuritaires.

Cette colère du peuple est alors présentée à la Communauté internationale comme un épouvantail, un chiffon rouge, agité pour continuer à bénéficier de sa sympathie et de son indulgence calculées, de son soutien inconditionnel actif, singulièrement, celles des autorités françaises. Mais, ce jeu est dangereux car, par un retour de manivelle, il pourrait contribuer à terme à renforcer le discrédit du régime.

Revenons au sujet.

Aujourd’hui, la très large majorité des Maliens croit fermement, à tort ou à raison, que l’enlisement et le pourrissement de la situation au Mali et au Sahel découlent d’une volonté délibérée de la France et des pays occidentaux. L’intention de ces puissances extra-africaines serait de créer le chaos pour : justifier leur présence sinon leur occupation militaire du Mali, créer à court terme les conditions d’une partition déjà programmée du pays et, à plus long terme, redessiner les frontières des vastes pays du Sahel et du Sahara (Mauritanie, Mali, Algérie, Niger, Lybie) à travers la déstabilisation des États.

Sous le couvert de la démocratie, ces puissances orchestrent et instrumentalisent des mouvements insurrectionnels centrifuges, séparatistes ou terroristes, avec comme objectif stratégique à long terme, avoir comme interlocuteur des micro-Etats ou des petites principautés ethniques ou tribales rivales. L’objectif étant de faciliter le pillage des nombreuses ressources naturelles dont regorge la zone géographique concernée. Les Maliens ont tous en mémoire la loi 057-7-27 du 10 janvier 1957 votée par l’Assemblée Nationale française, non encore abrogée, portant création de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) à partir d’une amputation des territoires algérien, malien, nigérien et tchadien.

Le Mali, ventre mou de la lutte contre le terrorisme, est devenu le point d’ancrage à partir duquel est inoculé le virus de la désintégration après la destruction de la Libye de Kadhafi.

Cette opinion est répandue, fortement ancrée dans l’opinion publique malienne. Aussi, les autorités françaises, après les multiples interventions de personnalités publiques, jugées peu crédibles, ont-elles estimé utile de faire monter aux créneaux les militaires comme le Chef d’Etat-major général des Armées de France, le Général François Lecointre. Ses propos ont-ils convaincu ? Il est permis d’en douter. Comme si cela ne suffisait, le Président de la République française, Emmanuel Macron en personne, a donné de la voix à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de l’OTAN.



Aux origines de la crise
Modibo Keïta et ses compagnons de l’US-RDA, en proclamant le 22 septembre 1960, l’indépendance de la République du Mali, libre de tout lien vis-à-vis de la France, ruinait une certaine idée que l’ex-puissance coloniale se faisait des dirigeants des États nouvellement indépendants. Pierre Messmer, ancien administrateur colonial et ancien Premier ministre français ne consignait-il pas dans ses mémoires : « Nous avons donné l’indépendance à ceux qui la demandaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la demandaient avec le plus d’intransigeance ? ».

Trois décennies durant, de 1960 à 1991, sur l’arène internationale, le Mali a su faire entendre sa voix, entretenant de fructueuses coopérations avec les forces progressistes, apportant son soutien aux Mouvements de Libération Nationale, s’entremettant pour éteindre les foyers de tension ou prévenir les crises entre pays ou dirigeants africains (Maroc-Algérie, Tchad -Lybie, Nigéria-Ghana, Sénégal-Mauritanie, Libéria), militant pour une Afrique unie.

Tout cela est aujourd’hui lointains souvenirs.

Le 6 avril 2012, les autorités françaises mettaient l’humanité, les peuples malien et français devant le fait accompli : la partition de fait du Mali, en soutenant ouvertement et en autorisant un groupuscule séparatiste qui ne représente que lui-même à accéder aux plateaux de France 24 et aux studios de RFI pour y proclamer l’indépendance d’un chimérique Etat de l’Azawad. Et ce, après plusieurs mois d’intenses activités de soutien multiforme : politique, médiatique, en conseil.

Ce jour-là, le gouvernement français venait de porter atteinte de facto, à l’unité du peuple malien, à sa souveraineté et à l’intégrité de son territoire dans les frontières héritées de la colonisation. À partir de ce jour, la République du Mali, État indépendant et souverain, proclamé le 22 septembre 1960, dans les limites des frontières internationalement reconnues, a cessé d’exister, pour devenir un État vassal, sous la tutelle de la Communauté internationale, avec un rôle déterminant et moteur de la France dans toutes les décisions le concernant.

Au lendemain du 6 avril 2012, face à l’ampleur du désastre et à la sidération, les Maliens se sont posés trois questions : comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’ont fait de leurs mandats respectifs les « Présidents démocratiquement élus »? Qu’ont-ils fait de leur serment ?

Ironie du sort, depuis près de trois décennies (1991-2019), le Mali est dirigé par des Présidents qui, dans les discours, se réclament tous de l’héritage du père fondateur de République du Mali, Modibo Keïta.



III. Les prémices de l’effondrement de l’Etat

Le 22 mars 2012, Amadou Toumani Touré est renversé par des officiers subalternes l’estimant incompétent pour juguler la rébellion. Le 6 avril 2012, le nord du Mali passe sous le contrôle des rebelles séparatistes alliés aux djihadistes terroristes et aux narco- trafiquants. Comme sous l’effet d’un coup de tonnerre, les Maliens sont restés abasourdis. Pourtant, le pire est à venir : la vassalisation du Mali, sa mise sous tutelle de la Communauté internationale (en réalité de la France), la métastase de l’insécurité et du terrorisme du Nord vers le Centre, du Centre vers les Régions de Koulikoro, Ségou, Sikasso et de ces Régions vers la capitale Bamako, et, plus largement, du Mali vers les autres pays de la sous-région ( Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire).

Ainsi, du 26 mars 1991 à ce dernier trimestre de l’année 2019, les Maliens sont passés, lentement mais sûrement, de l’illusion lyrique au tragique de l’Histoire, de l’euphorie à la désillusion, de la fierté à l’humiliation. Le glissement s’explique aisément.

L’Histoire est écrite par les vainqueurs, a-t-on l’habitude d’entendre. Effectivement, il est admis dans beaucoup de milieux que le 26 mars 1991, une révolution populaire est venue à bout de « l’une des dictatures les plus sanglantes en Afrique ». Ici, il ne s’agit pas de débattre de la véracité de cette assertion, mais plutôt d’examiner ce qui a été fait du Mali après avoir renversé « la dictature ».

Récupérant des revendications légitimes des Maliens, des militaires, auteurs du coup d’Etat du 26 mars 1991, après une Transition de 14 mois, cèdent le pouvoir à « un Président démocratiquement élu ». Le peuple vit une ère d’euphorie. Des slogans sont entonnés partout, avant, pendant et après l’insurrection : « antè korolèn fè fo koura » ( nous ne voulons plus de l’ancien, mais du nouveau) ; le « ko ka djè » ( laver propre, non à la corruption) ; « du travail pour tous les chômeurs » ; « le multipartisme » ; « une meilleure école ; ouverture des internats dans tous les lycées ; augmentation des bourses scolaires de 200% et des salaires des fonctionnaires de 100%».

La Communauté internationale, en réalité l’Occident, manifeste sa satisfaction. Elle verse la prime à la démocratie sous forme de dons et de prêts multiformes. A l’Elysée, le tapis rouge est déroulé pour recevoir « les Présidents démocratiquement élus ». Sous le crépitement des flashs (comme ce sera avec Kadhafi 16 ans plus tard), on leur serre la main, on leur donne des tapes à l’épaule, quand ce ne sont pas des tapotements sur la joue. Ce sont des nègres. Ils sont accros aux honneurs. Aussi leur accorde-t-on le privilège de descendre les Champs Elysées dans une voiture découverte, escortée par la garde d’honneur à cheval. De tout cela ils sont ravis, ils se réjouissent, ayant l’illusion de « jouer dans la cour des grands ».

Mais la réalité ne tarde pas à reprendre ses droits. Napoléon l’a si bien vu : « dans la révolution, il y a deux catégories d’hommes, ceux qui la font et ceux qui en profitent ». Les slogans du 26 mars 1991 sont vite relégués aux oubliettes. C’est le début de la désillusion et les prémices des calamités que connaît actuellement le Mali.

Une nouvelle classe politique émerge. Inexpérimentée, ignorant que l’Etat est une continuité, elle n’a pas cherché à exploiter judicieusement les expériences capitalisées trois décennies durant (1960-1991) ; elle en fait table rase. De surcroît, elle s’est trouvée subitement en possession du Pouvoir et l’Argent (beaucoup d’argent !). Elle s’est mise à jouer, à jongler, avec l’Etat et ses institutions piliers : l’Armée, la Justice, l’Ecole. Désormais, au Mali, tout s’achète, tout se négocie, tout s’arrange : les recrutements dans l’Armée et dans la Fonction publique et les postes dans la haute Administration, les ambassades et consulats, les diplômes, les décisions de justice, les médailles et les décorations, les lots à usage d’habitation, même les prêts bancaires. Le Mali devient l’un des Etats les plus corrompus de la planète, au point que des diplomates étrangers, faisant abstraction de leur obligation de réserve, ne se gênent pas d’en parler dans les médias.

La compétence, l’ancienneté, l’expérience, en un mot le mérite, ne payent plus. Pendant ce temps, le Mali est célébré partout dans le monde, comme un exemple de réussite démocratique en Afrique. Des sommes élevées sont englouties par an dans la propagande et la communication pour soigner l’image du Président de la République et de la démocratie malienne.



Les causes de l’effondrement de l’Etat
Il ne s’agit pas, dans cette tribune, de les examiner toutes. Il s’agit de s’intéresser aux erreurs et fautes commises et qui ont engendré ce qui, actuellement, est déploré par l’écrasante majorité des Maliens: l’incapacité des gouvernants à honorer le contrat qui les lie au peuple.

Sur ce point, la responsabilité des dirigeants de la Transition (mars 1991-juin1992) et celle des trois « Présidents démocratiquement élus » de la IIIème République (de 1992 à 2019) sont fortement engagées. Il en est de même de la France et des pays membres du Conseil de Sécurité de l’ONU : il est de notoriété publique que depuis 2012, avant d’être votées, toutes les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernant le Mali sont élaborées, présentées et défendues par la France



Sous la Transition (26 mars 1991-juin 1992)
Au lendemain du 26 mars 1991, à notre avis, les autorités de la Transition commettrons trois fautes.

La première faute a consisté à faire le procès de l’Armée Nationale en la discréditant au motif que le Président de la République renversé est un militaire, que l’Armée aurait été, contre son gré, un instrument d’oppression du peuple. Elle est sommée de « présenter ses excuses au peuple pour les fautes commises en son nom, mais contre elle ». Faisant abstraction du fait que l’Etat malien, grâce à son Armée, en trois décennies, a eu à faire face avec succès à : deux guerres imposées, deux rébellions armées, deux grandes sécheresses, deux tentatives d’invasion d’une partie du territoire au sud et à l’est, et à participer aux nombreuses actions de développement économique.

La deuxième faute est constituée par la lecture faite de la nature de la rébellion armée au nord du Mali. Pour avoir réduit la sédition par la force légitime de l’Etat, amenant les dirigeants de la rébellion à signer les Accords de Tamanrasset (du 06 janvier 1991), l’ancien Président de la République, Moussa Traoré sera accusé après le 26 mars 1991 d’avoir « commis trop d’injustices envers les rebelles…Dans cette affaire, le Gouvernement de Moussa avait des torts certains, parce qu’il n’a rien fait pour étudier et résoudre les problèmes des Touaregs » confie le Président de la Transition à Jeune Afrique lors d’une interview.

Pendant que les Chefs militaires ayant conduit les opérations victorieuses contre la rébellion étaient arrêtés et emprisonnés ou « mis au garage » (le ministre de La Défense, le Chef d’état-major général des Armées, le Chef des opérations militaires sur le théâtre de guerre), les dirigeants de la rébellion sont célébrés à Bamako comme « des démocrates en armes dont le combat a contribué à affaiblir la dictature pour faciliter sa chute »; ils sont invités à siéger dans les institutions de la Transition

(Gouvernement, CTSP).

Ensuite, oubliant toujours que l’Etat est une continuité, les Accords de Tamanrasset (fruit de fructueuses négociations inter-maliennes, sans intermédiaire, qui ont duré, au total, neuf heures) sont relégués aux oubliettes pour faire appel à deux conseillers étrangers qui, totalement déconnectés des réalités, ont inspiré l’élaboration et la signature du Pacte National, document dont certaines dispositions dans leur mise en œuvre ont nourri les germes des futures rébellions armées.

Faut-il rappeler qu’à la même période, le Niger, placé dans les mêmes circonstances, a fait face au même type de rébellion (soutenue, comme au Mali, par Kadhafi) mais a eu une gestion tout à fait contraire ?



La décennie Alpha Oumar Konaré (juin 1992-juin 2002) : la rébellion légitimée
Le 8 juin 1992, Alpha Oumar Konaré succède à Amadou Toumani Touré à la tête de l’Etat. Sa part de responsabilité, dans le tragique que les Maliens vivent actuellement au quotidien, est triple : il a détruit l’Armée nationale, légitimé la rébellion et s’est compromis avec les rebelles à travers des négociations à valises ouvertes et les intégrations sans discernement dans les Forces de défense et de sécurité comme dans la Fonction publique.

La Transition a pris fin sans que le pays ne soit stabilisé. L’instabilité va se poursuivre après l’investiture d’Alpha Oumar Konaré. Les luttes pour le pouvoir entre les tendances et les clans des acteurs de l’insurrection du 26 mars 1991, rendent le pays presque ingouvernable. La gestion de l’Etat fondée sur les principes et les lois est remplacée par les arrangements et les compromis boiteux. L’autorité de l’Etat ne cesse de s’effriter. Les deux leviers qui avaient été actionnés pour opérer le changement de régime en mars 1991, l’Ecole et l’Armée, sont progressivement désarticulés et déstructurés. L’outil de défense est méthodiquement détruit.

Selon sa vision, avec la démocratie, le dialogue permet de résoudre tous les conflits. Pendant ce temps, la rébellion a repris. Elle trouve même un nouvel idéologue en la personne du Président de la République, Alpha Oumar Konaré qui, dans un discours solennel, n’hésite pas à déclarer : «La rébellion des populations du Nord avaient pour objectif légitime la renégociation des conditions de leur participation à la nation malienne. Leur combat était d’essence démocratie. C’était un combat pour l’honneur et le développement. En son temps, nous avons soutenu ce combat ».

Aux affrontements entre groupuscules rebelles plus que revigorés par la faiblesse du pouvoir central, entre rebelles et soldats de l’Armée Nationale, se superposent des actes de banditisme. Le pays profond sombre dans l’anarchie. L’Etat, incapable de sécuriser les personnes et les biens, encourage la création de milices d’autodéfense semant, du coup, les germes d’une guerre civile entre populations noires et les populations blanches.

Incapable de trouver une solution pérenne à la rébellion, le pouvoir central entreprend de la circonscrire à travers des négociations à valises ouvertes, les distributions de postes dans la Fonction publique et de grades dans l’Armée. Un pas de plus vers la pérennisation du séparatisme se trouve ainsi franchi. Dès lors, « la diplomatie du guichet », les recrutements massifs et sans critères dans la Fonction publique et les intégrations massives et sans discernement dans les Forces armées et de sécurité suivant la seule volonté et les critères définis par les dirigeants des mouvements armés, ont permis à ces derniers de faire de leur insubordination et de la perpétuation de la rébellion un véritable et lucratif fonds de commerce.



La décennie écourtée d’Amadou Toumani Touré (juin 2002-mars 2012).
Le 8 juin 2002, Alpha O. Konaré quitte le pouvoir. Amadou Toumani Touré revient à la tête de l’Etat. Dans un premier temps, c’est le calme. Grâce à la continuation de la politique de son prédécesseur, les rebelles se tiennent tranquilles. La situation dégénère le 23 mai 2006. Amadou Toumani Touré ayant décidé de mettre fin aux pratiques de son prédécesseur, sous la direction d’Iyad Ag Ghaly, certains soldats anciens rebelles intégrés dans l’Armée Nationale, reprennent les armes contre l’Etat. Ils se réfugient dans les grottes du Tigharghar et exigent l’ouverture de négociations, estimant la mise en œuvre des dispositions du Pacte National insuffisante.

Ironie du sort, c’est avec Amadou Toumani Touré qu’ils avaient signé le Pacte National quatorze ans plus tôt.

Les négociations aboutissent, le 6 juillet 2006, à la signature de l’Accord d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et le développement de la région de Kidal. Malgré la signature de ce nouvel accord, le calme reste précaire au Nord. Les rebelles ne tardent pas à se réorganiser et continuer à défier l’Etat.

Dans le même temps, le Président de la République commet une série de fautes stratégiques qui lui seront fatales.

Aucune mesure vigoureuse n’est prise pour reconstruire l’Armée Nationale détruite par son prédécesseur. Déjà en 2003, au cours d’une séance à huis-clos à l’Assemblée Nationale, des officiers patriotes ont informé les députés de l’état calamiteux de l’Armée.

Pour contrer les rebelles de Kidal qui continuent de défier l’Etat, il encourage la création des milices, arabe et touarègue, dirigées respectivement par des officiers anciens rebelles intégrés dans l’Armée. Les trafics de tout genre sont tolérés et prospèrent : otages, drogue, armes. La haute Administration se compromet avec les trafiquants. Certains trafiquants notoires ou leurs complices se font élire dans les Institutions de la République et dans les circonscriptions administratives de base (Assemblée Nationale, Haut Conseil des Collectivités, Conseils de région, Conseils de cercle, Mairies).

D’anciens chefs rebelles, des trafiquants notoires, servent d’intermédiaires officieux dans les différentes opérations illicites comme la libération des otages occidentaux. Les groupes salafistes chassés d’Algérie s’installent au Mali sans être inquiétés et tissent des liens avec certaines tribus.

Amadou Toumani Touré, sentant que le Mali seul ne peut faire face au péril, réclame alors de ses pairs de la sous-région, entre 2008 et 2012, la mise sur pied d’une force conjointe pour lutter efficacement contre les trafics et le terrorisme. Les voisins du Mali et la Communauté internationale sont restés sourds à ces appels de détresse.

La faute suprême et fatale est commise dans le courant du dernier trimestre de l’année 2011. Un groupe de mercenaires, venu de Libye après la chute de Kadhafi et soutenu par des puissances étrangères, est autorisé à pénétrer et à s’installer avec armes et bagages sur le territoire malien. Un comité d’accueil composé de plusieurs Ministres est dépêché à sa rencontre, avec une importante somme d’argent et des denrées alimentaires. Quelques semaines plus tard, ces mercenaires, naguère au service de Kadhafi, font la jonction avec le MNA et les signataires de l’Accord de 2006, créent le MNLA, ravivent la rébellion et passent à l’attaque le 17 janvier 2012.

Les milices arabes et touarègues font preuve de peu de combattivité. L’Armée, mal équipée, mal préparée, malgré la bravoure de la troupe, est débordée. Des combats incertains sont livrés entre janvier et mars 2012. Ils se concluent par un coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré le 22 mars et l’occupation du nord du Mali par les séparatistes alliés aux terroristes et narco trafiquants.



Ibrahim Boubacar Keïta aux commandes (septembre 2013- décembre 2019) : les six années de tous les dangers
L’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta, en septembre 2013, a suscité beaucoup d’espoir quant aux perspectives de redressement de l’Etat. En effet, à la suite de la signature de l’Accord d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement de la région de Kidal , le 6 juillet 2006, en sa triple qualité de Président de l’Assemblée Nationale, membre de la majorité présidentielle et Président du parti RPM, il a eu une attitude ambiguë.

Dans un premier temps, avec ses collègues de la majorité présidentielle, il fait voter une motion de félicitation au gouvernement et de soutien à l’accord, motion que ses homologues le chargent de remettre personnellement au Président de la République, Amadou Toumani Touré. Dans un deuxième temps, sentant l’opinion publique défavorable à cet accord, il se rétracte et fait adopter par son parti le RPM, une position politique radicale de rejet dudit texte en trois temps : d’abord, à travers une déclaration de son Bureau politique national ( le 12 juillet 2006), ensuite en envisageant de saisir la Cour Constitutionnelle pour invalider le texte de l’accord pour inconstitutionnalité et , enfin, en interpellant à l’Assemblée Nationale le ministre de l’Administration Territoriale, négociateur de l’accord ( le 14 août 2006).

Le parti d’Ibrahim Boubacar Keïta accuse alors Amadou Toumani Touré de «tenter d’inoculer (au Mali) le virus défaitiste du pétainisme»

De cette date à son élection à la présidence de la République en 2013, Ibrahim Boubacar Keïta s’est bâti une solide réputation, singulièrement en ne manquant aucune occasion pour traiter Amadou Toumani Touré « d’incompétent, incapable de résoudre le problème du Nord ». C’est ce explique largement pour quoi il a été quasi-plébiscité en 2013 à l’élection présidentielle soutenu qu’il était par : la majorité des partis politiques, les chefs religieux, les femmes, les jeunes, le Junte militaire et la Communauté internationale.

Mais, à son tour, il ira d’échec en échec, à cause des erreurs et fautes politiques et stratégiques qu’il n’a cessé d’accumuler depuis plus de six ans.

La première des fautes commises par Ibrahim Boubacar Keïta est la très mauvaise appréciation qu’il fit de la situation d’Etat failli dans lequel se trouvait le Mali en septembre 2013. Au lieu de rechercher à créer les conditions de l’union sacrée, afin de faire front commun face aux périls qui menacent la nation, il s’est cru à la tête d’un pays démocratique normal.

Il s’est installé dans le rejet et la stigmatisation de tous ceux qui ne l’ont pas soutenu aux élections ou le critiquent, créant du coup une crispation et la radicalisation de l’Opposition politique et d’une partie de l’opinion publique qui, à leur tour, ont systématiquement rejeté tout ce qui vient de lui, ne lui ont ménagé aucune critique ou dénigrement.

Il a fallu attendre 2019, face aux risques de plus en plus perceptibles de désintégration du pays, pour que, sous la pression de la rue et de la Communauté internationale, il consent à appeler au rassemblement des Maliens. Pourtant, certains de ses homologues africains lui auraient déjà conseillé cette démarche en 2013, en vain.

Sa deuxième faute a consisté en la continuation voire l’aggravation des méthodes et pratiques de gouvernance de ses prédécesseurs, particulièrement dans la gestion de l’Etat et des Forces armées et sécurité. Circonstance aggravante, les scandales de corruption à répétition, leur généralisation et à grande échelle dans l’achat des matériels et équipements militaires, dans lesquels sont impliqués des proches du Président et ce, dès les premiers mois de son premier mandat, ont fini de discréditer le régime et rendre inaudibles les discours et appels du Président de la République.

Sa troisième faute c’est sa conception impériale et patrimoniale du pouvoir, qui le prive de tout espace d’échanges fructueux et d’analyses fécondes avec des partenaires et soutiens politiques dignes de ce nom.

Sa quatrième faute est constituée de sa mauvaise appréciation des circonstances d’ordre historiques, des jeux et enjeux géopolitiques et géostratégiques qui sous-tendent la crise malienne sur fond de double jeu de certains partenaires. La conséquence ? La Résolution 2085 de Conseil de Sécurité de l’ONU (d’avril 2013) et l’Accord de Ouagadougou (de juin 2013), qui exigent, tous deux, le cantonnement et le désarmement des rebelles, n’ont jamais été respectés. Et ce non-respect n’a entraîné aucune réaction digne de ce nom de sa part.

En enfin, son attitude vis-à-vis des dirigeants de Mouvements séparatistes et terroristes. Comme ses prédécesseurs, il a continué avec eux les mêmes pratiques : audiences privées expresses (en contournant leurs interlocuteurs institutionnels), distribution de sommes d’argent, de faveurs et d’honneurs de toutes natures, concessions sans contrepartie, conduisant ces derniers à faire de la crise et de sa perpétuation un fonds de commerce lucratif pour continuer à exister et régner en maîtres absolus sur les populations du nord du Mali.

Le résultat de sa gestion du Mali après plus de six ans ? La signature en mai et juin 2015 de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger qui, s’il est mis en œuvre en l’état, consacrerait à moyen terme, de façon certaine, la partition du Mali. Cette partition de fait a déjà franchi une étape avec l’Entente pour la mise en place des autorités intérimaires imposée aux populations du nord du Mali en violation et de l’Accord pour la paix… et de la loi malienne sur les Autorités intérimaires.

A ce stade, on peut dire que tout est perdu, y compris l’honneur. La résultante en est, en effet, la dégradation de la situation sécuritaire dans tout le pays et l’extension de l’insécurité vers le Centre et le Sud du pays.

La réalité du pouvoir au Mali, aujourd’hui, est ainsi décrite par le professeur Joseph-Brunet Jailly : « Les apparences sont sauves ! Le chef de l’Etat reçoit beaucoup de visiteurs étrangers et se déplace sans cesse à l’étranger (depuis le début de son mandat, en moyenne trois voyages internationaux par mois), avec tout le cérémonial que ces voyages impliquent. Les communiqués hebdomadaires de conseil des ministres sont en grande partie consacrés à des accords internationaux de financement (lus à la télévision, à la radio, publiés dans la presse écrite…), à l’adoption des textes de loi ou de décret, tous rédigés dans une langue en général inaccessible au commun des citoyens».



L’internationalisation de la crise, la responsabilité de la France et du Conseil de Sécurité de l’ONU
Le cours de l’histoire s’accélère durant le premier trimestre et le début du deuxième trimestre de l’année 2012. Une chronologie succincte se révèle nécessaire pour mieux cerner la responsabilité de la France et du Conseil de Sécurité de l’ONU dans la crise qui s’est abattue sur le Mali.

Du 17 janvier au 6 avril 2012, les affrontements sont rudes entre l’Armée Nationale et les rebelles. Les communiqués font état de replis stratégiques qui ne sont jamais suivis de reconquête du terrain perdu. Une telle situation finit par déboucher sur deux événements qui, pratiquement et de facto, marquent la fin de la IIIè République : le coup d’Etat militaire du 22 mars et la proclamation, le 6 avril, de l’indépendance d’un Etat chimérique dénommé Azawad. Il existe un lien entre ces deux dates.

Dès l’annonce du coup d’Etat, la CEDEAO inscrit les actions à entreprendre en faveur du Mali parmi ses priorités et se met en branle. Elle mènera une triple action : politique, militaire et diplomatique.

Action politique : le 1er avril 2012, les négociations sont entamées avec la junte. Le 2 avril, les chefs d’Etat de la CEDEAO, réunis à Dakar, décident de la levée de l’embargo contre le Mali. Le 6 avril, elle signe avec la junte un accord-cadre pour une transition dirigée par le Président de l’Assemblée Nationale conformément à une disposition constitutionnelle. Le 8 avril, Amadou Toumani Touré démissionne de ses fonctions de Président de la République. Dioncounda Traoré est investi Président de la République par intérim, le 12 avril et le 17, Cheick Modibo Diarra est nommé Premier ministre de plein pouvoirs. Un gouvernement d’union nationale est formé le 25.

Au plan militaire : la CEDEAO décide de la mise en place d’une force d’attente de 3 000 hommes sous commandement africain pour libérer le nord du Mali.

Au plan diplomatique : elle saisit le Conseil de sécurité de l’ONU à travers l’Union Africaine. Le 17 juillet 2012, le Conseil de Sécurité prend la résolution accordant à la CEDEAO la possibilité d’intervenir militairement au Mali, à deux conditions : la présentation d’un plan d’intervention et une demande formulée par le Mali. Cette démarche aboutira, ultérieurement, à la création de la Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA) avec la Résolution 2085 du 20 décembre 2012.

Toutes ces vigoureuses initiatives de la CEDEAO ont été contrariées par diverses manœuvres dilatoires. En témoignent les faits suivants.

Le 2 avril 2012, à la réunion des chefs d’Etat ouest-africains tenue à Dakar et à laquelle a participé, on ne sait à quel titre, Alain Jupé, le ministre des Affaires Etrangères de Nicolas Sarkozy, ce dernier s’oppose à la constitution d’une force d’attente de 3 000 hommes sous commandement africain, estimant qu’il s’agit là d’une force disproportionnée face à « une colonne de 500 combattants ».

Le 6 avril 2012, avec la signature de l’Accord-cadre, des lueurs d’espoir en vue d’une résolution de la crise des institutions sont perceptibles. Comme pour rendre la situation sur le terrain militaire irréversible, les autorités françaises autorisent les rebelles séparatistes à passer sur les plateaux de leurs chaînes de télévision et dans les studios de leurs radiodiffusions pour proclamer l’indépendance des régions du nord du Mali sous l’appellation « Etat de l’Azawad ».

L’espoir suscitée par la création de la MISMA ne sera pas suivie de l’effet escompté par les Maliens en particulier, les Africains en général : de nouveau, cette initiative a été torpillée. Dans l’intérêt de qui ?

Les autorités françaises sentent la situation leur échapper. Elles profitent de leur position de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations pour torpiller les efforts de la CEDEAO, afin de pérenniser la mainmise des rebelles séparatistes sur le Nord et figer le Mali dans la situation d’un pays éclaté en deux. A partir de cet instant, de nouvelles initiatives sont prises avec une prééminence de la France et de la Communauté internationale. La France en profite alors pour développer, à l’instar de la CEDEAO quelques mois plus tôt, sa propre stratégie en trois volets : un volet militaire, un volet politique et un volet diplomatique.

Volet militaire. La situation d’incertitude qui prévaut en ce moment est mise à profit par Ançar Eddine d’Iyad Ag Ghaly, associé aux autres groupes terroristes, pour envisager de pousser l’occupation du territoire malien vers le Centre. Face à la gravité de la situation, le Président de la République par intérim n’a eu d’autres choix que de faire appel à la France, sollicitant un « appui aérien et en renseignements » pour aider à libérer le Mali et restaurer l’intégrité de son territoire. Ce jour-là, il n’était pas question de troupes françaises au sol.

L’opération Serval est déclenchée le 11 janvier 2013. Après les batailles de Konna et de Diabali, les villes de Tombouctou et Gao sont libérées. Mais, l’Armée française interdit à l’Armée Nationale du Mali l’accès à Kidal alors occupée par Iyad Ag Ghaly et ses troupes, le MNLA ayant été bouté hors du Mali quelques mois plus tôt.. La France, en adoptant une telle attitude, venait de commettre la mère des fautes à la fois politique et stratégique, mère des fautes, parce qu’elle est source de toutes les suspicions sur ses intentions réelles et la finalité de son intervention militaire.

Volet politique. La France impose la date des élections pour juillet 2013. On se souviendra des propos de François Hollande déclarant de façon péremptoire qu’il sera « intraitable » sur le maintien de la date de l’élection présidentielle de juillet 2013.

Volet diplomatique. Après l’échec, orchestré, des initiatives de la CEDEAO, la France, avec la bénédiction du Président de la République par intérim, Dioncounda Traoré, agit au Conseil de sécurité pour créer la MINUSMA avec la Résolution 2100 du 23 avril 2013. Ainsi, les moyens refusés à la MISMA seront-ils transférés à la MINUSMA.

Présentée au départ aux Maliens par la communication gouvernementale, comme une mission destinée à restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, à combattre les mouvements séparatistes et terroristes, le Peuple découvre avec stupéfaction que son rôle véritable consiste en la stabilisation et au maintien de la paix. C’est la source du malentendu et de toutes les récriminations des Maliens éprouvant le sentiment d’être trahis, contre la MINUSMA.

Dans la mise en œuvre des volets militaire et diplomatique de son action au Mali, le gouvernement français s’est écarté du mandat qui lui a été confié à la demande du gouvernement malien conformément aux attentes du Peuple. S’écartant de ce mandat, le gouvernement français, dès lors, sanctuarise Kidal et aide les mouvements rebelles à se réorganiser, en trois étapes minutieusement coordonnées.

D’abord les autorités françaises remettent le MNLA en scelle. Les principaux dirigeants de ce mouvement s’étaient discrédités moralement et politiquement. Chassés du Mali par le MUJAO, Anar Eddine et la population de Gao, ils s’étaient réfugiés à Ouagadougou et à Nouakchott. A l’issue de l’opération Serval, ils sont ramenés à Kidal dans les fourgons du corps expéditionnaire français. Ensuite, les autorités françaises incitent à une dissidence d’Ansar Eddine, déclarée organisation terroristes par les Américains, pour créer le MIA transformé en HCUA. Enfin, elles organisent l’alliance entre ces deux entités pour donner naissance à la CMA dont elles font l’interlocuteur obligatoire du gouvernement malien à parité égale.

Ainsi, le gouvernement malien, se voit-il contraint de négocier à égalité avec les rebelles séparatistes une paix improbable. Dès lors, les Maliens sont tous convaincus que la perpétuation de crise et l’extension du terrorisme et de l’insécurité prennent leur source dans cette décision prise par le gouvernement français. C’est la première explication du sentiment anti-français au Mali aujourd’hui.

La deuxième raison du sentiment anti-français qui se développe dans l’opinion publique malienne repose sur les prises de position de plusieurs personnalités politiques françaises de premier plan et du MNLA. Qu’il nous suffise d’en rappeler quelques-unes dans l’ordre.

Le 24 janvier 2012, après le massacre de plus de cent des militaires maliens à Aguelhok, Alain Jupé, ministre des Affaires Etrangères de Nicolas Sarkozy, ne manque pas de déclarer sur le ton de la satisfaction : « Le MNLA est en train de remporter d’incontestables succès dont il faudra tenir compte ».

Le 2 février 2013, Elizabeth Guigou, Présidente de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale française déclare : « Il faut qu’un plan d’autonomie du Nord-Mali soit mis en place».

Le 4 février 2012, une manifestation de soutien au MNLA devant l’assemblée Nationale française est autorisée.

Lors d’une séance au Sénat, toujours dans le courant du mois de février 2012, interpelé par le sénateur Didier Boulaud, Alain Jupé récidive en dévoilant les motivations profondes du gouvernement français en déclarant : « Le Mali a échoué face aux combattants du MLNA. La question de la révolution du peuple de l’Azawad mérite d’être traitée à fond pour une issue définitive». Ainsi, il existerait, d’après l’imaginaire d’Alain Jupé, d’un côté le Mali et, de l’autre, le peuple de l’Azawad et sa révolution.

Le 3 février 2013, invité de l’émission le Grand rendez-vous, il déclare, sur les plateaux de Itélé : «L’une de mes dernières visites en tant que ministre des Affaires étrangères c’est au Mali et j’ai dit au Président Touré deux choses : combattre AQMI, ne pas tergiverser et répondre aux demandes d’autonomie des Touaregs… ».

Dans le même ordre d’idées, le député UMP, Alain Marsaud, de son côté, renchérit : « Il n’existe pas un Mali, mais au minimum deux. Nous avons, avec Serval, protégé la premier, celui du sud, au détriment du second, celui du nord. Nous sommes tous solidaires de cette erreur mais il convient d’en prendre conscience et de la réparer. La paix dans cette région essentielle de l’Afrique passe par une partition, forcément douloureuse mais il n’est pas d’autres solutions, y compris pour nous Français, engagés militairement sur zone».

En mars 2013, l’ambassadeur de France au Mali, Christian Rouyer, a formellement déconseillé au gouvernement français de se démarquer du MNLA, de ne pas se compromettre avec ce mouvement, ultra-minoritaire même au sein de la communauté touarègue et discrédité dans l’opinion pour ses accointances avec les terroristes. Il a été, illico presto, relevé de ses fonctions, pour être remplacé par Gilles Huberson décrit, par les responsables du MNLA, comme l’émissaire secret du Quai d’Orsay auprès d’eux.

En février 2014, une délégation du Conseil de Sécurité de l’ONU, en visite au Mali, est interpelée par les députés maliens qui se plaignent de la sanctuarisation inadmissible de Kidal contrôlé par les terroristes et le MNLA. Le chef de la Mission onusienne, Gérard Araud, représentant de la France au Conseil de Sécurité apostrophe un député en lui précisant sans ambages : « La MINUSMA ne s’engagera pas dans une guerre contre le MNLA. Si le Mali s’y engage, il perdra la guerre ».

Etrange coïncidence : quelques semaines après une telle déclaration, le 24 mai 2014, l’Armée Nationale réussit, dans un premier temps, à reprendre Kidal avant de la perdre par la suite face à une conjonction de forces occultes. L’épilogue de la bataille de Kidal continue d’être recouvert par le flou comme en témoigne cette déclaration d’Ibrahim Boubacar Keïta à Jeune Afrique à propos de la débâcle : « Ce n’est pas si simple, il y a beaucoup de non-dits. » Pour la grande majorité des Maliens, la réalité ne fait pas de doute : les forces étrangères ont contribué à retourner la situation en faveur des rebelles séparatistes de la CMA.

Après la bataille de Kidal, l’engagement de la France aux côtés de la CMA se dévoile au grand jour. A la suite du repli des troupes régulières, le sous-groupement tactique interarmes (GTIA) « Sigui » venu d’Aguelhok a demandé asile dans le camp de la MINUSMA. Autorisation lui en est donnée à condition que les soldats stockent leurs armes dans des conteneurs. Au moment de regagner leur base de départ, les soldats maliens veulent récupérer leurs armes. Le chef d’état-major de la MINUSMA, Hervé Gomart, qui se trouve être un Français refuse au motif qu’elles sont considérées comme butin de guerre et ne sauraient être restituées qu’avec l’accord de la CMA.

Le 24 janvier 2015, le chef d’état-major de la MINUSMA, le général français Christian Thibaud signe, avec la CMA, un accord établissant une zone tampon de sécurité entre Tabankort et Anéfis. Le document a pour objectif de couvrir la retraite de la CMA délogée d’Anéfis par les combattants de la Plateforme. Même si le document n’a pas été formellement validé par la MINUSMA, la force Barkhane s’en est servie pour menacer la Plateforme de frappes aériennes si elle progressait en direction de Kidal. A la suite de cet événement, la population de Gao manifeste. La MINUSMA réagit, faisant des morts et des blessés.

En mai 2015, deux jours après la signature à Bamako de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, déclare sur les ondes de RFI : « Le Sud et le Nord ont essayé de vivre ensemble. Mais cela n’a pas été possible. Il faut une autre forme de gouvernance pour conforter le vivre ensemble ».

Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux du vice-président du MNLA, Mohamed Djéri Maïga tenus quelques mois plus tôt dans la presse malienne: « Nous voulons un système fédéral avec deux entités car l’actuel système de décentralisation a montré ses limites. Avec les 2/3 du territoire, il faut trouver une formule pour qu’il y ait une forme d’alternance au sommet de l’Etat».

Le 21 novembre 2017, le chef d’état-major de la force Barkhane, le général Christian Allavène a affirmé, au cours d’une rencontre avec les journalistes, à Bamako, la Maison de presse : « Des groupes armés au nord du Mali, pourtant signataires de l’Accord pour la paix ont un pied dans l’Accord et un autre dans les groupes terroristes…Nous en avons aujourd’hui les preuves matérielles qui démontrent cette collision ». Malgré cette déclaration, les autorités françaises continuent d’apporter leur soutien aux rebelles séparatistes de la CMA.

Les autorités françaises ont beau se déclarer en faveur d’un « Mali un et indivisible », tant qu’elles ne poseront pas des actes concrets allant dans ce sens, les Maliens resteront toujours dubitatifs. Les populations maliennes demeurent suffisamment édifiées par les propos tenus par Hama Ag Mahmoud, ancien ministre et en son temps, membre de la direction du MNLA en charge des Affaires extérieures. Ils sont sans ambages, aussi clairs que précis et n’autorisent aucun doute sur le double jeu des dirigeants français :

« La France nous avait donné son feu vert pour l’indépendance de l’Azawad. La France a demandé au MNLA de l’aider à faire déserter tous les combattants touaregs qui étaient dans l’armée libyenne pendant la guerre de Libye et de bloquer le recrutement des Libyens dans le nord-Mali et dans l’Aïr au Niger. En contrepartie, elle nous avait donné son feu vert pour l’indépendance de l’Azawad. C’est l’accord qui a été conclu avec la France. L’objectif était tout simplement d’affaiblir le gouvernement malien pour l’obliger à signer un accord de défense et, ensuite, s’octroyer des concessions minières : de l’or, du phosphate, du gaz, du pétrole etc. Et surtout, le bassin de Taoudéni qui est une mer intérieure d’eau douce ainsi que la base de Tessalit, une zone stratégique convoitée par les Américains, mais aussi, par les Russes. Tout le monde veut avoir cette base».

Ce sont là des déclarations et des faits prouvant à suffisance le deal de la Communauté internationale et de la France en faveur des rebelles séparatistes. Elles sont toute contraires aux déclarations initiales officielles des dirigeants français. En effet, au départ, il était question d’aider le Mali à restaurer l’autorité de l’Etat et l’intégrité de son territoire et de lutter contre le terrorisme.

Ainsi, Jean-Yves le Drian ne dit pas autre chose quand, se prononçant sur les mêmes objectifs, il confie, en janvier 2013 : « Les objectifs assignés à l’opération Serval sont au nombre trois : un, stopper l’avancée des terroristes, deux, restaurer l’intégrité du Mali, trois, mettre en œuvre des Résolutions de l’ONU».

François Hollande, la voix la plus autorisée, en visite aux Emirats Arabes Unis, en janvier 2014, précise, à son tour, « L’objectif de l’opération Serval était de détruire le terrorisme et de restaurer l’intégrité territoriale du Mali ».

Emmanuel Macron, demande, aujourd’hui, aux chefs d’Etat des pays du G5 Sahel d’aller le rejoindre à Pau le 16 décembre 2019 pour « clarifier leurs positions ». N’est-ce pas plutôt lui qui, assumant l’héritage de ses prédécesseurs, de Charles de Gaulle à François Hollande, devrait clarifier sa position ? Les Maliens ne s’y trompent pas. Il n’existe pas chez eux un sentiment anti-français, mais le rejet du double jeu des dirigeants français dans leur soutien aux mouvements séparatistes.

Pour reprendre Léopold Sédar Senghor que nul ne saurait qualifier d’anti-français, la France qui est, ces temps-ci, fréquemment conspuée au Mali et dans tous les pays francophones, est : « la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques », « qui invite à sa table et [nous] demande d’apporter [notre ] pain, « qui [nous] donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié », « qui hait les occupants et [nous] impose l’occupation si gravement », « qui ouvre des voies triomphales aux héros » et n’a que mépris pour nos FAMAs…

Le Président du MPR

Choguel Kokalla Maïga
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