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Le Mali à la croisée des chemins : Rectifier la politique agricole pour briser les chaînes de la dépendance alimentaire
Publié le jeudi 22 fevrier 2024  |  Le Matin
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© aBamako.com par AS
Visite de JTZ Agriculture Innovation aux champs de riz de Baguineda
Le JTZ Agriculture Innovation a visité le 16 Octobre 2019, les champs de riz de Baguineda
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Le 15 janvier 2024, la Côte d’Ivoire a suspendu (pour six mois) l’exportation de ses principales denrées vivrières. La liste comporte au moins vingt produits parmi lesquels le manioc et l’igname ; cinq céréales dont le riz ; cinq légumes et plusieurs produits transformés, dont l’attiéké que le pays exporte un peu partout dans le monde. Selon des confrères de certains médias comme «Studio Tamani» (radio de proximité de la Fondation Hirondelle), l’impact de cette décision commençait déjà à être ressenti par les commerçants et les consommateurs maliens.

Au nom de «la sécurité alimentaire des populations vivant en Côte d’Ivoire», la Côte d’Ivoire a suspendu le 15 janvier 2024 (pour six mois) l’exportation de ses principales denrées vivrières. Cette interdiction concerne une vingtaine de produits, dont le manioc et l’igname ; cinq céréales dont le riz ; cinq légumes… Des produits transformés comme l’attiéké (semoule de manioc) qui est un pilier des exportations ivoiriennes. Cette interdiction s’appuie sur un décret de 2022 instituant une autorisation préalable à l’exportation de tout produit vivrier. Le gouvernement ivoirien promet des sanctions aux contrevenants.

Une autre provocation visant les autorités militaires de la Transition du Mali et du Burkina, deux approvisionnés en ces produits à partir de la Côte d’Ivoire ? Cela y ressemble visiblement puisqu’il apparaît que la Côte d’Ivoire est autosuffisante en ce qui concerne la majeure partie des produits visés qui sont généralement exportés vers les pays sahéliens comme le Mali et le Burkina.

Selon des confrères de certains médias comme «Studio Tamani» (radio de proximité de la Fondation Hirondelle), l’impact de cette décision commençait déjà à être ressenti par les commerçants et les consommateurs maliens. En effet, l’attiéké, l’igname et la banane plantain (aloco) commençaient à se faire rares dans les principaux marchés de la capitale… Devons-nous en vouloir à la Côte d’Ivoire ? Pas du tout même si elle viole quelque part la réglementation sur les échanges commerciaux au niveau de la Cédéao et de l’espace Uémoa. C’est le manque de vision de nos décideurs politiques qui expose le Mali à de telles extorsions commerciales. Contrairement à ce qui est généralement martelé dans les discours politiques, l’agriculture a rarement occupé une place de choix dans les politiques de développement de notre pays. Depuis la fin de la première République, les paysans sont des laissés pour compte de ces politiques.

Avec de la vision, des investissements judicieux et un meilleur encadrement des paysans, le Mali peut produire suffisamment les produits dont la Côte d’Ivoire cherche à nous priver fréquemment (plantain, ananas, avocats, igname, colas…). Aujourd’hui, l’essentiel de l’attiéké consommé à Kadiolo est produit sur place et à partir du manioc local. «Tout ce qui est cultivé en Côte d’Ivoire peut pousser dans la région de Sikasso. Malheureusement, nous ne cessons de focaliser nos efforts sur les cultures céréalières et le coton au lieu de chercher à réellement diversifier notre agriculture», nous disait récemment un vieil agronome dépité par le «manque de volonté politique en faveur du monde rural».

Une zone qui n’a rien à envier à la Côte d’Ivoire

Nous savons par expérience que dans la commune de Loulouni (cercle de Kadiolo), on produit des plantains, de l’ananas, des avocats, des ignames, des noix de cola… A Lofigué (Kadiolo), depuis 2004, Soumaïla Traoré prouve également que le Mali peut tout produire dans cette zone avec la volonté politique. Aujourd’hui, il a réussi à mettre en valeur au moins 13h hectares de cultures diverses (ananas, banane, mangue, orange, avocat, anacarde, cacao…). Jusqu’à une date récente, son exploitation employait 3 personnes en temps plein et 4 en temps partiel. Mieux, il se dit prêt à former des jeunes et à les accompagner pour s’installer. Naturellement que cela suppose aussi des moyens qu’il n’a pas forcément. Avec un peu plus de soutien technique et politique, le seul cercle de Kadiolo peut approvisionner tout le pays en ces produits importés essentiellement de la Côte d’Ivoire !

«De Kadiolo à Yorosso, en passant par Sikasso Bougouni, Koutiala…, on peut produire presque tout ce qu’il y a comme cultures dans les pays côtiers», défend Mustapha, un confrère dépité par la décision ivoirienne. Au-delà, le Mali ne manque pas de potentiels pour être autosuffisant sur le plan de la production agricole. Et avec une bonne conservation et une politique équilibrée de commercialisation, notre agriculture peut devenir un tremplin de valeurs ajoutées indispensables à la croissance économique. Ce qui n’est pas possible tant que les paysans et les consommateurs seront exploités par des opérateurs économiques véreux.

Avec des cadres de certains services, ces «cols blancs» sont les vrais bénéficiaires de l’aide publique au secteur agricole. Et dans notre pays, le défi n’est pas seulement de produire, mais aussi de gérer cette production grâce notamment à une meilleure conservation. Sikasso produit suffisamment de tubercules (ignames, de manioc, de pomme de terre…), de légumes et de fruits pour satisfaire les besoins alimentaires d’une grande partie des Maliens. Mais à qui cela profite ? Qui profite de l’immense production de riz voire de céréales de notre pays ? Pas le paysan contraint de brader sa production parce que ne disposant de technique ou de moyen de la conserver.

Que de la démagogie pour endormir le peuple et nourrir le monde paysan de fausses promesses

Le consommateur non plus parce que les ruptures de stocks sont toujours savamment entretenues pour lui vendre plus cher tout en bénéficiant aussi des exonérations. «On devrait faire comme Mao l’a fait en Chine à l’époque : interdire toutes les importations et aider les producteurs locaux. On ne doit rien importer de vivriers dans ce pays», préconise un concitoyen dans un débat sur la question. Depuis des décennies, la quête de la souveraineté alimentaire se réduit à de beaux discours inspirés par de belles théories sur le papier ! Que des mots pour endormir le peuple et nourrir le monde paysan de l’illusion des fausses promesses. Hélas ! Aujourd’hui, il est temps que nos décideurs prennent conscience de l’implication de la production agricole sur la stabilité et le développement d’un pays. Notre politique agricole a aussi besoin de rectification si nous voulons que le Mali Kura ne soit pas confronté à la même dépendance alimentaire que celui que nous voulons oublier.

Cela est d’autant nécessaire et urgent que, au-delà la sécurité et de l’intégrité d’un territoire, la souveraineté est avant tout alimentaire ! On ne peut pas parler de souveraineté alors qu’on importe 70 à 80 % des besoins alimentaires du pays. Comme l’écrivait l’homme politique américain Adlai Ewing Stevenson (5 février 1900 à Los Angeles-14 juillet 1965 à Londres/Angleterre), dans une discours prononcé le 6 septembre 1952, «l’homme qui a faim n’est pas un homme libre». Et cela d’autant plus qu’il n’a «ni la volonté, ni la force de s’élever au-dessus des contingences matérielles pour se comporter en être libre». La faim tourmente le ventre, hante l’esprit et enchaîne la volonté !

Moussa Bolly
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