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L’Indépendant N° 3423 du 23/1/2014

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Un artiste-auteur compositeur écrit à IBK : « Monsieur le Président, la culture malienne est au bord du chaos »
Publié le jeudi 23 janvier 2014  |  L’Indépendant




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Monsieur, le Président, vous voilà enfin Président pour le Mali et pour tous les maliens. Plébiscite, vous l’avez été, parce que presque tout le peuple vous fait confiance pour ce que vous fîtes lorsque vous avez été Premier ministre, en remplacement de ceux qui ont jeté l’éponge tant le Ring était chauffé à blanc.

Ça bougeait de partout : l’école, les travailleurs et les religieux, et même les chômeurs chacun marchait, revendiquait, battait le pavé à tel point qu’à un certain moment, tout le monde avait cru que l’Etat allait s’arrêter, le pays a frisé le chaos, l’anarchie.
Vous êtes venu comme un Messie, sauver le Mali, sauver la démocratie et impulser à l’Etat plus de quinze ans de normalité dans son fonctionnement au point où notre pays était cité en exemple dans le concert des Nations comme un modèle, le meilleur.

Cela, vous l’avez réussi grâce à votre rigueur, à votre sens élevé du respect de l’Etat.
Vous revenez encore une fois à la tête du même Etat, non pas en tant que Premier Ministre, mais en tant que chef de l’Etat, un Etat presque à terre, humilié, bafoué que vous allez sans doute relever, rebâtir, reconstruire, avec cette fois-ci des fondations vraies en béton armé, lesquelles fondations seront visibles par tout le peuple. Parce que les maliens ont été auparavant très peu informés sur les questions essentielles de souveraineté qui concernaient le pays notamment, les différents accords : Alger, Tamanrasset etc.
L’on se souvient que pendant votre passage à l’Assemblée Nationale, vous avez dit non à certains accords parce que vous en mesuriez les conséquences pour le Mali et vous n’avez pas été écouté, ni compris.

»Le Mali d’abord – Pour l’honneur du Mali » tels ont été les slogans de votre campagne à l’élection Présidentielle qui vous a porté à la tète de l’Etat.
Le Mali d’abord, veut dire à notre entendement » tout pour le Mali et les Maliens d’abord avec y compris les artistes et les acteurs culturels qui ont été les premiers à souhaiter et à saluer votre élection. Nombreux sont ceux d’entre eux qui se sont battus pour votre victoire. Ils sont parmi les premiers citoyens, au moment où le Mali brulait, à galvaniser les troupes sur le front.

Ces artistes, Monsieur le Président, croient en vous, en votre vision pour le Mali. Ils savent aussi que l’homme de la justice, vous l’avez été, et vous l’êtes encore.
Ils sont parmi les premiers contributeurs à l’effort de guerre à travers l’Union des Associations d’Artistes de Producteurs et d’Editeurs du Mali (U.A.A.PR.E.M) en partenariat avec Audacity qui a donné plus de vingt millions de nos francs à l’issue du téléthon organisé et animé par les artistes comme Salif Kéïta, Babani Koné, Oumou Dédé Damba, Bako Dagnon, Sékou Hamala Kéïta etc.

Les artistes ont chanté et dansé pour la paix, la cohésion sociale. Ils ont mis eux-mêmes la main à la poche pour financer les répétitions, les accoutrements et tous les jours sur les écrans de l’ORTM et TM2, ils chantent pour le Mali sans jamais demander une quelconque compensation. Car pour eux, c’est le Mali d’abord comme pour vous-même.
Ils ne comptent pas eux les artistes, les jours que vous avez passé à la tète de l’Etat, ils compteront simplement ce que vous aurez obtenu pour eux dans le combat qu’ils mènent depuis des années pour la défense de leurs droits.

Monsieur le Président, les artistes vous savent homme de culture, c’est pourquoi ils croient en vous et fondent beaucoup d’espoir sur votre engagement à sauver la culture nationale qui peine aujourd’hui à se relever de la piraterie, cette piraterie qui a toujours tué les artistes et autres créateurs de l’esprit et qui a pris ces dernières années des propositions incommensurables.

Ils n’y a plus, Monsieur le Président, de créations artistiques et musicales dans notre pays. Ce qui veut dire qu’il n’y a plus de productions, ni de producteurs. Nous mesurons nos mots et ce que nous vous disons est réel et vrai. Les producteurs phonographiques d’hier sont devenus des vendeurs de téléphones, de ceintures.

Les plus chanceux sont entrepreneurs, tâcherons.
Les artistes ne se tracassent plus pour enregistrer un album. La vogue, ou du moins le besoin de survie leur commande d’enregistrer un seul titre appelé dans notre jargon, un single. Vous êtes anglophile et vous comprenez parfaitement ce que ça veut dire.
Ce titre est doublé d’un clip vidéo réalisé lui-aussi par des cameramen amateurs et dans le décor le plus simple possible.

L’on s’évertue donc à faire la promotion de ce titre sur les radios et à la télé, non pas pour vendre (parce qu’un seul titre ne constitue pas un album) mais pour avoir des contrats de concert.
La raison de cette mort lente mais inéluctable de notre culture, Monsieur le Président est simple à comprendre :

Les artistes, acteurs culturels n’ont jamais voulu en rajouter à la difficile situation que connait notre pays par des marches de protestations, des sit-in et autres manifestations de rue. Ils ont une responsabilité face à l’histoire, celle d’être le ciment de l’unité nationale.
Sinon, ils ont les moyens d’interdire pendant seulement deux jours la diffusion de leurs œuvres sur les radios et les télévisions pour faire comprendre aux populations le rôle qu’ils jouent dans le pays. Imaginez Monsieur le Président, deux jours sans musique, sans films. Que seraient les programmes de nos radios et télévisions ?

Nous sommes pour l’apaisement. C’est pourquoi moi, en mon nom propre je voudrais vous transmettre ce message parce que je sais que, vous me comprendrez, vous nous comprendrez. Sinon comment Monsieur le Président :

1- l’Etat malien n’accorde que 1% de son budget à la culture. La culture n’est peut-être pas aussi importante qu’on le laisse croire. Or, nous, nous pensions qu’aucun pays ne peut se développer sans sa culture qui devrait donc être au centre des préoccupations de tous les gouvernants.
2- Le Mali était leader en matière de cinéma en Afrique. Ces hommes de culture qui nous ont amenés à la démocratie ont vendu toutes nos salles de cinéma et allez demander la part du budget allouée à la promotion du 5ème Art. Prenez les deux dernières éditions du FESPACO, aucun film malien n’a reçu la moindre récompense. Alors qu’hier notre prétention n’était pas le Yennega mais la Palme d’or à CANNE avec Tadona, Finyè, Tafé Fanga etc.

En musique, il y a six à sept ans, nous nous souvenons que des artistes comme Salif Kéïta, Oumou Sangaré vendaient seulement au Mali 200.000 K 7 audio et au moins 50.000 CD. Quant aux artistes moyens, du moins ceux qui n’ont pas la trempe des premiers cités, ils vendaient facilement 30.000 à 50.000 K7.

Ce qui veut dire qu’à l’échelle africaine, nos vedettes pouvaient vendre des millions d’albums et le Mali avait le marché discographique le plus dynamique de la sous-région.
Aujourd’hui, ces mêmes vedettes, ne vendent pas 1.000 K7 et 500 CD.
La situation est grave et très grave. La musique de nos artistes se trouve dans tous les téléphones, les ordinateurs de nos bureaux, dans de petites machines appelées MP3 etc.
Les films de nos artistes se trouvent aussi partout et se jouent dans les cars de transport, dans les bateaux, dans les avions.

Les programmes de nos stations radio et télé portent à 80% sur la musique des artistes.
Tout le monde use et abuse des œuvres de nos artistes gratuitement, Monsieur le Président et personne ne veut rien payer en retour.

L’ORTM paie aux artistes pour les droits d’exécution publique le même montant que lors de sa mise en marche en 1984 alors que les tarifs de prestation à la télé ont été multipliés par dix et souvent par vingt. Et il n’y a pas de commune mesure entre ce que paient les autres télévisions africaines et nos chaînes locales.

Quant aux radios communautaires, qui ne jouent de l’ouverture de l’antenne à la fermeture que de la musique, elles ne paient pas un centime.
Les deux sociétés de téléphonie par qui le malheur est arrivé se refusent même à reconnaitre qu’elles sont responsables de la mort de notre culture . Le téléphone est devenu un support pour emmagasiner le son et l’image.

Malgré tout, les deux sociétés de téléphonie qui emploient de hauts cadres, ne veulent rien comprendre. Elles ont bouleversé les modes de création, de production des œuvres littéraires et artistiques au Mali et du coup, et elles ont contribué à troubler fortement la jouissance des droits d’auteur et des droits voisins au Mali. A peine sorties du studio, nos œuvres sont systématiquement copiées, reproduites, puis distribuées et diffusées partout sans autorisation, soit à travers les téléphones portables soit sur internet.

Depuis bientôt une décennie, des entreprises de téléphonie exploitent massivement ces œuvres pour fructifier leurs affaires sans payer de contre partie aux titulaires de droits sur les dites œuvres. Ces agissements, outre qu’ils transgressent les lois et règlements en vigueur causent des préjudices inestimables aux auteurs compositeurs, producteurs, éditeurs qui ont changé de vocation afin d’assurer leur quotidien.

Les créateurs maliens attendent toujours de rentrer dans leurs droits au titre de l’exploitation de leurs œuvres par ces entreprises qui semblent se situer au dessus de la loi et pour qui l’impunité semble garantie. Ces violations continues des droits d’auteur ont eu pour conséquence de ruiner les industries créatives de notre pays. Les auteurs, compositeurs, interprètes et exécutants subissent les plus grosses humiliations, dans leur quête de quotidien manquant du minimum vital pour vivre, tandis que ces entreprises fortes de leurs pouvoirs d’influence continuent à s’enrichir de manière éhontée de l’usage frauduleux de la propriété d’autrui.

A quand la fin de ces manœuvres spoliatrices ?
Monsieur le président, cette situation n’a que trop duré.

Les artistes, producteurs et éditeurs du Mali n’en peuvent plus.
A l’époque contemporaine, les Etats respectueux des droits humains accordent une importance de premier rang au respect des droits d’auteurs. Notre pays ne saurait rester en marge. D’ailleurs, dans tous les autres pays, les représentations de ces grands groupes internationaux (société de téléphonie) s’acquittent correctement des redevances de droit d’auteur. Le Mali constitue t-il une exception ?

Comme le disait Madame LIU Yan Dong, conseillère d’Etat chinoise ‘‘désormais, le respect des droits de propriété intellectuelle montre le niveau de civilisation des peuples’‘. Qui aime la culture de son pays respecte les droits des créateurs car, sans la créativité, la culture meurt.
IBK, la culture malienne est au bord du chaos.

Le Mali a pourtant signé toutes les conventions internationales relatives au
Droit d’auteur. Les sociétés de téléphonie de nombreux pays d’Afrique paient déjà des redevances de droit d’auteur sans rechigner parce que c’est la loi, et le droit qui l’ont décidé ainsi.

Mais les nôtres sont super puissantes. Elles nous narguent chaque fois que nous nous rencontrons pour en discuter, pour tenter de les convaincre de payer nos droits. Pour jeter un pavé dans la mare, elle nous opposent le terme de redevance qui leur passe en travers de la gorge alors que c’est un terme consacré par les juridictions internationales. Mais en attendant, la fonctionnalité de la troisième société, les deux sociétés existantes n’entendent pas lâcher-prise. Fortes de leurs fortunes, elles joueront encore longtemps avec la vie des artistes si vous Monsieur le Président, vous n’intervenez pas dans un conflit larvé entre le Ministère de la culture à travers le Bureau Malien du Droit d’Auteur, mandataire de tous les artistes et les deux géants de la téléphonie mobile au Mali.

Monsieur le Président, votre arbitrage est nécessaire dans cet imbroglio, ou du moins dans ce langage de sourds et de bons entendants. Il n’y a plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.
»Les artistes du Mali comptent sur vous »
Souleymane A CISSE

Artiste-Auteur Compositeur, Secrétaire à l’organisation de l’union des associations des artistes des producteurs et des éditeurs du MALI ( U.A.A.PR.E.M)
Souleymane Amadou CISSE

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