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L’Indépendant N° 3444 du 21/2/2014

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Entretien avec Lazare Eloundou Assomo, représentant de l’UNESCO au Mali : » La culture est la base de ce qui lie les peuples et les hommes. Sans la culture, il est difficile de parler de paix durable «
Publié le vendredi 21 fevrier 2014  |  L’Indépendant




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Architecte et urbaniste, Lazare Eloundou Assomo était précédemment chef de l’unité Afrique au Centre du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science, la communication et la culture, où il coordonnait la coopération entre l’UNESCO et les pays africains sur toutes les questions relatives au patrimoine mondial en Afrique. A ce titre, il a été le gestionnaire responsable d’un certain nombre de restaurations majeures et des projets de réhabilitation en Afrique. Il est notamment régulièrement intervenu au Mali depuis 2000 sur les sites du patrimoine mondial.

L’homme aux multiples casquettes est un spécialiste de la culture et du patrimoine. Depuis la crise qui est intervenue au Mali en 2012, il a assuré pour le compte de l’UNESCO, la coordination de la sauvegarde du patrimoine culturel malien. C’est un travail exemplaire abattu en cette période qui lui a valu d’être nommé au poste de représentant de l’UNESCO au Mali. Nous l’avons rencontré à son retour de la mission conjointe de l’UNESCO et le Mali en vue de l’évaluation du patrimoine culturel de Gao. Il a bien voulu répondre à nos questions.

L’Indépendant : Vous êtes le représentant résident de l’UNESCO au Mali. Après quelques mois de votre prise de fonction, quelles sont vos impressions?
Mes premières impressions sont bonnes, d’autant plus que l’UNESCO entretient de très bonnes relations avec l’Etat malien. L’UNESCO intervient également dans plusieurs domaines comme l’éducation, la communication, la science et la culture. Tous ces aspects sont très importants comme thème de travail au niveau du gouvernement. Donc nos relations sont excellentes et nous sommes très heureux de pouvoir contribuer à la reconstruction du Mali.


Vous êtes le gestionnaire responsable d’un certain nombre de restaurations majeures et des projets de réhabilitation dans certains pays en Afrique. A quoi consiste votre mission ?
Trois ou quatre aspects sont importants pour comprendre l’action entre l’UNESCO et l’Afrique. D’abord, l’Afrique est une priorité de l’UNESCO, elle a toujours été ainsi dans tous nos programmes. Cette attention portée par notre organisation à l’Afrique va continuer. C’est d’ailleurs pour cette raison que les questions très importantes pour le développement de l’Afrique à savoir l’éducation, la culture plus particulièrement sont traitées de manière très attentionnée par l’organisation.

En plus d’autres questions liées à la culture de la paix. Dans une époque où il y a de nombreux conflits, nous y accordons beaucoup d’importance parce que la culture de la paix est quelque chose de fondamental pour le développement de l’Afrique.

Le patrimoine culturel qui se trouve au Nord du Mali est un patrimoine mondial, c’est un patrimoine de l’humanité, au-delà du fait qu’il est déjà un patrimoine qui appartient aux communautés. Il traduit plus particulièrement la manière dont les communautés ont su vivre avec les questions de dialogue et de paix au cours des siècles derniers, notamment à Gao et à Tombouctou. Ce patrimoine qui était aussi important pour le peuple malien et pour l’UNESCO s’est retrouvé en situation de risque. C’est pourquoi l’UNESCO s’est immédiatement mise aux côtés du gouvernement malien pour sensibiliser la communauté internationale afin que nous joignions tous nos efforts pour sauvegarder ces références culturelles et que s’ils étaient détruits en totalité, cela allait faire perdre leur identité culturelle et aussi leur dignité.


Vous revenez d’une mission conjointe menée par l’UNESCO et le Mali en vue de l’évaluation du patrimoine culturel à Gao. Quels ont été les objectifs de cette mission?
Il s’agit effectivement d’une mission conjointe menée par l’UNESCO et le gouvernement du Mali, pour faire le point sur la situation des dommages qui avaient été causés sur le patrimoine culturel à Gao. Cette mission s’est rendue le 11 février dans la ville de Gao, grâce au soutien logistique et de la sécurité de la Minusma. Ce qui nous a permis de visiter le tombeau des Askia et de faire un premier diagnostic de la situation de son état de conservation, mais aussi de rencontrer les populations de Gao pour qu’elles nous expliquent ce qu’elles ont vécu et de partager avec nous les efforts et les actions qu’elles ont posés en faveur de la sauvegarde du patrimoine culturel.

Nous avons aussi visité quelques sites archéologiques, les musées pour nous donner un aperçu large de la situation du patrimoine culturel et des expressions culturelles à Gao. A l’issue de cette mission, nous avons pu recueillir de nombreuses informations qui vont nous permettre désormais d’envisager avec l’ensemble de nos partenaires qui nous soutiennent des actions de réhabilitation de ce patrimoine culturel. Je rappelle que nous avons également diagnostiqué le patrimoine culturel de Tombouctou depuis juin dernier.


Comment se fera le financement de ces différentes réhabilitations ?
L’UNESCO a élaboré avec le gouvernement du Mali à l’occasion d’une journée de solidarité qui avait été organisée le 18 février 2013 à Paris, un plan d’action pour la réhabilitation du patrimoine culturel endommagé et pour la sauvegarde durable des manuscrits anciens. Ce plan d’action était budgétisé à hauteur de 11 millions de dollars. Un montant destiné à reconstruire les mausolées et réhabiliter les mosquées endommagées en étroite collaboration avec les communautés qui ont toujours été les détenteurs de ces biens culturels, mais aussi celles qui les ont régulièrement entretenus et qui en possèdent le savoir-faire. De l’autre côté, il s’agissait aussi de sauvegarder de manière durable les manuscrits anciens également en étroite coopération avec les communautés, car il faut le dire, la majorité de ces manuscrits anciens de Tombouctou sont détenus par des familles.


C’est important que celles-ci continuent à assurer la plus grande responsabilité vis-à-vis des actions de conservation de ces manuscrits. Nous travaillerons donc en collaboration avec l’ONG Savama, qui coordonne ces familles et aussi avec l’HERI-AB. Nous allons aussi mettre sur pied une série d’actions de renforcement de capacité parce que pendant la période d’occupation les capacités ont été perdues, il faut les reconstruire. Les structures de gestion du patrimoine ont été affaiblies? Donc il va falloir apporter un appui institutionnel et aussi former tous ceux qui vont s’investir dans ce domaine.


Aujourd’hui, nous sommes encore en train de mobiliser des fonds, nous avons sollicité la communauté internationale, en plus de quelques partenaires tels que la Suisse, l’Union Européenne et la Norvège qui nous accompagne déjà dans ce projet. Les besoins sont énormes et il nous faut continuer à appeler à la solidarité internationale pour aider à mobiliser suffisamment de fonds afin de réhabiliter de manière durable ce patrimoine endommagé.


Certes, les travaux ont débuté à Tombouctou, mais on se rend compte qu’ils avancent à pas de tortue. Est-ce donc un problème de financement ?
Lors de la conférence de Bruxelles, tous les pays donateurs ont reconnu le rôle fondamental de la culture comme élément important qui va permettre d’assurer la reconstruction et même la réconciliation du Mali. A cet effet, un fonds a été alloué pour les travaux de réhabilitation et de reconstruction. Mais comme vous le savez, les questions de levée de fonds ne sont pas des questions simples, il y a des négociations, des discussions à faire et nous avons d’énormes progrès dans ce sens. L’autre condition aussi importante ce sont les mesures de sécurité. La communauté internationale est en train de se mobiliser dans ce sens et c’est clair que ce sont les conditions primordiales qui permettent de lancer le travail. Et franchement, les signes sont positifs à Tombouctou et Gao. Certes, certains de nos partenaires se manifestent déjà, c’est pourquoi comme vous l’avez constaté nous avons pu commencer les travaux à Tombouctou. Un autre volet important c’est la spécificité de ce patrimoine.


Quand il s’agit de réhabiliter les sites dont on a reconnu la valeur au plan universel, il faut garantir que la méthode de réhabilitation et de reconstruction ne fera pas perdre ces valeurs, mais permettra plutôt de la retrouver afin que ces sites restent intacts. Donc, il faut faire beaucoup d’études, de documentations qui vont permettre aux experts de bien faire leur boulot.


Nous sommes en train de faire un relevé complet de l’état des mausolées et un relevé architectural des bâtiments des bibliothèques privées qui seront réhabilités pour que les manuscrits puissent retournés le plus vite à Tombouctou. Et tout ce travail prend du temps. Je sais que les communautés sont impatientes et souhaitent que les choses aillent plus vite.


Comme je l’ai toujours dit, c’est très facile de détruire en deux secondes ce qu’on a préservé pendant 800 ans. Mais faut-il reconstruire en deux secondes ce qu’on a gardé pendant 800 ans ? Il faut le reconstruire de manière à ce que la valeur, l’importance et la charge de l’histoire que ces patrimoines ont portées par le passé demeurent.


Vous évoquiez dans un communiqué adressé à la presse la prise en compte du traumatisme culturel subi par les populations du Nord. Pensez-vous que les actions culturelles leur permettront de se remettre de ce choc ?
La culture est la base de ce qui lie les peuples et les hommes. Sans la culture, il est difficile de parler de paix durable. Un homme sans son identité culturelle perd toutes ses références. Ce patrimoine culturel est fondamental. C’est pourquoi au-delà de l’action de réhabilitation de la pierre, de la terre ou des monuments, il y a cette contribution à la reconstruction de la dignité de ces communautés. Ces actions aideront aussi à redynamiser l’économie de ces régions qui était à 90% basée sur les revenus culturels. Travailler sur ces questions contribuera également au développement. C’est ce que l’UNESCO essaye toujours d’expliquer que cette action autour de la culture est fondamentale.


Les jeunes de Gao se sont mobilisés pour protéger leur patrimoine. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Ça été une agréable découverte lors de notre mission à Gao de voir que si le tombeau des Askia est encore debout c’est aussi parce que les jeunes se sont organisés pour y veiller. Cette leçon de courage nous interpelle et le message est clair: la jeunesse de Gao est attachée à sa culture, à son patrimoine et son histoire. Nous allons les impliquer dans toutes les actions de réhabilitation, mais aussi de gestion de ces sites. Nous sommes en train de discuter avec le ministère de la Culture sur les meilleurs moyens de travailler avec les jeunes et aussi les femmes.

Un mot de la fin ?
L’UNESCO vous remercie pour l’opportunité que vous nous donnez de communiquer et partager ces informations avec les Maliens qui suivent avec attention l’action de l’UNESCO au Mali. Ils pourront ainsi constater qu’en collaboration avec le ministre de la Culture, Bruno Maïga et tous les membres du gouvernement du Mali, et avec l’appui de la Minusma et du système des Nations Unies, nous faisons des efforts par rapport à ces questions de réhabilitation. Nous serons heureux de continuer à informer les Maliens sur les actions et l’évolution de la situation.
Clarisse NJIKAM

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