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Le Républicain N° 4829 du 2/4/2014

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Concertations nationales sur l’avenir de l’enseignement supérieur : Une stratégie inopportune et obsolète
Publié le jeudi 3 avril 2014  |  Le Républicain




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Notre pays qui se relève d’une crise profonde dont les séquelles seront à jamais indélébiles est en train de tomber dans une orthodoxie unipolaire. Elle repose sur une posture à la limite boulimique qui fait de l’organisation de fora, concertations des panacées pour la résolution des problèmes. Cette démarche certes sied à beaucoup de domaines, mais l’enseignement supérieur qui n’échappe pas à cette réalité doit y être épargné.

Cet ordre d’enseignement a été récemment le théâtre de rencontres informelles au cours desquelles certains acteurs avaient décrié la tenue de concertations stricto-sensu pour discuter des questions majeures. Nous faisons partie de ce groupe et dans cet article, nous voudrions exprimer nos opinions sur une question qui nous donne une insomnie quasi-séculaire et dire en toute modestie que spécialiste des Sciences de l’Education, notre démarche se veut avant tout technocratique et scientifique. De ce point de vue, nous pensons en toute sincérité et en toute scientificité que les prochaines concertations sur l’enseignement supérieur sont inopportunes et obsolètes. Des constats de taille constituent un argumentaire tangible pour le rejet de ces concertations même si le comité de pilotage qui est à l’œuvre doit continuer à travailler. Nous allons nous pencher ici sur les pôles de rejet des concertations avant de donner notre avis sur le comité de pilotage constitué à cet effet.
I Du rejet théorique

En 2008, notre pays a organisé une large concertation sur le système éducatif à travers la tenue d’un forum. Il a mobilisé l’essentiel des acteurs de l’école avec une contribution appréciable de la diaspora surtout au niveau de l’enseignement supérieur. Des centaines de millions ont été investis pour cette entreprise. Ce forum n’a jamais été évalué dans ses conclusions. Du reste, ses recommandations ont été souvent foulées aux pieds par les premiers responsables de l’enseignement supérieur (j’en veux pour preuve la suspension des mémoires dans les universités). Et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique veut organiser encore des concertations….

En 2010 après les trois mois de grève des enseignants, un panel d’experts fut constitué. Il avait pour but de réfléchir et de donner des orientations sur l’enseignement supérieur. Ces experts, cadres maliens pour une large majorité servant à l’extérieur ont été engagés pendant plus d’un mois. Ils ont fait des suggestions. Rares sont les enseignants qui pourraient entretenir l’opinion sur les grandes décisions issues de ce panel. Elles sont dans les tiroirs comme si leur diffusion était et est un sacrilège. Et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique veut organiser encore des concertations….

Depuis deux ans, les universités et les écoles supérieures ont toutes été engagées dans une approche managériale qui a consisté à l’organisation d’ateliers de formation pour les cadres. La conclusion pertinente et patente de cette démarche a été l’élaboration de plan stratégique à l’échelle de chaque établissement. En tant que spécialiste des Sciences de l’Education, nous trouvons que ces plans stratégiques dressent les tremplins d’un pilotage logique qui s’appuie sur trois éléments indissociables à savoir les prévisions, la prospective et la perspective qui donneront sens et signification à nos actions. Ces plans stratégiques n’ont pas été appréciés et corrigés pour leur mise en œuvre. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

En fait, comme nous le soulignons, le forum, le panel, le plan stratégique en tant qu’actions n’ont jamais été source d’appréciation réelle, en d’autres termes évalués et au même moment des concertations pointent à l’horizon pour entraîner la même « hémorragie financière ». A quand une gestion rationnelle des ressources financières quand on sait que la plupart des établissements ont connu une année blanche il y a trois ans ? Les écoles fermées, des sommes faramineuses ont été investies dans la réfection des internats, la construction des infrastructures. Les résultats furent mitigés, la location reste règle d’or. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

II Du rejet pratique

Les universités pour une large majorité viennent d’ouvrir à cause de la grève des enseignants pour des heures supplémentaires de plus d’une année qui n’ont pas été payées intégralement. Certains payements ont été par négociation différés en janvier 2015. A l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako, les notes ont été bloquées pendant des mois à cause du non payement des tâches liées aux examens (surveillance, secrétariat, copies corrigées), ces frais ne dépassaient pas 150 millions. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

Aujourd’hui les concertations vont prendre corps dans un contexte où une décision invite les universités à gérer les heures supplémentaires dans la limite des budgets alloués. L’ULSHB par exemple ne doit pas à cet effet dépasser 570 millions pour les heures supplémentaires. Cela revient pour les Départements d’Enseignement et de Recherches à s’inscrire dans une logique qui consistera à compresser les volumes horaires, charcuter des cours, supprimer certainement des modules, renforcer la « sardinisation » (Or en Sciences de l’Education, les effectifs restent déjà pléthoriques. Au niveau de l’Amphi II de la FAST, la Licence est divisée en trois groupes de 510 étudiants). En somme, il s’agit de procéder à ce qu’il convient d’appeler un ajustement des enseignements qui consistera absolument à museler les principes pédagogiques au nom de mesures économico-administratives désormais normatives comme si le management des écoles n’a pas aussi ses exigences. Il est fondamental de rappeler ici en terme de management que chaque école a sa personnalité et doit à ce titre assumer un véritable leadership pédagogique en d’autres termes avoir une vision claire de sa mission, une utilisation optimale des ressources, une exploration de divers modèles de gestion des établissements, etc.

Il est clair aussi que de telles dispositions doivent être absolument discutées avec les enseignants car le management des écoles, c’est aussi cette reconnaissance de la responsabilité pédagogique qui est corollaire de la reconnaissance du professionnalisme des enseignants gage de la reconnaissance du pouvoir qui doit leur être accordé dans l’exercice de leurs activités. Cette situation insoluble créée de toute pièce attend son épilogue. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

La situation des vacataires est aussi dramatique ; ces ‘‘ouvriers’’ de l’instruction (qu’il m’excuse du terme) passent l’année scolaire à dispenser des cours, des cours qu’ils nourrissent par leur mobilité rendue possible grâce aux crédits exorbitants contractés souvent au prix d’une humiliation. Ils doivent attendre une année souvent deux ans dans certaines facultés pour accéder au prix de ce qu’il convient d’appeler un esclavage moderne (nous ne pouvons pas comprendre pourquoi les enseignants assument des cours pendant des mois et attendent des semestres pour être payés). Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

Les différentes universités enfin connaissent des déficits énormes en termes de ressources humaines chargées d’assurer les enseignements. Nous pensons sincèrement qu’il faut purement et simplement verser la somme prévue pour les concertations au volet recrutement des enseignants, ce recrutement est la solution idoine aux heures supplémentaires. Depuis trois ans, la question du recrutement est restée aux calendes grecques. Il est regrettable de constater que des titulaires de doctorat ayant moins de 40 ans ne bénéficiant d’aucune mesure de fidélisation, attendent la moindre petite occasion pour partir. Les universités pourraient perdre à ce titre une réserve importante capable d’assurer la relève. Somme toute, il convient de souligner que le recrutement de 428 enseignants du supérieur en 2014 a été ramené à 132 au nom de la satisfaction des charges liées à la signature du protocole d’accord entre le gouvernement et le syndicat. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

Du comité de pilotage pour les concertations nationales pour l’avenir de l’enseignement supérieur
Il convient simplement de l’appeler comité de pilotage pour l’orientation de l’enseignement supérieur. Nous faisons confiance aux différents acteurs qui le constituent, et ce qui est appréciable c’est l’implication d’acteurs divers (public, privé, société civile), même si nous décrions la faible représentation des jeunes (ce que nous avons souligné publiquement). Il est urgent avec ce comité que le Ministère abandonne purement et simplement l’idée des concertations pour ne pas entraîner une « hémorragie financière » aux conséquences périlleuses.

Ce comité rencontre de plus en plus d’acteurs pour des échanges. Ce travail doit continuer et aboutir à la fin du mois d’avril (délai que nous fixons) à l’élaboration d’un document d’orientation. Le Département des Sciences de l’Education sera chargé de la validation technique de ce document qui sera ensuite soumis au ministre (Cela est un impératif car pour les questions éducatives, ce département n’est jamais consulté. Or il peut à travers ses cadres donner une trame technocratique aux visions d’ensemble). Cette démarche doit permettre au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique de ne pas organiser cette concertation.

A la longue, il faut arriver à la création du Conseil de Suivi et d’Evaluation de l’Enseignement Supérieur, un organisme permanent à partir duquel beaucoup d’actions seraient pensées, des recherches conduites pour surmonter les difficultés. Ce Conseil nous permettra de sortir du cycle infernal des concertations proches les unes des autres et éviter la cacophonie. Les concertations ne sont pas une priorité. Et le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique veut organiser encore des concertations….

Quelles issues

De façon explicite, il est impérieux aujourd’hui de s’inscrire dans un mode de management qui implique un pilotage logique c’est-à-dire des prises de décision macroscopique (système ou sous système) sur la base de constats aussi objectifs que possibles, relatifs à l’état de fonctionnement ou aux produits de l’enseignement supérieur. Il convoquera une collecte régulière d’informations, l’évaluation de ces informations et leur traduction en actions institutionnelles et exigera de ceux qui assument des responsabilités de rendre des comptes précis et intelligibles. Ce pilotage doit inclure une nécessité pédagogique qui est une invite au diagnostic correct des difficultés d’apprentissage en vue de rémediations éventuelles.
Le pilotage logique doit inclure aussi un développement organisationnel qui s’adosse sur un effort véritable de planification en vue d’accroître la santé et l’efficacité de nos établissements. Il faut que nous arrivions à la construction d’un répertoire de base qui permet désormais de mesurer l’efficacité de notre système à partir d’une appréciation de quatre paramètres à savoir la réalisation des buts, l’acquisition des ressources nécessaires, le fonctionnement harmonieux, la satisfaction des publics.

La planification stratégique sera enfin au cœur de ce pilotage. Elle s’avère incontournable en tant qu’instrument pouvant apporter une certaine cohérence dans le présent et une sécurité relative par rapport à l’avenir. Elle permettra à coup sûr de résoudre trois questions capitales : celle du présent et du futur ; du connu et de l’inconnu ; des besoins et des disponibilités en ressources humaines. Nous insistons sur ce point qui n’est plus une nouvelle donne au niveau de l’enseignement supérieur. Chaque établissement a aujourd’hui un plan stratégique. Il faut ici s’inscrire dans des actions à moyen et long terme pour se soustraire à jamais de l’amateurisme, de l’attentisme et de la pétrification. Aussi devons-nous reconnaître aujourd’hui qu’une des tares de l’enseignement supérieur, c’est le foisonnement de choix et stratégies managériales qui sont unijambistes car ne s’appuyant sur aucune approche objective ou élaborée dans une extrême précipitation par la grâce du décideur. Or si nous voulons réussir, il faut absolument s’inscrire dans le passé et y tirer des aspects positifs ; s’inscrire dans une vision incrémentale, privilégier les approches techniques et prendre du temps pour organiser des concertations et non des concertations pour des concertations afin que la gouvernance de l’enseignement supérieur ne soit pas être un éternel recommencement.

Idrissa Soïba TRAORE
Enseignant Chercheur
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)

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