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Fabrication de faux passeports : Deux policiers du protocole de la République aux arrêts
Publié le mardi 8 avril 2014  |  Le Procès Verbal




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Le tribunal de première Instance de la commune du 3 district de Bamako a examiné un dossier de fabrication de faux passeports par deux policiers du protocole de la République. Il s’agit de la dame Adam Sidibé, adjudant-chef de son état, et de Tiéblé Traoré, dont le grade n’a pas été précisé.
Arrêtés depuis le 6 janvier 2014, les deux policiers sont prévenus d’avoir frauduleusement fabriqué, en août 2013, deux passeports aux noms d’Aboubacar Diarra et de Bourama Diakité. Les prévenus étaient défendus, à la barre du tribunal, par Maître Abouba Aly Maïga, le banc du ministère public était occupé par Moussa Sissoko, substitut du procureur de la République. quant à l’Etat, partie civile, elle était représentée par Daouda Doumbia, agent du contentieux de l’Etat. Président du tribunal: Samba Sissoko. Plusieurs collègues des deux agents assistaient à l’audience.

Audition de la prévenue Adam Sidibé
Après avoir appelé les prévenus à la barre, le juge Samba Sissoko a lu les charges qui pesaient sur eux. A la question du juge de savoir s’ils reconnaissaient les faits qui leur étaient reprochés, ils ont répondu que non.

Prenant la parole, la prévenue Adam Sidibé s’explique: « Je suis agente au bureau de production au service des passeports du protocole de la République depuis 2011. Je collabore, dans ce service, avec Tiéblé Traoré et avons pour chef hiérarchique Bassinaly Koïta. Le mot de passe de la machine de production des passeports est à mon nom mais je le partage avec Tièblé. Malheureusement, ce mot de passe figure aussi sur une feuille que je garde dans mon tiroir. J’ai demandé, à plusieurs reprises, qu’on donne à Tiéblé son propre mot de passe mais je n’ai jamais été écoutée. Notre travail consiste uniquement à produire les passeports officiels des services et diplomatiques. Notre chef, Bassinaly, nous donne les formulaires de passeports à confectionner; le Secrétaire Général de la Présidence de la République donne son aval pour la confection et nous réalisons l’opération de fabrication. Les personnes qui ont droit aux passeports diplomatiques et aux passeports de service sont déterminées par un décret; après avoir fabriqué lesdits passeports, nous les remettons à Bassinaly. C’est lui qui les soumet à la signature avant de les délivrer aux bénéficiaires. Une fois, lors d’un déplacement en France, une de mes collègues m’a informée que Bassinaly était en train de s’initier au système de production des passeports avec l’aide d’un ingénieur du nom d’Alpha Maïga, notre informaticien. J’ai décrié cette initiative de Bassinaly. Donc, je décline toute responsabilité par rapport aux faux passeports produits, lesquels ne m’ont d’ailleurs jamais été montrés en original. ». Adam Sidibé souligne que n’étant chargés ni de faire signer ni de délivrer les passeports, elle et son compagnon d’infortune, Tiéblé, n’ont pu commettre le faux qu’on leur reprochait car ce faux a consisté à signer et à délivrer des passeports à des gens qui n’y avaient pas droit.


Version du prévenu Tiéblé Traoré
Le président du tribunal, en voulant donner la parole à Tièblé Traoré, l’appelle Tiéblé Dramé (du nom du président du parti PARENA), ce qui suscite l’hilarité générale. « Silence! », s’écrie le juge qui ne découvrira sa méprise que bien plus tard et se mettra alors à rigoler sous cape… Or donc, Tiéblé Traoré relate qu’il travaille au service des passeports du protocole depuis le 15 janvier 2013. Traoré poursuivra: « Le système de production des passeports n’est pas sécurisé. C’est à la sécurité d’Etat que nous avons vu la photocopie des passeports incriminés; jusqu’à ce jour, nous les avons pas vus en orignal. Nous avons dit à la Sécurité d’Etat que nous n’avions jamais confectionné ces passeports. Je partage avec Bassinaly le mot de passe d’Adam Sidibé; j’ai demandé à Bassinaly de me trouver un de passe différent. En vain. Nous sommes trois à détenir une clé de notre bureau commun. C’est à la Brigade d’Investigations Judiciaires de la police, où nous avons été conduits après notre arrestation, qu’on nous a fait savoir que les numéros des deux passeports incriminés seraient dans le lot des passeports rejetés et que les deux passeports ont été signés par le ministre intérimaire des Affaires Etrangères, Mamadou Namary Traoré. Je n’ai jamais confectionné des passeports au nom d’un Bourama Diakité et d’un Aboubacar ».


Déposition de Bassinaly Koïta
La parole est donnée à Bassinaly Koïta, chef du service de production des passeports au moment des faits mais promu aujourd’hui à la tête du département des immunités au protocole de la République. « En Octobre 2013, dit-il, l’Ambassade de Malte a saisi celle du Mali à Alger; celle-ci a, à son tour, saisi le ministère des Affaires Etrangères du Mali afin d’identifier les deux passeports incriminés. Mon service a été requis pour savoir si les deux passeports, au nom de Aboubacar Diarra et de Bourama Diakité, ont été produits par notre service. C’est ainsi que j’ai demandé à Adam Sidibé de vérifier dans la machine de production si les noms des bénéficiaires existaient. Après vérification, Adam m’a informé que les noms des bénéficiaires des passeports incriminés ne se trouvaient pas dans la machine. J’ai fait appel à l’ingénieur informaticien Maïga, celui-là même qui a installé la machine en tant que représentant d’une société canadienne liée par contrat au protocole de la République. Maiga, après une première vérification, m’a informé, en présence des prévenus, qu’il n’avait pas vu trace des noms figurant sur les deux passeports. Je lui ai demandé d’insister dans ses recherches. Pour moi, il était impérieux que le dossier aboutisse. La presse nous avait fait subir un sort au sujet de la cérémonie d’investiture de président de la République, cérémonie que les journalistes jugeaient mal organisée. Je voulais situer les responsabilités avant que cette affaire de passeports n’éclate dans la presse. Maiga décida de faire un audit complet de la machine. C’est ce qui lui a permis de découvrir que les numéros portés sur les deux passeports incriminés avaient été bel et bien passés dans la machine.Selon Maïga, la personne fautive a sorti une feuille de passeport pour aller l’imprimer ailleurs. Maïga a saisi la sécurité d’Etat qui est venue faire des investigations dans la salle de production. Elles ont permis de constater qu’il y avait un manquant dans le carnet de passeports et qui avait servi à fabriquer les passeports frauduleux. J’ai alors demandé à l’ambassade du Mali de nous envoyer les originaux des passeports incriminés, chose qui fut faite mais ces passeports originaux ont disparu! ».


* »L’audit de la machine fut-il effectué en présence des prévenus Adam et Tiéblé? », demande le juge. « Non », répond Bassinaly. Huées de l’assistance qui crie à la manipulation secrète de la machine ! « Détenez-vous le mot de passe de la machine et une clé du bureau de production au même titre qu’Adam et Tiéblé ? », s’enquiert le juge. « Non ! », affirme Bassinaly. Le juge, qui semble avoir en sainte horreur les services secrets, s’étonne que Bassinaly ait eu recours à la Sécurité d’Etat: « Il faut que les gens comprennent que la justice n’a rien à voir avec la sécurité d’Etat ! On n’est pas dans un Etat policier mais dans un Etat de droit. Il faut qu’on revienne à l’orthodoxie et qu’on arrête ces pratiques ! Trop c’est trop. ». Tonnerre d’applaudissements dans la salle. « Silence !, intime le magistrat; je ne suis pas là pour plaire à quelqu’un mais pour dire le droit, rien que le droit ! ». Le président du tribunal poursuit, en s’adressant à Bassinaly: » Alpha Maïga a-t-il la clé du bureau des passeports ? ». Bassinaly répond que non.

Déposition de Maiga
L’ingénieur informaticien Alpha Maïga, appelé à la barre, déclare: « Je suis le représentant d’une société canadienne ayant, depuis 1999, un contrat avec le Mali. Nous sommes chargés d’assurer le bon fonctionnement du système de passeports; nous livrons les carnets de passeports. Je n’ai que des rapports professionnels avec les prévenus. J’ai pris de mes mains les deux passeports incriminés. Ils sont arrivés à la direction de la police des frontières qui les a transmis à la direction du protocole de la République, laquelle me les a communiqués pour vérification et authentification. Je n’ai pu vérifier, à vue d’œil, l’authenticité des deux passeports; j’ai demandé de les transférer à la direction du protocole de la République. Le directeur du protocole m’a demandé de vérifier, au niveau du service de la production, si les traces des noms des bénéficiaires existaient. Je dispose de mon propre mot de passe; j’ai introduit dans la machine les noms des deux personnes figurant sur les passeports mais cela n’a rien donné. Il se trouve que dans notre système, une certaine option permet d’enregistrer tous les événements qui se sont produits dans la machine. C’est cette option qui m’a permis d’établir que les documents-mères des deux passeports incriminés ont été tirés de la machine du bureau de production des passeporrs. La Sécurité d’Etat a retrouvé le livret dont les deux passeports furent soustraits. Mes dernières vérifications n’ont pas été faites en présence des prévenus. »


*Passe d’armes entre conseils des parties
Les avocats des prévenus ont plaidé pour la relaxe de leurs clients au motif que ces derniers ne travaillent pas à un niveau où le passeport est fini et prêt à l’utilisation. Et même si un passeport est produit, les prévenus ne le font ni signer ni délivrer. D’où une absence matérielle d’infraction à leur charge. De plus, s’insurge un avocat, comment parler de faux en l’absence du document ainsi qualifié ?

Après 6 heures de débats (de 10 heures à 16 heures), la parole fut donnée au ministère public pour son réquisitoire. Il demande au tribunal qu’un supplément d’information soit ordonné pour la manifestation de la vérité car, à ses dires, Mamadou Namory Traoré, ancien ministre (le même qui a radié 217 fonctionnaires sous la Transition) et actuel conseiller du Premier Ministre, doit être entendu car c’est lui qui a signé les passeports. Le contentieux de l’Etat, représentant l’Etat, a abondé dans le même sens que le ministère public. Les avocats de la défense sont revenus à la charge pour demander que leurs clients soient libérés immédiatement au cas où un complément d’enquête serait ordonné. Le ministère public et le contentieux de l’Etat s’opposent à cette demande de liberté provisoire au motif qu’elle pourrait troubler l’ordre public.

Le juge se prononce
Le juge Samba Sissoko suspend l’audience pour délibérer. A 16 h 15 mn, il revient dans la salle; d’un ton solennel, il annonce le rejet des demandes de supplément d’information et de liberté provisoire formulées. Le ministère public soulève alors l’incompétence du tribunal car à ses yeux, les faits, tels que débattus, révèlent un crime de faux que seule une Cour d’Assises peut juger. D’autant qu’ils engagent des fonctionnaires de l’Etat. Les avocats des prévenus, quant à eux, rétorquent que contrairement a ce que prétend le ministère public, les faits ont trait à un faux délictuel et non à un faux criminel. Le juge mettra fin aux débats. Statuant sur le siège, il déclare le tribunal incompétent. A la grande satisfaction du ministère public.

Du coup, les prévenus voient leur sort aggravé puisqu’il leur faudra subir, tout en restant détenus, une poursuite de l’information judiciaire suivie d’un jugement en Cour d’Assises.
Grand mystère dans ce dossier, personne ne sait ce que sont devenus les passeports originaux: ils ne figurent ni dans le dossier du tribunal, ni ailleurs. Pourra-t-on condamner des citoyens sur la base de simples photocopies ?

Abdoulaye Koné

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