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Déversements abusifs de déchets dans le Niger : plus qu’un fleuve en péril
Publié le lundi 4 aout 2014  |  L’Essor




Bon nombre de villes de notre pays situées sur les rives du cours d’eau y drainent, à travers des réseaux d’égouts mal pensés, d’énormes quantités d’eaux usées domestiques et pluviales. A celles-ci s’ajoutent les décharges d’ordures de plus en plus nombreuses

Au Mali, le fleuve Niger est devenu un milieu récepteur de déversements abusifs de déchets aussi bien liquides que solides. Bon nombre de villes de notre pays, dont Bamako, situées sur les rives du Niger y drainent, à travers des réseaux d’égouts mal pensés, d’énormes quantités d’eaux usées domestiques et d’eaux pluviales. A celles-ci s’ajoutent les décharges d’ordures de plus en plus nombreuses. A titre d’exemple, une déplorable décharge d’ordures est actuellement visible dans le lit du fleuve Niger (avant d’être submergée par les crues) sur sa rive droite à l’opposé de la Cité administrative du Mali dans la ligne de mire même du flamboyant édifice de la Primature. Il est difficile d’emprunter le Pont Fahd en direction de l’Aéroport Bamako-Senou sans s’apercevoir de cette décharge sauvage alors que cette route constitue une vitrine importante du Mali. Cette décharge n’est en fait qu’une pointe visible de l’immense iceberg d’innombrables immondices qui ont pour site d’enfouissement les berges et le lit du Niger. Ces ordures de par leur nature constituent de sources majeures de pollution pour les eaux du Niger.

Elles sont constituées de matières organiques et inorganiques de toutes sortes dont la (bio)dégradation affecte considérablement la qualité des eaux du fleuve. Quant aux eaux pluviales pour une agglomération comme Bamako, elles sont tout au moins tout aussi polluantes pour le fleuve que les déchets solides. En effet, les pluies dans leurs chutes sur un centre urbain comme Bamako entrainent avec elles plusieurs gaz issus des pollutions d’échappement des transports et autres sources de pollutions urbaines de la micro-atmosphère enveloppant la ville. Parmi ces gaz on trouve du monoxyde de carbone (CO), des oxydes de soufre et d’azote (SOx et NOx), de chlorofluorocarbones (CFC) et autres composés organiques volatiles (COV) qui quoique se trouvant à des concentrations faibles sont des composés chimiques très toxiques pour la santé et les écosystèmes aquatiques. A ces gaz s’ajoutent les fuites et déversements d’hydrocarbures, d’huiles, de détergents, etc. et autres ordures qui jonchent le sol et qui sont drainés par ruissellement vers les égouts pour se retrouver sans aucun traitement dans les eaux du fleuve.

PLUS SUBTILE ET SOURNOISE. Les eaux usées domestiques sont quant à elles permanemment déversées dans le fleuve. Elles sont très chargées de nutriments comme le phosphore et l’azote et de matières en suspension organiques et inorganiques avec des colonies innombrables de bactéries et autres microorganismes souvent pathogènes. L’effet de l’écoulement continu des eaux usées domestiques est très perceptible rien qu’aux points de déversement des égouts dans le fleuve Niger. C’est le cas par exemple du collecteur débouchant entre le Pont des Martyrs et l’Hôtel Libya où les eaux en bordure de la berge sont d’une noirceur de bitume.

Et plus on s’éloigne de la berge dans le fleuve on observe le pullulement de plantes aquatiques qui couvrent la surface de l’eau sur une importante aire. Si cette pollution due aux eaux usées domestiques est plus que patente, celle due aux eaux pluviales et aux décharges d’ordures est plus subtile et sournoise. Les déchets solides dans leur dissolution et (bio)dégradation contribuent beaucoup à la déplétion de l’oxygène dissoute dans l’eau et donc à réduire la capacité d’autoépuration du fleuve qui dépend des concentrations de cette oxygène. Et une diminution même localisée de l’oxygène dissoute dans le fleuve entraine inévitablement une diminution significative de certaines espèces aquatiques comme les poissons, par exemple.

Pour ce qui est des contaminants provenant des eaux de pluie et de ruissellement, les effets de certains d’entre eux sont encore plus négatifs sur la santé et les espèces aquatiques. C’est le cas par exemple des composés chimiques issus des hydrocarbures, qui sont des micropolluants très stables et persistants qui peuvent s’accumuler dans les tissus des poissons, tortues et grenouilles, etc. et perturber certaines fonctions biologiques vitales comme le système endocrinien ou provoquer des cancers. De nombreuses études existent à travers le monde dans la littérature scientifique pour étayer l’existence de telles mutations biologiques sur d’espèces aquatiques dues aux micropolluants dans les eaux.

Il est important aussi de noter que les conséquences des déversements de déchets dans le fleuve ne se limitent pas à celles décrites ci-haut. Le fleuve Niger est une source importante d’eau potable pour la ville de Bamako et plusieurs autres agglomérations le long de son parcours. De ce fait, la détérioration de la qualité des eaux du Niger engendre des défis techniques et des surcoûts au traitement qu’il faut apporter à ces eaux afin d’assurer une potabilité acceptable avant leur distribution aux consommateurs. Pour de nombreux consommateurs qui utilisent les eaux brutes du Niger pour leur boisson, les risques sanitaires sont directs et inévitables. D’où la nécessité impérieuse de prévenir les pollutions anthropiques énormes des eaux du Niger. Il serait naïf et contraire au bon sens de penser que la seule capacité d’autoépuration du fleuve est gage de garantie pour maintenir la qualité de l’eau brute de ce fleuve pour nous et pour les générations futures! Nous assistons déjà à des niveaux élevés de dégradation graduelle et continue de la qualité des eaux de ce fleuve nourricier.

UN DEVOIR ET UNE OBLIGATION MORALE. Le fleuve Niger est un bien public précieux commun et essentiel à la survie de centaines de millions d’âmes reparties sur plusieurs pays dont il faille préserver l’intégrité autant que faire se peut. Chacun des pays dont les villes sont riveraines de ce fleuve a un devoir et une obligation morale d’engager des mesures conservatrices de réduction graduelle de pollution du Niger. Ces mesures consisteraient à adopter un plan stratégique d’assainissement adéquat des agglomérations riveraines du fleuve pour prévenir les décharges d’ordures sur les berges et dans le lit du fleuve comme celle à proximité du Pont Fahd à Bamako.

En outre, toutes les municipalités concernées doivent progressivement être dotées de réseaux d’égouts drainant préalablement leurs eaux usées vers des stations d’épuration avant leur rejet dans le milieu récepteur qu’est le fleuve. Pour le cas spécifique des grands centres urbains comme Bamako, il faut impérativement que les collecteurs d’eaux usées et pluviales actuels soient raccordés à des collecteurs principaux pour drainer toutes ces eaux polluantes vers des stations de traitement qu’il faut rapidement implanter. Les eaux traitées répondant ainsi à des normes de rejet environnementales pourraient ensuite être drainées dans le fleuve.

Ce qui permettrait de mettre fin aux déversements abusifs actuels de déchets dans le Niger qui met en péril ce fleuve à long-terme. En outre, la tendance à l’urbanisation galopante de Bamako et d’autres villes le long du Niger due à l’exode rural interne, au fort taux de croissance démographique et à la croissance économique des dernières années dans notre sous-région qui devrait se poursuivre sont des facteurs favorables à une production accrue de déchets dans nos villes. Plus que de mettre en péril ce fleuve, le déversement continue de ces déchets dans le Niger en l’état actuel posera de risques majeurs pour la santé publique et constituera une menace sérieuse à la qualité de l’environnement et à la survie des écosystèmes à moyen et long termes si une solution efficace et durable n’est pas trouvée pour inverser la situation actuelle.

Il est évident qu’une stratégie d’assainissement et de protection du fleuve Niger tel que suggérée ici est ambitieuse et serait considérablement dispendieuse. Cependant, il faudrait s’apercevoir aussi qu’une telle stratégie nécessiterait des investissements importants en construction d’infrastructures qui seraient pourvoyeurs d’emplois et qui contribueraient ainsi à faire tourner les économies locales des municipalités concernées. Les pays des agglomérations riveraines du fleuve Niger sont pourtant condamnés à entreprendre tôt ou tard une telle stratégie pour préserver durablement ce précieux don de la nature. Le faire plus tôt, mieux ce sera.
Sidy BA, ing, PhD
Enseignant-chercheur
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