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LA vague des réfugiés submerge Bamako
Publié le samedi 6 octobre 2012  |  Autre presse


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© Getty Images par DR
Actions Humanitaires: MSF au secours des réfugiés Maliens
3 mai 2012. Bassiknou, dans le sud de la Mauritanie, à 60 km de la frontière avec le Mali. Médecins sans Frontières (MSF) accueil dans son centre médical de M`bere en moyenne 1 000 réfugiés par jour.


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ABamako, lundi dernier, j’ai entendu Fatou (15 ans). Elle m’a expliqué qu’elle avait fui Tombouctou parce que des hommes, une nuit, avaient violé sa cousine (11 ans). J’ai entendu Aminata (16 ans) me raconter que ses parents l’avaient fait partir de Gao lorsqu’ils avaient eu vent de ce qu’on appelle là-bas « mariage » : on prend une toute jeune fille et chaque soir se présente un homme différent. J’ai rencontré Tierno (55 ans), profession chauffeur. Salaire : 100 euros. Il m’a emmené chez lui, près de l’aéroport. Fièrement, il m’a montré sa maison, résultat d’une vie de travail. Avant les « événements », il y vivait heureux avec sa femme et ses 6 enfants. Depuis mai, 28 membres de sa famille sont arrivés de Kidal. « J’ai dû acheter des matelas, j’emprunte pour le riz [10 kg chaque jour] et il me manque encore neuf moustiquaires. » D’après les derniers chiffres, 175 000 personnes ont fui à l’intérieur du pays. Et plus de 200 000 ont choisi la Mauritanie, l’Algérie, le Niger, le ­Burkina…

J’ai entendu au téléphone d’autres femmes restées dans les zones ­occupées. Non par choix mais parce qu’elles n’avaient aucun endroit où trouver ­refuge. Elles m’ont raconté ces jeunes interdits de musique, ces filles interdites de sport, cloîtrées chez elles. Elles m’ont raconté ces femmes bastonnées et d’autres menacées d’avoir leurs oreilles coupées pour avoir mal noué leur voile. Elles m’ont raconté la faim car le prix des aliments ne cesse de grimper. Elles m’ont raconté ces imams qui captent les livraisons humanitaires pour les redistribuer à leurs fidèles.

Une femme de Gao me répétait : « Moi, je vais augmenter. » Je l’ai fait plusieurs fois répéter. J’ai fini par comprendre. Elle voulait dire : « Notre souffrance est plus grande que ce que vous croyez. Il faut augmenter la dureté de ce que vous avez déjà entendu. » Quand vous savez la pudeur de ces femmes, votre cœur se serre.
J’ai entendu les représentants des organisations non gouvernementales. Elles n’envoient plus aucun Blanc là-haut. Ils seraient une cible trop facile. Elles travaillent avec leurs employés locaux. Qui se battent pour offrir aux populations un minimum dans ce grand vide de services publics.

Il était une fois le Mali uni, aujourd’hui peau de chagrin. Quand je pense que je l’ai dix fois arpenté, de Tombouctou à Tessalit, et que je n’ai même pas la possibilité d’aller embrasser mes amis de Ségou… Mondialisation, peut-être. Mais une liberté d’aller qui, chaque jour, se réduit. L’Afghanistan ? Fermé. Le ­Cachemire ? Fermé. Le si beau Yémen ? Fermé. La Somalie ? Fermée… On sait qu’en mars dernier, des militaires ont renversé un président discrédité par toutes sortes de complaisances. Depuis, en attendant d’improbables élections, le pouvoir se partage entre des autorités intérimaires (plutôt satisfaites de se retrouver là et pas très pressées de passer la main) et des soldats toujours prêts à ressortir de leurs casernes. Et pourtant…

LES LIVRAISONSALIMENTAIRES POUR LES SEULS FIDÈLES

Sous ce sommet désagrégé, j’ai pu constater que certains ministres et l’administration continuaient leur travail, vaillamment, malgré des moyens chaque jour déclinants. Une fois de plus, j’ai admiré la formidable énergie de la société malienne. Les grandes entreprises peinent, les hôtels ferment, mais l’activité informelle vibrionne, plus ­vivante que jamais. Le pays souffre, le pays s’angoisse mais rien n’est plus faux que de le croire arrêté. Il se bat deux fois. En sus des défis habituels du sous-développement, il lui faut aussi faire face à l’afflux des déplacés. Alors que l’abandonnent de nombreux partenaires habituels… Plus la crise est forte, plus les faibles trinquent. Je veux parler des enfants et des femmes, dont les destins sont liés et pour lesquels, chaque jour, se bat l’Unicef. Sur le terrain, j’ai pu admirer le travail des équipes, d’autant plus efficace qu’il est partout coordonné avec les autres acteurs. Il faut que vous sachiez que la mobilisation est générale, que toute aide serait la bienvenue et qu’elle serait pleinement utilisée. Les communautés locales prennent en main leur destin, aidées par les ONG et appuyées par les agences des Nations unies. Finies les compétitions stériles !

On se mobilise contre la malnutrition des tout-petits (56 000 enfants ­malnutris sévères pris en charge depuis le début de l’année). On se mobilise contre le paludisme. Dans le gros village de Kela (4 000 habitants), patrie des griots ­depuis le fond des âges, j’ai rencontré Aïssata, une toute jeune assistante de santé (20 ans). C’est elle qui reçoit les bambins fiévreux, elle qui diagnostique, elle qui oriente vers les hôpitaux. Au Mali, les fièvres palustres représentent 30 % des consultations médicales et continuent de tuer massivement les enfants. On se mobilise pour l’éducation. Fatou et Aminata ainsi que 350 autres jeunes réfugiés ont été ­accueillis comme internes par le lycée de ­Niamakoro pour qu’ils continuent leurs études et passent leurs examens. Imaginez ce que représente, dans leur vie devenue un cauchemar, la perspective de pouvoir, un jour, s’en sortir. J’ai vu les laboratoires de physique-chimie transformés en dortoirs. J’ai vu les habitants du quartier apporter la nourriture du déjeuner. Le proviseur n’a aucun budget pour nourrir ces élèves supplémentaires. Chaque jour il s’en va quémander de l’huile et du riz. Ses élèves révisent chaque soir jusqu’à 23 heures. Croyez-moi : il n’est pas besoin de stimuler leur ardeur. Tous les enseignants sont bénévoles. Certains sont eux-mêmes des réfugiés. Comment le visiteur ne serait-il pas bouleversé par le déploiement de toutes ces bonnes volontés alliées à ­autant de compétences ? En même temps, il ne peut pas ne pas songer aux deux grands non-dits de l’histoire. On aura beau faire, et suer sang et eau, et continuer de réunir tous les dévouements si ne s’améliore pas le statut de la femme et si l’on ne parvient pas à maîtriser la démographie…

Vous suivez les négociations en cours ? Avez-vous pu y noter la moindre présence féminine ? Si un accord finit par naître, accouché au forceps, il y a fort à parier qu’il se paiera par un recul du droit des femmes. Quant à la croissance folle de la ­population sahélienne, savez-vous qu’elle ne faiblit pas ? Toujours 6,7 enfants par femme en moyenne. Ici n’a pas cours la fameuse « transition », celle qui nourrit si bien l’optimisme des démographes, celle qui montre qu’ailleurs se calme le rythme des naissances. Une fois de plus la colère m’est venue contre ceux qui refusent de voir l’évidence, et contre ceux qui chantent le respect de la vie en se faisant les complices de la politique du pire. Seules cinq villes dans le monde croissent plus vite que Bamako. Elle compte aujourd’hui 2,7 millions habitants. Ils seront 6 millions en 2030. Qu’avons-nous à offrir à cette ­jeunesse ? Les islamistes du Nord ont une ­réponse. Ils recrutent à tour de bras pour agrandir leurs milices. Salaire ­offert : 200 000 francs CFA mensuels si vous êtes célibataire ; 300 000 pour les mariés. Avec en bonus pour chacun une moto chinoise.

IMPOSER LA CHARIA AUX PEUPLES

Je ne reviens pas du Mali avec des bonnes nouvelles. Dans cette nébuleuse qu’on ­appelle Al-Qaïda, les Maliens sont ­rarement majoritaires, du moins dans les équipes dirigeantes. Nombreux sont les Algériens, les Tchadiens, les Mauritaniens et bien d’autres ressortissants de toutes sortes de pays plus ou moins lointains.
Ces groupes disposent de beaucoup d’argent, qui ne peut venir seulement de trafics, toujours aléatoires (drogue, armes, enlèvements). Il faut que des bailleurs de fonds les financent, avec générosité et régularité. Ces mêmes bailleurs que nous accueillons chez nous à bras ouverts, sans nous ­inquiéter d’ailleurs de ce double, triple ou quadruple jeu. A l’évidence, un espace islamiste est en train de se constituer au sud du Sahara. Il se renforce chaque jour. Une base logistique bien utile pour tous ceux qui n’auront de cesse d’orienter vers l’intégrisme le printemps arabe et d’imposer la charia aux peuples à peine sortis des dictatures.
A une soixantaine de kilomètres de Bamako, Koulikoro est, sur le fleuve Niger, le port d’où l’on peut s’embarquer pour le nord. En amont, des rapides interdisent la navigation. Combien de fois ai-je pris le gros bateau « Tombouctou » pour rejoindre Mopti et Gao ? Je l’ai retrouvé à quai, interdit de mouvement. Jusqu’à ce que la paix revienne, m’a dit un responsable. Bien sûr quelques pinasses circulent, mais le fleuve reste le plus souvent vide. Or le Niger, c’est le lien, c’est la vie dans le désert, c’est le Mali.

N’abandonnons pas le pays d’Amadou Hampâté Bâ. Ce pays tissé d’huma­nisme et d’humour. Ce pays où la compagnie nationale des chemins de fer, consciente du retard fréquent de ses trains, avait ouvert à Bamako un Buffet de la gare devenu vite haut lieu de concerts et légendaire pour les musiciens qu’il accueillait, de Mory Kanté à Salif Keita. Si bien qu’on regrettait le moment où la locomotive finissait par arriver… Il était une fois, au cœur de l’Afrique, héritière d’empires plus vastes que la France, la nation malienne. Un peuple de haute culture, un peuple élevé dans le respect et la dignité. Un peuple qui a dans son génie propre mieux que la tolérance : l’ouverture à l’autre. Il était une fois le Mali. Il faut que vous sachiez comme ce pays souffre. Il faut que vous sachiez que ce pays est menacé, ainsi que toute la région, et que cette menace nous concerne. Si ce verrou cède, je ne donne pas cher de l’âme de l’Afrique.

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