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Zone sahélo-saharienne : Les organisations criminelles et religieuses supplantent les états
Publié le vendredi 10 avril 2015  |  L’Essor




Du fait de leurs capacités de plus en plus faibles à s’imposer comme des acteurs positifs du développement, les pouvoirs centraux ont laissé prospérer des dynamiques locales qui leur échappent.

La « Conflict Research Unit » de l’institut Clingendael de relations internationales a organisé la semaine dernière un séminaire sur le thème de la sécurité et de la stabilisation dans l’espace sahélo-saharien. Cette rencontre a réuni des chercheurs originaires de sept pays de la sous-région ainsi que des élus locaux, des représentants de la société civile, d’organisations internationales (MINUSMA, PNUD, DUE, EUCAP) et de l’ambassade des Pays-Bas. Au total, plus d’une quarantaine de participants ont discuté des voies de la stabilisation au Mali et dans les autres pays de la région sahélienne.

Ces spécialistes ont exploré de nombreuses pistes de réflexion et conclu qu’au-delà d’une meilleure coordination des stratégies internationales, l’effort doit porter sur l’appropriation locale des programmes, le rétablissement de la confiance entre l’Etat central et ses périphéries car l’implication des communautés locales est au cœur de la réussite des projets de développement et de stabilisation régionale.

Pour les chercheurs, les effets de l’accord de paix au Mali sur la situation sécuritaire pourraient être limités dans l’immédiat. L’une des principales vertus du processus politique actuel serait de séparer « le bon grain de l’ivraie » et de poser un cadre global de discussions. Les questions les plus litigieuses, notamment celles du désarmement des groupes armés et de la lutte contre les flux illicites transfrontaliers (drogue, armes légères et de petits calibres), devront faire l’objet de débats ultérieurs. En l’absence de confiance entre les parties, la question du désarmement des groupes apparaît à moyen terme comme l’un des points les plus problématiques de la normalisation.

Un accord rapide ne constituerait par conséquent que la première étape d’un processus plus long de stabilisation. Dans l’intervalle, le risque principal pourrait concerner l’aggravation de la menace sécuritaire avec l’apparition de nouveaux groupes armés, comme depuis janvier 2015 avec la création du Front de libération du Macina.

INFLUENCE DES ORGANISATIONS ISLAMIQUES.

Les participants ont aussi attiré l’attention sur la nécessité pour les « stratégies Sahel » d’anticiper l’évolution de leur environnement d’application, particulièrement au plan religieux. Depuis les années 1970, la multiplication des activités de prédications dans la zone a en effet sensiblement modifié la nature de l’« Islam africain ». Utilisant les axes ancestraux de communication entre le Sahel et les régions du Mashreq-Moyen Orient, des organisations islamiques étrangères sont parvenues à créer de nouveaux cadres de socialisation qui se sont progressivement substitués à l’Etat (éducation religieuse, assistance humanitaire aux populations). Cette tendance a, par ailleurs, été accentuée à la faveur des plans d’ajustement structurel des années 1980 qui ont contribué à une diminution significative des capacités de redistribution des Etats et à un accroissement d’influence des organisations islamiques. En 2009, par exemple, au Mali, ces organisations auraient joué un rôle de premier plan dans la mobilisation contre le projet de code de la famille (location de matériels, bus climatisés pour le transport des manifestants à travers le pays, etc.). Certaines organisations pourraient aussi jouer un rôle dans le financement de certains groupes armés, en prenant par exemple à leur charge une partie du salaire des combattants.

La question de la place du fait religieux dans le Mali post-crise a été posée, à la lumière notamment de l’influence politique actuelle des mouvements salafistes et de la volonté supposée d’un nombre croissant de groupes d’introduire dans le débat public la question d’une application de la Sharia.

ETATS FAIBLES. La situation est d’autant plus inquiétante que les moyens mobilisables par les Etats de la région apparaissent trop faibles pour concurrencer les capacités d’attraction d’autres mouvements et pour diminuer efficacement les incitatifs de l’instabilité. Au-delà des seuls trafics, qui permettent à leurs auteurs de s’assurer de très confortables revenus et aux simples intermédiaires de bénéficier d’avantages en nature significatifs (marchandises ou véhicules), d’autres bénéfices peuvent également être retirés de l’instabilité actuelle.

Ainsi, un renseignement exploitable contre des unités de la MINUSMA ou de Barkhane serait rétribué près de 500 000 Fcfa auprès des mouvements armés. La pose d’une mine, elle, serait négociée plus de 1 million de Fcfa. Et 20 millions de Fcfa seraient promis en récompense de la remise d’un otage de valeur. Face à cet « afflux » d’argent facile, les collectivités territoriales et les Etats centraux ne disposeraient que de très faibles moyens, ne leur permettant ni de contrôler ces trafics ni d’en limiter l’influence auprès des populations les plus vulnérables, les jeunes principalement.

Parmi les autres facteurs aggravant de ces trafics, le très faible taux de bancarisation au niveau régional – 4 à 5% seulement – encouragerait une part significative du « commerce » informel.
L’Etat central au Sahel reste encore trop souvent dépassé et contourné par des dynamiques locales qui lui échappent. Trop faible pour s’imposer comme un acteur positif du développement, l’Etat est aussi régulièrement accusé de marginaliser politiquement ses communautés. Ces disparités ont contribué à alimenter une profonde crise de confiance entre les institutions centrales et les populations.

Quelles solutions ? A cette question, les chercheurs ont préconisé, parmi les pistes les plus couramment avancées, celle de la décentralisation. Celle-ci apparait susceptible, d’une part, de renforcer les liens « centre-périphéries » et, d’autre part, d’accompagner la présence de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. Dans ce cadre, les questions de gouvernance locale, de transfert de ressources et de délivrance de biens et de services publics occupent une place centrale.

Les chercheurs ont proposé aussi la stabilisation « par le bas » qui consiste à mettre en place des approches locales d’accompagnement qui insistent principalement sur les populations des zones septentrionales, l’économie locale et les projets transfrontaliers. La priorité doit, aujourd’hui, être de redonner à ces communautés une place centrale. La corruption des élites, la marginalisation économique des régions septentrionales, l’absence d’implication des communautés à la base et le manque de réflexion stratégique au niveau local ont jusqu’à présent contribué à nourrir les fragilités régionales et faire le lit de la criminalisation (recherche de ressources alternatives en l’absence de projet national viable).

A. DIARRA
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