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Des femmes racontent l’horreur de l’occupation djihadiste à Tombouctou
Publié le mardi 19 mai 2015  |  Challenges.fr




EXCLUSIF Un rapport de la FIDH, qui a enquêté sur les exactions des djihadistes à Tombouctou entre 2012 et 2013, reprend plusieurs témoignages saisissants de maliennes victimes des terroristes.
Nous sommes le 1er avril 2012. Il est 6 heures du matin. Les milices arabes de la ville de Tombouctou prennent la ville aux Forces armées maliennes (FAMA) et la livrent aux Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui s’en font chasser le lendemain par les djihadistes d’Ansar Dine et d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Ces derniers vont soumettre pendant plus de dix mois les populations à un régime de terreur basé sur la charia. Ils mettent en place des institutions islamiques, dirigées par des natifs de Tombouctou, chargées de faire appliquer la loi islamique. Il faudra attendre le 28 janvier 2013, pour voir ces institutions tomber, deux semaines après le début de l’intervention militaire française au Mali.
Sept organisations de défense des droits de l’homme ont déposé le 6 mars 2015, auprès du tribunal de Bamako, une plainte visant 15 auteurs présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour des actes commis durant cette période de chaos. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui a enquêté sur les exactions des djihadistes entre 2012 et 2013, reprend dans un rapport, plusieurs témoignages saisissants de femmes victimes des terroristes. Récit de ces dix mois d’horreur.
Aminata*, 16 ans
"C'était en octobre 2012, un samedi. J'étais dans la rue pour chercher de la viande, vers 16h-17h et j'étais en robe, avec un foulard, mais sans porter le voile. J’ai vu passer une voiture rouge. Elle a fait demi-tour et là des hommes m’ont abordé. L’un était au volant et deux hommes étaient à l’arrière du véhicule. Le conducteur leur a dit qu’il fallait me prendre car j'étais mal habillée. Moi j'ai répondu que j'avais juste enlevé mon voile pour aller acheter de la viande. Mais le conducteur a dit aux autres de me prendre quand même et de me mettre dans la voiture.
Ils m’ont amené dans un endroit qu’ils appelaient la «prison des femmes». C'était un hôtel qui s'appelait «La Maison» situé à côté de la Mosquée d'Abardjou. Ils m'ont mise dans une chambre dans laquelle j'ai trouvé trois femmes. L'une d'entre elle avait même un bébé. Cette femme était partie aussi chercher quelque chose pour le bébé et elle avait été arrêtée.
Je suis arrivée là-bas à 17h et j’y ai passé la nuit. La pièce était chaude, l'odeur était horrible, on sentait les excréments. Les hommes étaient en turban, ils nous taquinaient, nous provoquaient et cherchaient à nous amener dans une autre chambre. On les repoussait et alors ils nous menaçaient avec les armes. Vers 22h, un homme a voulu m'emmener. Il m'a donné six coups de fouet. Il m'a frappé. Il est sorti (le rapport de la FIDH précise que lors de son audition cette femme n'a pas réellement avoué qu'elle avait été violée mais que l'ensemble des éléments factuels et corporels laissent penser le contraire). Je n’ai pas mangé. Le lendemain vers 10h, on nous a donné du lait. Je suis parti à 16h. Le conducteur est alors venu devant la porte de la chambre et a dit : «ça c'est une leçon pour vous toutes. Nous on n’aime pas celles qui ne respectent pas les règles. Gare à vous si ça se reproduit»".
Fanta*, 17 ans
"Un jour, je vendais du riz local dans la rue. J'ai été poursuivie par une voiture et j'ai tenté de m'enfuir en entrant dans une maison. Ils sont entrés dans la maison pour me chercher et ensuite ils m'ont prise. Ils m'ont demandé si j'étais seule ou avec quelqu'un d'autre. Ils étaient presque 10 hommes en armes dans le véhicule. Ils m'ont ensuite emmené au commissariat islamique. Là-bas, ils m'ont gardé deux nuits. Ils m'ont marié de force avec un combattant. Ils sont venus nombreux durant la nuit pour venir me dire que j'allais être mariée. Pendant ce temps-là, d'autres sont allés voir ma famille pour les menacer et arranger mon mariage. Si je n'acceptais pas le mariage et que mon père ne donnait pas son consentement, ils ont dit qu’ils nous tueraient tous.
J'ai donc été mariée de force le deuxième jour avec un combattant armé dont je ne connaissais pas le nom mais qui avait un teint clair. Il parlait tamacheq (nom que les Touaregs donnent à leur langue, Ndlr). Cela a duré un mois environ. On vivait dans un endroit avec d’autres hommes. J'ai eu des relations sexuelles non consenties avec lui. Il venait tout le temps, jour et nuit, pour cela. Je suis même tombée enceinte mais l'enfant n'a pas été gardé. Un jour, il est parti et il n'est plus revenu. Il était déjà parti quand je suis tombée enceinte.
Pendant tout ce temps, il m'a frappé violemment et souvent. Il me donnait des coups de pieds ou des coups de poings. Il me frappait tout le temps et en particulier quand j'essayais de ne pas avoir de relations sexuelles avec lui. Mais les amis de «mon mari» venaient également me voir et me violaient. Ils me violaient tous ensemble, parfois ils étaient cinq."
Anata*, 20 ans
"C'était fin 2012. Une nuit, j’étais chez moi. Trois hommes sont entrés. Ils voulaient me marier. Je leur ai dit que je ne voulais pas mais ils m’ont répondu que si je refusais, ils m’emmèneraient au tribunal islamique où le procureur me marierait de force. Ils m’ont dit qu’il fallait que je réfléchisse et qu’ils reviendraient le lendemain. Le lendemain soir, ils sont revenus, j’ai dit que ne voulais pas mais ils m’ont encore menacé et j’ai accepté.
On vivait dans une case détruite. Après trois mois, mon «mari» est parti et je me suis rendu compte que j'étais enceinte. De cette grossesse, j'ai eu un petit garçon qui est né en février 2013. Il a deux ans maintenant. J'ai accouché quelques jours après la libération de Tomboutctou."
* Les prénoms ont été volontairement modifiés

Par Antoine Izambard
Source: Challenges.fr
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