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L’avenir politique au Mali : L’alerte
Publié le mardi 14 juillet 2015  |  L’Essor
Cérémonie
© aBamako.com par Androuicha
Cérémonie de pose de la première pierre de l`hôtel Sheraton Bamako
Bamako, le 25 juin 2015. Le président Ibrahim Boubacar Keita a procédé à la pose de la première pierre de l`hôtel Sheraton Bamako du Groupe KOIRA HOTEL Investment.




Depuis 2012, notre pays a été victime d’actions perpétrées par quatre organisations djihadistes différentes. Et fait face à une situation qui se complexifie
Eviter la dramatisation outrancière, mais se garder de la négligence coupable. Ne rien faire qui renforcerait inutilement la psychose déjà bien présente, mais rappeler encore et toujours aux citoyens la nécessité d’entretenir une vigilance vraie. Mettre en garde contre la stigmatisation précipitée, mais demeurer attentif aux plus infimes des alertes. Dans la lutte contre le terrorisme, les préconisations élémentaires tombent quasiment sous le sens. Mais la recherche de l’efficacité dans leur application oblige à un exercice d’équilibre quasi permanent entre la réponse sécuritaire brute et un travail d’analyse continu sur le phénomène pour en comprendre aussi bien les racines nouvelles que les dernières manifestations.
Car le terrorisme a considérablement mué ces dernières années en exploitant au mieux l’affaiblissement des Etats dans lesquels il a installé des bases, en s’insinuant dans les failles des sociétés d’où il extrait ses nouveaux adeptes, en détournant habilement pour les mettre à son service les plus récentes technologies de l’information et les codes de communication les plus modernes. Il a simultanément accru la solidité de ses implantations, accentué l’impact médiatique de ses actions et malheureusement renforcé dans bien des pays l’attraction qu’il exerce sur certaines catégories de populations. Alors qu’il s’appuyait au départ sur des groupes extrêmement réduits, il est passé depuis le 29 juin 2014 dans une dimension inédite avec la proclamation de l’Etat islamique, entité jusque là inconnue dans la nébuleuse des groupes armés djihadistes.
L’installation de l’EI au coeur d’une sinistre actualité a eu pour effet principal de radicaliser encore plus les actions djihadistes. Daech par les objectifs qu’il a atteints exerce aujourd’hui un leadership quasi planétaire que n’avait jamais acquis Al Qaida. Ses « résultats » le prédisposent à ce rôle. Il administre un vaste territoire de 300.000 kilomètres carrés conquis aux dépens de l’Irak et de la Syrie. Il s’est doté d’une organisation et d’un armement militaires qui lui ont fait abandonner les escarmouches de la guerre asymétrique pour prendre le dessus sur les troupes régulières syriennes et irakiennes. Et donnée qui a son importance, il dispose d’une assise financière non négligeable qui repose moins sur le pillage des cités conquises que sur la vente de « son » pétrole à des acquéreurs peu regardants. L’EI a donc acquis la légitimité d’orienter le combat des organisations qui se reconnaissent dans ses objectifs et dans ses méthodes. Ce dont il ne s’est pas privé. Avant le début de la présente période de Ramadan, son porte-parole officiel avait donné la consigne de faire du mois sacré « un mois de malheur pour les mécréants ».
UNE POSTURE ÉLÉMENTAIRE
L’appel a été entendu si l’on en juge par le déferlement de violence qui en Afrique s’est abattu sur le Nigéria, le Tchad, la Somalie, la Tunisie et l’Egypte. Les pays n’ont pas été choisis au hasard. Les djihadistes ont déployé au maximum leur puissance pour défier des présidents Buhari, Déby et Al-Sissi qui soit font preuve d’une extrême détermination dans la lutte contre le terrorisme, soit ont clairement annoncé leur ferme volonté de s’y impliquer. En Somalie, Al Shabab en prenant d’assaut le camp d’un contingent burundais avait voulu battre en brèche le constat généralement dressé de l’affaiblissement de cette organisation à qui l’AMISOM a l’an passé infligé une série de revers significatifs. En Tunisie, une sanglante mise en garde a traumatisé un pays qui a globalement réussi sa transition démocratique et pour qui la reprise des activités touristiques symbolisait le retour d’une certaine normalité.
Dans tous ces cas, le but recherché était le même. Dans son ouvrage « L’empire de la peur – Terrorisme, guerre, démocratie » publié en 2003 dans l’immédiat après 11 Septembre, Benjamin Barber, qui avait été conseiller du président Clinton, insistait sur le fait que « la peur est la seule arme du terrorisme » et que « le travail essentiel du terroriste (comme celui d’un agent infectieux) se borne à déclencher la contagion ». Le jugement de base garde sa valeur, mais les événements d’aujourd’hui montrent bien que les mouvements terroristes ont dépassé la posture élémentaire que leur prêtait l’analyste américain. Car Al Qaida avait, elle aussi, théorisé sur l’usage de la terreur dans un ouvrage intitulé « L’administration de la sauvagerie », produit entre 2002 et 2004 par un de ses membres identifié sous le pseudonyme de Abu Bakr Naji et destiné au départ aux cadres de l’organisation Al Qaida dans la péninsule arabique.
L’hebdomadaire français « L’Obs », qui y consacre un très instructif article, indique que Daech s’est approprié ce document. Celui-ci, très en avance sur l’actualité de l’époque, sert aujourd’hui de « feuille de route » au responsables de l’Etat islamique. Abu Bakr Naji développe en effet dans son livre le concept de « territorialisation » du djihadisme, donc de l’édification d’un califat. Mais surtout, il décrit avec un luxe de précisions les étapes à suivre et les méthodes à employer pour atteindre ce but.
Il préconise notamment « l’épuisement et la démoralisation » de l’ennemi en répandant dans le cœur de celui-ci « une terreur qui n’aura pas de fin ». Le combat prendra la forme d’un harcèlement continu et intégrera une montée en puissance de la violence. Le document insiste tout particulièrement sur l’usage de l’arme de la communication et il définit « la dimension médiatique » du combat comme « une colonne vertébrale » dont il faut prendre soin.
Abu Bakr Naji attire aussi l’attention sur l’exploitation par les djihadistes des divisions existant au sein des populations qu’ils veulent soumettre et sur la captation en priorité de la jeunesse. Dans la gestion des populations du califat, le document propose un traitement duel qui allie d’un côté, la fourniture de prestations sociales de qualité et de l’autre, l’application de châtiments traumatisants en cas de tentative de résistance. Les faits montrent que Daech applique systématiquement les préconisations de « l’Administration de la sauvagerie ». Dans les territoires qu’il occupe, les exécutions les plus barbares se sont enchaînées aussi bien sur les otages et les prisonniers militaires que sur les populations jugées récalcitrantes. Toujours avec la même volonté : en frappant d’effroi les esprits, les djihadistes sapent l’aptitude au combat des troupes régulières sommairement formées qui les affrontent et réduisent la résistance des populations mises sous occupation.
L’INFLUENCE TRANSVERSALE DE L’EI
Les spécialistes du terrorisme avaient nettement exclus, il y a quelques mois, une vraie coordination d’action entre les djihadistes d’Afrique et ceux de l’Etat islamique, malgré l’allégeance déclarée de Boko Haram envers Daech. A notre avis, le jugement est à nuancer. L’EI, qui est toujours investi dans son projet d’expansion moyen-oriental, se satisfait surtout d’inspirer d’autres mouvements. Ceux-ci répliquent ouvertement ses méthodes et adoptent ses mots d’ordre.
Boko Haram, qui se signalait déjà par ses méthodes particulièrement sanguinaires, a franchi au cours de ce mois de Ramadan un degré supplémentaire dans la barbarie. Comme en témoigne le chiffre effroyable de 200 morts au Nigéria en trois jours entre le mercredi 1er et le vendredi 3 juillet. Comme en témoignent les tueries froidement perpétrées à l’heure de la rupture du jeûne, à un moment où les fidèles abdiquent de toute méfiance. Comme en témoigne le scénario inimaginable mis en œuvre dans la localité de Zabarmari dans l’Etat du Bornéo et qui consistait à envoyer des femmes kamikaze actionner leur ceinture d’explosifs au milieu de la colonne des femmes et des enfants qui s’enfuyaient du village attaqué.
Jamais sans doute, la terreur n’a frappé dans telles proportions et avec une telle intensité sur le continent africain au cours d’un mois de Ramadan. Les événements soulignent une terrible réalité. L’Afrique a vu s’installer sur son sol un nombre d’organisations extrémistes identifiées (10) supérieur à celui opérant dans le Moyen-Orient (7). Autre spécificité qui nous concerne directement ou indirectement, la proximité géographique des implantations extrémistes. Si on excepte les lointains Al Shabab (en Somalie) et Ansar Beit al-Meiqness (dans le Sinaï égyptien), quatre organisations ont choisi la région ouest africaine comme terrain d’opération (Boko Haram et Ansaru au Nigéria, le MUJAO et Ançar Dine sur nos terres) et quatre ont essaimé dans le Maghreb et le Sahel (Ançar el Charia en Libye et en Tunisie, Al Qaida au Maghreb islamique et Al-Mourabitoun en Algérie, au Mali et en Mauritanie). Cela sans tenir compte de l’influence transversale qu’exerce l’EI sur certaines des organisations citées et sur un essaim de francs-tireurs.
Un rapide recoupement permet de relever que depuis 2012 notre pays a été victime d’attentats ou d’attaques commis par quatre organisations terroristes différentes. Il faut ajouter à ce constat le fait que la fréquence des agressions a singulièrement augmenté depuis novembre de l’année dernière.
GUÈRE PORTÉ SUR LA RODOMONTADE
De plus, le champ d’action des agresseurs longtemps concentré dans le Septentrion s’est élargi à la Région de Sikasso et se manifeste à nouveau dans des zones antérieurement infestées, celles de Mopti et du Sahel occidental. Autant de réalités qui justifient largement que le gouvernement prête une attention particulière à la montée de l’insécurité. Surtout après que la menace immédiate ait pris le visage de Iyad Ag Ghaly. Dans un communiqué envoyé à l’agence mauritanienne Al-Akhbar, ce dernier se déclarait la semaine dernière « en guerre permanente contre les ennemis de l’Islam » jusqu’à l’imposition de la Charia et annonçait vouloir empêcher l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation.
Le leader d’Ançar Dine est connu pour n’être guère porté sur la rodomontade. L’on peut donc imaginer qu’il a tiré les conséquences de l’isolement dans lequel le place le processus de paix et qu’il a clairement défini la stratégie qu’il compte suivre désormais. Celle-ci ne peut être qu’une tentative d’escalade qui, selon ce qui est annoncé, visera d’abord les FAMas et les forces onusiennes, mais qui ne s’interdira certainement pas de semer l’angoisse dans les populations civiles.
La menace d’une recrudescence de l’insécurité pour notre pays se précise donc, mais ses manifestations antérieures avaient déjà été des plus éloquentes. Elles n’ont pourtant pas été estimées à leur réelle gravité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Celui-ci n’a, en effet, partagé ni les alarmes exprimées par le gouvernement malien, ni l’analyse faite par le commandement des forces onusiennes au Mali. Il a estimé que la tâche principale de la MINUSMA consisterait dans l’année à venir à appuyer et à accompagner la mise en œuvre du processus de paix. Personne ne conteste ni l’importance, ni la complexité de ce qui être engagé en faveur du retour à la normale. Mais bien des efforts pourraient être compromis par un regain d’activité des terroristes. Or neutraliser les desseins de ces derniers demande que les troupes onusiennes aient, en cas de nécessité, la capacité d’appuyer les forces maliennes, au moins dans la protection des populations.
La menace rend aussi plus impératifs que jamais des progrès dans les discussions préliminaires sur la mise en œuvre de l’Accord de paix. Les complications byzantines au sein du Comité de suivi tranchent de plus en plus nettement avec l’aspiration à la sécurité et à la paix qui monte très fort du pays profond. Celui-ci a été littéralement essoré par trois années de vie en pointillé. Il sait que le temps des épreuves est loin d’être révolu. Mais il ressent une profonde lassitude de ne pas voir disparaître les incertitudes anciennes alors que pointent les nouvelles.
G. DRABO
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L’Essor N° 17187 du 17/5/2012

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