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Démolition de 60 bâtiments: La vérité sur une tragédie
Publié le mardi 4 aout 2015  |  Le Procès Verbal
Abdoulaye
© aBamako.com par mouhamar
Abdoulaye Diop échange avec les ambassadeurs des pays membres du conseil de sécurité
Bamako, le 15 Août 2014. Le ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et de la Coopération internationale, SEM. Abdoulaye Diop a échangé ce vendredi, avec les ambassadeurs des pays membres du conseil de sécurité, sur le processus de négociation d`Alger et le Crash du vol d`Air Algérie au Mali. Photo: Justice, Droits de l’Homme, Garde des Sceaux : M. Mohamed Ali Bathily.




Jeudi 23 juillet 2015, les populations de la commune 1 de Bamako et celles de Moribabougou ont assisté, médusées, à la démolition d'une soixantaine de bâtiments sis à Souleymanebougou, route de Koulikoro, juste à deux doigts de la résidence de l'ancien président Alpha Oumar Konaré. En visitant le site, le vendredi 24 juillet 2015, nous avons constaté un paysage digne de la bande palestinenne de Gaza après le passage de bombardiers israéliens. Partout des murs couchés sur le flanc, des toits affaissés, des vitres brisées, des meubles éventrés, des tonnes gravats à perte de vue, d'ex-habitants en pleurs, des badauds hagards et des maraudeurs tentant d'enlever quelques bibelots... Selon des témoins, certains bâtiments détruits valaient 300 millions de FCFA; quant à la valeur totale des investissements immobiliers détruits, elle dépasserait allègrement les 5 milliards de nos francs. S'étant transporté d'urgence sur les lieux, le prêcheur Chérif Ousmane Madani Haidara n'a pu retenir ses larmes. Présente lors de l'opération de démolition, Oumou Traoré, directrice générale adjointe de l'ACI, a souligné que celle-ci servirait de leçon à ceux qui ont pris l'habitude de défier l'Etat.

Le ministre Bathily explique sa décision de démolition
C'est sur ordre du ministre des Domaines et des Affaires Foncières, Maître Mohamed Aly Bathily, que la démolition fut exécutée par trois bulldozers sécurisés par une centaine de policiers et de gendarmes. Le tout sous l'oeil des caméras de l'ORTM. Sans l'intervention vigoureuse du Premier Ministre, qui y a mis le holà, les démolitions se seraient poursuivies contre d'autres immeubles marqués de grandes croix blanches.
Quelques semaines auparavant, le 30 juin 2015, le ministre Bathily s'était rendu sur le site. Il était accompagné du préfet de Kati, du commandant de la brigade de la gendarmerie de Moribabougou, des chefs des services techniques des Domaines et des maires maires de Ngabakoro-Droit et de Moribabougou. Le ministre avait profité de l'occasion pour déclarer que les constructions édifiées sur le site étaient illégales et qu'il ne saurait plus longtemps les tolérer. Il avait ajouté que le président de la République, IBK, avait instruit au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires contre les inondations dues à l'occupation anarchique des abords des cours d'eau. Dans la foulée, Me Bathily avait sévèrement mis en garde le préfet de Kati, les deux maires concernés et le chef de brigade de la gendarmerie contre toute faiblesse dans l'exécution de leurs missions.
Lundi 27 juillet 2015, quatre jours après les démolitions, le ministre Bathily réunit en ses bureaux la presse pour expliquer sa décision. D'entrée de jeu, il assène: "Je ne vois pas la raison d’un tollé autour de notre acte administratif. Tant que la nécessité l’impose, le département le fera, même demain".Me Bathily affirme que les bâtiments ciblés par la démolition sont ceux construits dans l’emprise des marigots, du fleuve Niger et sur le site affecté à l'Agence de Cessions Immobilières (ACI): "Le 13 octobre 1947, le titre foncier n°1368, d’une superficie de 85 hectares 13 ares 97 centiares a été créé à Souleymanebougou, Commune rurale de N’Gabakoro-Droit. Ce titre foncier-mère a donné naissance au titre foncier n° 0050 du Cercle de Kati. Le reliquat a été mis à la disposition de l’ACI par le gouvernement suivant un mandat du 12 janvier 2002: il fait une superficie de 63 hectares 26 ares 10 centiares entièrement aménagée par l’ACI. Le 9 juin 2008, le préfet de Kati, Ibrahima Mamadou Sylla, par lettre n°88/CKTI-DOM demandait à l’ACI de lui fournir des informations "sur une parcelle longeant le marigot Farakoba". En réponse à cette demande, il a été indiqué que "cette bande empiète sur le lotissement de l’ACI". Cette situation a été confirmée par une nouvelle expertise. Malgré la réponse claire qui lui a été donnée, le préfet de Kati a procédé à la création de ses propres parcelles qu’il a cédées à plusieurs personnes. Ce fut là le point de départ d’une occupation illicite des lieux... Les autorités locales et communales, en complicité avec les bénéficiaires, qui ont activement sollicité ces attributions, ont investi la zone au prix de graves atteintes aux lois et règlements sur le foncier, l’urbanisme et la construction ainsi qu’au droit de propriété. Ils ont ignoré la dénonciation des attributions et occupations illicites et ont refusé d’obtempérer aux sommations adressées pour arrêter les travaux. L’ACI s’est adjoint les services d’un huissier de justice afin de constater l’effectivité de la cession de ses terrains par le préfet Ibrahima Sylla. Elle a également porté plainte auprès du commissariat du 12ème arrondissement de Bamako suivant la lettre n°000210 du 8 juin 2010. Avant cette procédure, la direction régionale des Domaines et du Cadastre, par la lettre n°08-0395/DRDC-Koulikoro, a saisi le gouverneur de la région pour lui indiquer, le 27 octobre 2008, que le programme immobilier de l’ACI est bien contenu dans les limites du titre foncier n° 1368".
Me Bathily balaie d'un revers de main les réclamations de droits coutumiers formulées par le Collectif des Autochtones de Titibougou, lesquelles prétentions sont, selon le ministre, irrecevables dès lors que les lieux ont fait l'objet de titres fonciers depuis 1947. Sont tout aussi infondées, aux yeux du ministre, les réclamations de droits sur les espaces situées le long du marigot Farakoba car il s'agit de "servitudes prévues lors des opérations de délimitation du titre foncier n° 1368".
Me Bathily dénonce avec force: "… L’ensemble des précautions n’a pas empêché les bénéficiaires des parcelles illégalement attribuées de poursuivre leur occupation des lieux. De nouvelles sommations d’interpellation leur ont été faites le 6 mai 2014 par l’huissier de justice Maître Aliou Traoré. Face à cette situation d’inégalité, le ministère (des Domaines) était obligé de mettre de l’ordre pour la bonne application de la loi. Il est inadmissible d’entretenir une situation d’illégalité".
Conscient du remue-ménage généré par sa décision de démolition, le ministre annonce: "L’Etat ne cédera pas aux groupes de pression qui agissent contre la loi. Les travaux vont continuer et l’Etat a déjà porté plainte contre les acteurs. L’utilisation des domaines public et privé de l’Etat obéit aux règles et principes fixés par la loi, qui ont pour objet d’assurer aussi bien la sécurité publique que la protection des biens des personnes. J’ai été investi de la mission d’appliquer le code domanial et foncier.Si je dois gérer le bien public, je le ferai au regard de la loi.Et nous n’avons pas regretté de notre acte!".
Le ministre invoque enfin l’hivernage pour justifier la suspension des démolitions, ce qui fait penser qu'elles reprendront après la saison des pluies.

Bathily avait-il le pouvoir de faire démolir ?
Un proche de Me Bathily nous confie: "Les bâtiments démolis l'ont été pour deux raisons principales : certains occupaient des servitudes de passage fluviales qui, par nature, sont incessibles; d'autres occupaient, de manière illicite, un titre foncier de l'Agence de Cessions Immobilières (ACI). Garant de l'intégrité des biens de l'Etat et du respect des lois domaniales, le ministre des Domaines avait le pouvoir et le devoir de réagir avec fermeté à ces occupations illicites.".
De plus, nous assurent les mêmes interlocuteurs, les titres administratifs d'attribution délivrés aux occupants par les maires de Moribabougou, de N'Gabakoro-Droit et le préfet de Kati ont été annulés par ces derniers avant la démolition: "Les décisions d'annulation ont été prises par les autorités concernées sur instructions conjointes du Premier ministre et des ministres chargés des Domaines, de l'Administration Territoriale, de l'Urbanisme et de la Sécurité". Du coup, l'entourage du ministre des Domaines estime que celui-ci a agi avec l'entière bénédiction du sommet de l'Exécutif. Des sources murmurent que le maire de Ngabakoro-Droit a pris la clé des champs et que celui de Moribabougou a déjà fait l'objet d'un mandat de dépôt.
Reste une question de taille: le ministre Bathily pouvait-il faire démolir des immeubles bâtis sans décision de justice ? Son entourage pense que oui.Il cite, à cet égard, l'article 67 de la loi n° 02-016 du 3 juin 2002 fixant les règles générales d'urbanisme au Mali.Cet article dispose: "En cas d'extrême urgence ou s'il s'agit de constructions édifiées sur un terrain occupé sans titre ni droit, ou encore s'il s'agit de constructions en matériaux précaires, l'administration peut procéder d'office à la démolition et à la mise en état des lieux aux frais de l'intéressé après avoir fait établir la description contradictoire des biens à détruire.".Des proches du ministre des Domaines voient dans cet article de loi une possibilité légale pour lui de faire procéder à la démolition des immeubles sans solliciter une décision de justice.
Du côté des victimes, qui s'activent pour constituer des avocats, c'est un tout autre son de cloche. Analyse d'un expert apparenté à ces personnes en colère noire: "Le ministère des Domaines n'a aucun droit de faire procéder à une démolition. Les conditions posées par l'article 67 de la loi fixant les règles générales d'urbanisme ne sont pas réunies en l'espèce. En effet, il n'y a pas d'"extrême urgence" à démolir des bâtiments d'une telle valeur. En outre, les constructions concernées ne sont pas en "matériaux précaires", mais plutôt en béton armé. De plus, l'article 67 de la loi exige une "description contradictoire des biens à détruire", ce qui, en l'espèce, n'a pas été fait. De surcroît, les parcelles litigieuses faisaient l'objet de permis d'occuper délivrés par des maires et un préfet: les titulaires ne les occupaient donc pas "sans titre ni droit".Enfin, Me Bathily est ministre des Domaines et non ministre de l'Urbanisme: il ne pouvait pas, en lieu et place du ministre de l'Urbanisme, se prévaloir de dispositions édictées par la loi fixant les règles générales d'urbanisme. Notez que même les brigades chargées de la démolition relèvent du département de l'Urbanisme et non de celui des Domaines. D'ailleurs, si la loi dit que "l'administration" peut démolir d'office, elle ne précise nulle part qu'il s'agit de l'administration des Domaines!".
Insistant sur l'incompétence légale de Bathily à démolir, l'expert fait remarquer: "Selon les articles 4 et 19 du décret n° 2015-0115 PRM du 25 février 2015 fixant les attributions spécifiques des membres du gouvernement, le ministre des Domaines a pour attributions de mettre en oeuvre la politique et les lois domaniales et foncières alors que le ministre de l'Urbanisme, Dramane Dembélé, est seul compétent pour mettre en oeuvre les législations d'urbanisme, donc de procéder aux démolitions d'office prévues par l'article 67 de la loi fixant les règles générales d'urbanisme.
D'autres victimes exhibent une lettre-circulaire datée de juin 2015 par laquelle le ministre de la Justice, Mahamadou Diarra, instruit aux procureurs de ne permettre aucune expulsion ni aucune démolition jusqu'à ce que l'hivernage prenne fin. "Le ministre Des Domaines a agi de manière précipitée, sans concertation avec les autres membres du gouvernement qui n'ont été informés des démolitions qu'après coup: il voulait mettre tout le monde devant le fait accompli", s'indigne une victime qui ajoute : "Me Bathily a fait de la politique et non du droit. Il a commencé par faire annuler des titres fonciers délivrés à des particuliers, au prétexte qu'ils avaient été mal acquis, toutes choses qui décrédibilisent le titre foncier. A présent, le ministre démolit nos immeubles pour complaire à l'ACI. Mais pourquoi se substitue-t-il à l'ACI, une simple société commerciale ? Pourquoi s'en prend-il à de malheureux citoyens comme nous alors qu'il regarde, sans réagir, de riches hôteliers, commerçants et fonctionnaires construire leurs immeubles dans le lit du fleuve Niger ? Souvenez-vous que le titre foncier du ministère de la Justice, sis à Yirimadjo et datant de 2005, est occupé par 70 particuliers détenteurs de permis d'occuper délivrés, en 2011, par la mairie du district: pourquoi Me Bathily n'a-t-il pas expulsé ces occupants lorsqu'il était ministre de la Justice ou dès qu'il est venu au ministère des Domaines ? Y a-t-il dans ce pays deux poids et deux mesures?".

Et maintenant ?
N'étant pas spécialistes du droit, nous refusons d'entrer dans un débat juridique qui, sans doute, débouchera devant les tribunaux. Nous estimons toutefois que l'Etat a aujourd'hui d'autres priorités que de démolir des immeubles de valeur. Au reste, il aurait pu éviter certaines démolitions en demandant aux occupants de payer à l'ACI le prix des parcelles. D'autant que l'ACI est une entreprise publique et a pour métier de vendre des terres.
Les déboires d'un propriétaire
Seydou Dramé, commerçant, verse des larmes de sang depuis le 23 juillet 2015. Sur la base de permis d'occuper délivrés par le maire de Ngabakoro-Droit, il avait construit deux immeubles à étages à Souleymanebougou. Les immeubles flambants neufs et contigus étaient habités par sa famille qui y avait emménagé en janvier 2015.A l'aube du 23 juillet, Seydou Dramé et les siens sont réveillés par les gendarmes qui leur intiment l'ordre de quitter les bâtiments au motif qu'ils seront immédiatement détruits. L'infortuné propriétaire et sa famille assistent, éberlués, à la démolition des bâtiments. Selon les proches de Seydou Dramé, chacun des bâtiments détruits lui était revenu à 80 millions de FCFA. Sans compter les frais d'acquisition des parcelles et d'installation de l'eau courante et de l'électricité.

Tiékorobani et Abdoulaye Guindo
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