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Professeur Abdrahamane Sanogo, Enseignant-chercheur Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FSEG), Université des Sciences Sociales et de Gestion de Bamako (USSGB) répond à la question : que pensez-vous des deux ans de gouvernance du président IBK ?
Publié le lundi 7 septembre 2015  |  Infosept




La question que vous posez, à savoir « quel bilan vous tirez des deux années d’exercice du pouvoir du Président IBK ?», paraît tout fait anodine. Cependant, l’exercice n’est pas aussi aisé, et en l’occurrence exige beaucoup de courage. Cependant, permettez-moi en réponse, de fournir quelques pistes de réflexion, sans pour autant chercher à ouvrir une diatribe aux conséquences incommensurables. Je suis simplement un citoyen ordinaire qui peut et doit donner son point de vue sur tout sujet politique. Ainsi, je pense que pour « changer la vie », il faudrait commencer par changer la vie politique. Comme le dit-on d’ailleurs souvent « Je ne m’occupe pas de politique ». C’est comme si vous disiez : « Je ne m’occupe pas de la vie ». Vous comprenez donc que la politique est une condition nécessaire de l’existence humaine. Notre rôle à nous tous forumistes, ce n’est pas de nous taire face à notre vie, à notre destin. Mais, bien au contraire, il s’agit pour nous d’analyser notre histoire, de mener la réflexion et de faire des recommandations susceptibles de nous conduire vers le bonheur social.

Comme premier point de mon intervention, je pense d’abord à la crise sécuritaire qui frappe le pays, et aux efforts déployés par le Président et son équipe gouvernementale afin de la juguler.
Il faut reconnaître ici, que balayer d’un revers une crise aussi profonde, bien ancrée et très bien nourrie au fil du temps est presque impossible. Sa solution prendra certainement du temps, mais finira par trouver son chemin. Fort malheureusement d’ailleurs, le problème n’est bien cerné par la plupart d’entre nous, qui confondons « islam » et « islamisme ». L’islam est une religion monothéiste, et en tant que telle, est plutôt fondé sur la Paix, l’Entente et la Solidarité. A son antipode, se trouve l’islamisme, qui plutôt est une doctrine, et qui repose sur le fascisme. Alors que le fondement de cette doctrine n’est rien d’autre que la violence. Benito Mussolini lui-même n’affirmait-il pas, dans « Del Fascismo » que « Toute doctrine qui pose le postulat premier de la paix est étrangère au fascisme » ? Nous avons donc à faire à la violence du fascisme, et qui n’a sa solution qu’à moyen ou long terme. Quoiqu’il en soit, les crises sont des choses qui arrivent régulièrement. Le grand avantage, c’est qu’en général on en sort renforcé. Sur ce plan, je pense que la gestion du Président peut être appréciée à sa juste valeur, comme rationnelle et susceptible de nous mener vers plus d’accalmie. Les dégâts d’une guerre sont toujours énormes, sans compter qu’il n ya que les pays riches qui puissent en supporter les coûts. Je ne pense pas qu’un autre Président aurait pu faire mieux. La grandeur d’un chef n’est pas sa personne, mais dans la mesure où il sert la grandeur de son peuple. N’opposons pas la violence à la violence, car personne n’y gagnera.

Sur le plan de la Justice, je pense qu’il faut saluer et reconnaître à sa juste valeur toute l’œuvre constructrice entreprise par l’ancien Ministre de ce Département, à savoir Monsieur Mohamed Ali Bathily.
Je ne sais pas pourquoi il a été démis de sa fonction, alors qu’il était sur la bonne piste qui consiste à doter le pays d’une justice forte et assainie, avec comme credo politique, que vous soyez riche ou misérable, désormais les jugements de cour vous rendront la sentence que vous méritez. Ce Ministre avait bien compris que la véritable liberté est indissociable de la protection des plus faibles. Maintenant qu’il n’est plus à ce poste, est ce que la justice malienne sera un jour débarrassée de toutes ses malédictions ?
Autre fait social et politique qui poursuit inéluctablement son chemin, c’est celui de la liberté qui est indissociable de la notion de démocratie. En fait, je ne pense pas que durant les deux ans passés, un acte consistant à mettre fondamentalement la démocratie en danger ait été posé.

Les journaux et les radios privées disposent de toute la latitude d’émettre et de véhiculer leurs opinions en toute liberté, et dans le strict respect de la loi. Les partis politiques fonctionnent sans entrave, et continuent leurs travaux en toute liberté.
Ayant également compris que le général qui voit avec les yeux des autres n’est pas capable de commander une armée, et qu’en plus étant très limité il constitue un danger pour la démocratie, il a vite été fait de sauver le peuple. Enfin, faut-il se réjouir d’avoir une opposition digne de ce nom au Parlement. Ceci est un acte fort et salutaire, car en réalité, nul Gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition.
Mais, est ce que ces quelques faits à hauteur de souhait sont-ils vraiment suffisants pour projeter le Président, dans un écran exceptionnel d’homme d’action, d’acteur du changement ou alors de juger son bilan globalement positif ? La question me laisse somme toute à la fois perplexe et dubitatif.


Un premier élément de réponse rebondit, lorsque je me souviens de cette affirmation du socialiste Léon Blum qui disait en substance : « Toute société qui prétend assurer aux hommes leur liberté, doit commencer par leur garantir l’existence ». Ce qui signifie que pour être libre, l’homme doit s’être libéré des nécessités de la vie. Pourtant, malgré la liberté dont jouissent les maliens, ils sont aujourd’hui économiquement confrontés aux difficultés de la vie, à savoir, prendre les trois repas quotidiens, avoir un toit, envoyer les enfants à l’école, se soigner, accéder à l’électricité et à l’eau potable… La pauvreté grandissante, s’observe partout aussi bien en ville qu’en campagne. Le chômage, qu’il soit structurel, conjoncturel ou frictionnel prend des proportions inquiétantes. Point n’est besoin d’apporter des chiffres si souvent manipulés. La simple observation empirique suffit pour se rendre compte de la réalité, car comme l’affirme ce dicton « les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant ces chiffres ». Et en réalité « une image vaut mieux que mille mots » (proverbe chinois). Pourtant, si l’on se réfère à Nicolas Machiavel, gouverner n’est pas compliqué, c’est facile. Selon lui « Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner ». Malheureusement, au Mali il y a rupture dans ce processus de satisfaction sociale, dès lors que l’autorité n’arrive vraiment pas à contenter le peuple, qui n’espère que couvrir ses besoins essentiels, et rien de plus.



Les deux années de l’actuel pouvoir n’ont guère suffi à renverser la tendance quand bien même qu’il en eut les moyens. En effet, la pluviométrie des deux dernières années a été bonne et suffisante, alors que les BTP se sont bien comportés, et l’extraction d’or et son exportation n’ont pas faibli. Qui plus est, le prix du baril de pétrole sur le marché international dont le Mali est importateur a considérablement chuté entre juin 2014 et actuellement, passant de 110 à 45 dollars US. Malgré ces situations favorables, le prix des céréales n’a pu être maîtrisé, et celui du carburant qui aurait dû baisser parce qu’on le paie désormais moins cher, pour contenter les millions de consommateurs est presque resté le même, à un niveau élevé. L’inflation c’est-à-dire la montée des prix s’est accélérée durant ces deux dernières années et a concerné toute sorte de produits et services, et surtout les produits de première nécessité (riz, sucre, lait, fruits, légumes…). Certains biens d’usage populaire sont devenus des produits de luxe. Et quand on sait que l’augmentation des revenus n’a pas suivi, il y a tout lieu d’imaginer que la pauvreté n’a fait que grandir. En dehors du bon niveau pluviométrique et de la baisse considérable du prix du baril de pétrole, d’autres conditions furent réunies pour contenter le peuple, et pour agrémenter son existence.


Pour preuve, le taux de croissance du PIB (Produit intérieur brut, c’est-à-dire l’ensemble des richesses créées par an) fut de 6%. Cela veut dire que l’économie tient bon malgré la crise. Mais, la question qui se pose, c’est où est passé cet excédent de richesses ?


A qui a-t-il profité ? En tout cas pas au peuple, car il n 'a ni servi à créer des écoles, des centres de santé, des maternités, des bornes fontaines, ni même l’électrification rurale. Je ne veux pas ici réveiller les vieux démons et parler d’avion ou de chaussettes payées pour les militaires, de rénovation de ceci ou de cela. Par ailleurs, nous savons que la délinquance financière se poursuit. Le quotidien le Reporter du 1er Avril 2015 ne rapportait-il pas que le régime actuel a doté le Mali de 9 nouveaux milliardaires, dont 4 ministres ? A-t-on pu poser un frein à la corruption ou simplement en inverser la tendance ? Je ne le crois. Là aussi, c’est « le chien aboie et la caravane passe ».


Non, je veux une discussion constructive, tout en retenant que « les grands esprits discutent des idées, les esprits moyens discutent des évènements et les petits esprits discutent des gens ». Au niveau du forum, ayons un comportement noble pour mener des analyses pertinentes et suffisamment étayées. Ainsi, je note simplement que sans utilisation du surplus économique (les 6%) dans les sphères impliquant les populations, il ne saurait y avoir de développement, car le développement, c’est l’amélioration des conditions de vie de toute la population. Sur ce plan, le pouvoir politique a péché.


Voyons encore un peu le problème du chômage. Il s’agit là d’une véritable bombe à retardement, lorsqu’on sait que les autorités ne disposent même pas de données fiables pour mesurer l’ampleur du phénomène qui pourtant croît de manière exponentielle. La définition retenue n’est même pas la bonne, car c’est celle des organismes internationaux comme le BIT, l’Union européenne, pour qui le « chômeur, c’est celui qui a déjà travaillé, qui a perdu son emploi, qui en cherche encore, et qui n’en a pas trouvé ». Non, soyons sérieux, tous nos jeunes qui bouclé leurs études, suffisamment qualifiés ou non, et tous les rescapés de l’exode rural, qui sont à la quête d’un emploi, qu’ils aient déjà travaillé ou non, sont véritablement des chômeurs. Le problème est qu’il n y a pas de véritable politique d’emploi clairement définie. On se contente le plus souvent d’importer des modèles de pays qui n’ont pas les mêmes réalités socio-économiques que nous. Dans ce cas on est bloqué, et cette situation perdure encore. Depuis deux ans comme toujours d’ailleurs, les quelques embauches sporadiques de quelques sociétés ou administrations sont sur base de népotisme. Cela veut dire que le diplôme ne sert à rien, sinon que d’ornement intérieur. Ce qui importe, c’est d’être soutenu et/ou d’être un militant de tel ou tel parti. N’a-t-on pas vu comment les D Cap ont fait les frais ? Par ailleurs, quand certains cumulent deux emplois, dont un dans le public et l’autre dans le privé, roulent dans les 4x4, leurs collègues sans espoir, courent derrière eux à la recherche d’un hypothétique et minable marché de gré à gré de 100 000 francs. La résolution du problème du chômage n’a pas non plus trouvé de voie de sortie honorable durant les deux ans écoulés.


N’oublions pas l’école qui est en souffrance, alors que « de l’éducation naît la grandeur des nations ». La situation continue de se dégrader : pas d’équipements, pas de bibliothèques, pas de construction de classe alors que les effectifs augmentent d’année en année.


En 2014, l’organisation des examens scolaires fut des plus chaotiques. Les notes continuent d’être vendues, et le niveau des apprenants continue sa baisse. La même catastrophe est observable à l’université. Le campus universitaire de Badalabougou est devenu un second « Dabani » et chaque jour de nouveaux kiosques y pullulent, et sans compter qu’à la tombée de la nuit c’est le véritable Harlem avec l’alcool, la drogue et je ne sais quoi d’autre. On ne voit aucune mesure pour contrer le phénomène et assainir l’espace. Par ailleurs, je ne vois aucune politique de recherche. Quel est le pays qui a pu émerger, voire se développer sans avoir au préalable mis un accent fort sur le volet recherche ? Dans le domaine de l’éducation et de la recherche, je ne vois pas de mesure prise dans les deux années passées en vue d’améliorer la situation de l’école et de la recherche.


A présent, voyons les récentes attributions des logements dits « sociaux ». Qui n’a pas suivi cette piteuse histoire de cow-boy du début à la fin ? Là aussi, je n’ai pas compris qu’un nombre considérable de jeunes ménages aient été évincés sans arguments valables. Certains paraît-il étaient à leur quatrième demande. Ce qui m’a le plus sidéré, c’est qu’il semble que deux ministres ont eu leur logement « social », et que un plus gourmand a eu deux. Et c’est cela la gestion démocratique nouvelle des affaires de la société. Ce problème a fait un tollé dans le pays. Et au lieu de surseoir à la répartition en attendant de revoir les dossiers, les clés ont tout de même été remises avec à la base une cérémonie que je ne veux pas qualifier. Là aussi, je pense que l’échec du pouvoir est clairement affiché.

Pour en finir, je ne pense pas pouvoir conclure sur le bilan. Je dirai simplement qu’il n y a point de bienfaits en politique, il y a des intérêts, voilà tout. Et quand le désordre est partout la prospérité n’est nulle part.
Comme proposition, je crois que tout un chacun doit s’impliquer à quelque niveau que ce soit, selon ses moyens et ses capacités, pour aider l’équipe dirigeante actuelle à se positionner confortablement sur les rails du développement. C’est la voie tout indiquée pour redresser la situation. Il faudrait aller vers une gestion consensuelle des affaires publiques.


Propos recueillis par Journal Inf@Sept
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