Depuis deux ans, l’histoire du Mali rime avec SCANDALES. Aussi bien dans la théorie que dans les faits, le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita semble intimement lié avec MAL GOUVERNANCE et son corollaire de corruption, délinquance économique et financière, clientélisme, népotisme, favoritisme, gabegie etc. sur fond de SURFACTURATIONS.
Plus retentissants les uns que les autres, les dossiers qui plombent les fondements d’un Etat se succèdent à pas cadencés sans conséquence majeure pour les auteurs ou les acteurs impliqués, ou leurs complices.
Ainsi, depuis 2013, chaque année nait et passe avec son lots de scandales.
L’affaire la plus récente est celle dite des « 1000 tracteurs du président ». Là-dessus, le Parena (Parti pour la renaissance nationale) est monté au créneau la semaine dernière pour dénoncer « une grosse arnaque » et « une autre histoire de surfacturation », et en appeler le président de la République à y faire toute la lumière.
Mais, faudrait-il rappeler que le plus gros scandale de l’ère IBK est intervenu en novembre 2013, soit moins de trois mois après son investiture à la magistrature suprême. Il s’agit du Contrat d’armement et d’équipements militaires passé à un fiston (promu Conseiller spécial du président aussitôt après) à hauteur de 108 milliards de FCFA sur lesquels on relèvera plus tard des surfacturations de 28 à 39 milliards de FCFA.
L’an 2014, décrété « Année de lutte contre la corruption », sera marqué fondamentalement par le scandale de l’avion présidentiel, un oiseau de malheur acquis à 16, 17, 20 ou 21 milliards selon les interlocuteurs. Le Boeing n’aurait en réalité coûté que 6 milliards. Dans l’un ou l’autre cas, c’est le contribuable malien qui est berné.
L’année 2015 aussi a ses scandales. Tout d’abord, l’affaire dite des engrais frelatés qui engloutit entre 60 et 80 milliards de FCFA. Considéré par le Parena comme l’un des plus graves scandales que le Mali ait connus, le marché de l’engrais et des pesticides « est la poule aux œufs d’or de certains dirigeants au Mali, à qui il rapporte, bon an, mal an, des dizaines de milliards de FCFA ».
A-t-on fini à peine d’épiloguer sur ce sulfureux dossier qu’éclate le scandale des 1000 tracteurs que nous évoquions plus haut.
Dans cette affaire, le PARENA, toujours prompt, a réagi. Après enquête, le parti du bélier blanc a décelé une grosse arnaque dont le paysan malien sera la victime. En effet, d’après ces investigations, le tracteur subventionné aurait dû revenir au paysan malien à 2,950 millions de FCFA au lieu de 6 millions de FCFA. Et, un tracteur qui a effectivement coûté 5,950 millions de FCFA est facturé à l’État à 13,6 millions FCFA. D’où le montant total de 13 milliards de FCFA. « Le montage de cette opération douteuse fait de l’État malien, un acheteur, un gestionnaire et un vendeur de tracteurs », constate le Parena. Qui en déduit manifestement, « une autre histoire de surfacturation dont les finances publiques et le paysan malien font les frais ».
Nous vous proposons la déclaration intégrale du Parena rendue publique le 30 septembre.
I- INTRODUCTION:
1- Le Chef de l’État a procédé, le 22 septembre, à la remise symbolique de 1000 tracteurs destinés aux paysans du Mali. La cérémonie grandiose à laquelle tous les chefs d’institutions et tous les dignitaires du régime ont pris part a été organisée, non par le ministère du développement rural ou par le Protocole de la République, mais par la société Toguna SARL, principal fournisseur des tracteurs.
2- Les 1000 tracteurs seront cédés, dit-on, aux heureux bénéficiaires à moitié prix. En attendant, l’opération a coûté au trésor public, donc au contribuable malien, la somme de 13 milliards 600 millions de francs CFA.
3- C’est une commission “nationale” directement rattachée au Ministre du Développement Rural qui sera chargée de la distribution des tracteurs aux paysans selon des procédures non encore connues.
II- LES FAITS:
4- L’opération des 1000 tracteurs a été annoncée comme un “cadeau” du chef de l’État aux paysans du Mali, le 29 mai 2015, lors du Conseil Supérieur de l’Agriculture et de la Journée du paysan.
5- C’est le Conseil des Ministres du 29 juillet qui a adopté le décret d’approbation, des marchés de fourniture des tracteurs.
Ainsi, la société Toguna SARL a bénéficié de deux lots de 800 tracteurs pour un montant total de 10 milliards 155 millions de FCFA pour un délai de livraison de 45 jours.
Contrairement aux habitudes, le Conseil des Ministres du 29 juillet n’a pas précisé s’il y a eu un appel d’offres, une consultation restreinte ou une procédure d’entente directe.
Le Conseil n’a rien dit des deux cents autres tracteurs qui auraient été fournis, selon la presse, par “Mali-Tracteurs”, une société d’assemblage de tracteurs sise à Samanko (prés de Bamako) où l’État détient 49% des actions.
6- Le PARENA est en mesure d’affirmer que les tracteurs étaient déjà arrivés au cordon douanier à Kati le jour où le Conseil des Ministres attribuait à Toguna SARL le marché de 800 tracteurs, c’est à dire le 29 juillet.
III- NOS CONSTATS ET QUESTIONS:
7- L’opération des 1000 tracteurs, c’est l’histoire d’une transaction opaque, d’un marché de gré à gré déguisé entre l’État et un fournisseur sélectionné (sans appel d’offres, ni consultation restreinte) par le Ministre du Développement Rural et le président sortant de l’APCAM (Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali).
8- C’est aussi l’histoire d’un grossier délit d’initiés, d’une opération fumeuse montée de toutes pièces pour les rétro-commissions et les pots de vin.
9- Les tracteurs seront livrés aux paysans à partir de septembre. Ils ne seront opérationnels qu’à partir de mai-juin 2016 pour la campagne agricole 2016-2017. Dès lors, quelle urgence y avait-il à passer les marchés par entente directe?
10- Pourquoi avoir attribué le marché à un fournisseur d’engrais qui ne pouvait qu’importer les tracteurs? Pourquoi n’a-t-on passé le marché des 1000 tracteurs à “Mali-Tracteurs”, une entreprise installée aux portes de Bamako où l’État est actionnaire, qui emploie la main-d’œuvre locale et paie des impôts.
11- Le montage de cette opération douteuse fait de l’État malien, un acheteur, un gestionnaire et un vendeur de tracteurs. Si l’unique intention des autorités était de faciliter l’acquisition de tracteurs par les paysans maliens, pourquoi n’ont-elles pas mis en place un mécanisme simplifié qui permet aux agriculteurs qui éprouvent le besoin d’avoir des tracteurs et qui en ont les moyens de bénéficier de la subvention de 50% du prix?
12- S’agissant de prix, la presse d’État qui a couvert l’opération “Tracteurs” du 22 septembre a dit que, subventionné à 50%, le prix du tracteur reviendrait au paysan malien à 6 millions de francs CFA. Après enquête, le PARENA a décelé une grosse arnaque dont le paysan malien sera la victime.
Les tracteurs livrés par Toguna SARL sont de marque Foton, du nom de la multinationale chinoise spécialisée dans les engins lourds, les camions et les moteurs.
Foton vend un tracteur de 50 chevaux avec les accessoires (charrue, herse, remorque) à 10 000 dollars US, soit environ 5 millions FCFA. Livré à Bamako, le tracteur a coûté en tout et pour tout 5 millions 900 000 FCFA.
Comment peut-on acquérir un tracteur à ce prix et le vendre au paysan malien à un prix soi-disant subventionné à 6 millions?
Si l’opération était transparente et honnête, le tracteur subventionné aurait dû revenir au paysan malien à 2 millions 950 000 FCFA.
13- Manifestement, l’opération des 1000 tracteurs, est une autre histoire de surfacturation dont les finances publiques et le paysan malien font les frais. Un tracteur qui a effectivement coûté 5 millions 950 000 FCFA est facturé à l’État à 13 millions 600 000 FCFA. C’est ainsi que les 1000 tracteurs ont coûté 13 milliards 600 millions de francs CFA, comme l’Essor et l’ORTM l’ont révélé.
14- En outre, que faisait le président sortant de l’APCAM aux côtés du Chef de l’État le 22 septembre dernier? Son mandat a expiré. Son bureau a été suspendu. Cette présence qui ne se justifiait nullement dénote d’une collusion entre cet acteur du monde rural et le sommet de l’État.
IV- CONCLUSION:
15- Nous sommes indiscutablement devant un nouveau scandale de l’ère IBK dont les principaux protagonistes sont les mêmes que ceux du GIE de l’engrais frelaté, à savoir le Ministre du Développement Rural (Bocari Tréta) et le président sortant de l’APCAM (Bakary Togola).
16- Le 17 juillet dernier, à l’occasion de l’Aïd El Fitr, le président de la République a promis à la communauté musulmane du Mali et au peuple malien tout entier qu’il serait “désormais intraitable” vis à vis des “dérives” qui émaillent sa gouvernance depuis son accession au pouvoir et qu’il combattrait particulièrement ” les rétro- commissions”.
17- Le 29 mai, lors du Conseil Supérieur de l’Agriculture, le Chef de l’État avait promis de sévir contre ceux qui sont impliqués dans l’affaire de l’engrais frelaté.
Pour sa part, le Premier ministre avait dit, le 11 juin, aux députés qui adoptaient sa Déclaration de politique générale, qu’il n’y aurait pas d’impunité dans le scandale de l’engrais. Ces paroles prononcées solennellement n’ayant pas été suivies d’actes, un autre scandale a éclaté dans le même secteur agricole, avec les mêmes acteurs.
Le président va-t-il continuer à couvrir de son autorité les histoires douteuses de milliards, de marchés de gré à gré, de délits d’initiés, de surfacturations et de rétro- commissions?
18- Vouloir moderniser l’agriculture est une intention louable. Mais peut-on, sous couvert de modernisation, monter une opération dans laquelle l’État et le paysan malien sont grugés?
La lutte contre la pauvreté et pour la promotion du paysan malien passe par des pratiques de bonne gouvernance et une utilisation rationnelle et honnête des maigres ressources de notre pays.
Le PARENA invite le président de la République à faire toute la lumière sur l’affaire des 1000 tracteurs.
Bamako, le 30 septembre 2015
Le Comité Directeur du PARENA