Depuis la Constitution du 25 février 1992, la justice a été érigée en pouvoir. Bien accueillie et paraissant comme une réelle avancée démocratique, cette option citée en exemple traduisait la volonté de notre peuple à faire du Mali un pays respectueux de l’Etat de droit, résolument engagé à assurer l’équilibre entre les trois pouvoirs, conformément au principe de Montesquieu, de la Séparation des Pouvoirs. Quelques années après, précisément le 3 novembre 2000, la Déclaration de Bamako était saluée en tant que véritable déclic pour l’essor de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
Sur le Projet de réforme de la Cour Suprême :
La réforme de la Cour Suprême du Mali procède d’une volonté politique visant à rendre notre pouvoir judiciaire plus performant et crédible, capable de jouer pleinement son rôle dans la consolidation de la démocratie et la préservation de l’Etat de Droit. Outre son statut d’Institution et incarnation du Pouvoir Judiciaire, elle est juridiction de Cassation et fait office de Conseil d’Etat et de Cour des Comptes, à travers ses différentes sections que sont la Section Judiciaire, la Section Administrative et la Section des Comptes. Juridiction de référence, elle doit pouvoir faire asseoir dans les différents domaines du droit, une jurisprudence cohérente, et contribuer efficacement à la préservation des ressources et la moralisation des dépenses publiques.
Aussi, évoluant dans des contextes sous-régional, régional et international, la Cour Suprême devra être à même d’assurer les engagements internationaux auxquels elle a souscrit au nom du Mali. En effet, elle est membre d’associations et d’organisations internationales. Pour ces raisons, la Cour Suprême a besoin de moyens humains, financiers et matériels suffisants nécessaires à son fonctionnement et à l’accomplissement de ses missions. Un survol rapide suffirait à appréhender toute la pertinence du projet de texte, dont l’adoption est aujourd’hui vivement souhaitée par l’ensemble de la famille judiciaire.
Sur deux ans, la Cour Suprême, du fait de la lourdeur dans la procédure de nomination, n’a reçu aucun magistrat, malgré le départ d’une vingtaine, en partie admise à la retraite, ou appelée à d’autres fonctions. Concernant le Parquet Général, il reste encore confiné au stade de sous-section de la Cour, ce qui n’est pas conforme au principe de la séparation fonctionnelle entre le Siège et le Parquet. Pour remédier au problème d’effectif, le projet de réforme a prévu des Référendaires et, spécifiquement des Auditeurs pour la Section des Comptes. Ce projet de réforme, initié par le Gouvernement, soutenu par toute la famille judiciaire malienne, la communauté internationale et les amis du Mali, se présente donc comme un instrument permettant de résoudre des difficultés réelles.
En son temps, des attitudes ou réticences paraissaient indiquer un manque d’appréhension des préoccupations de la justice. Selon les dernières informations reçues, les difficultés sembleraient être levées, concernant l’examen du projet de texte. Outre ces aspects, la situation actuelle de la Cour Suprême rend nécessaire son relèvement au rang des institutions comparables au plan national et similaires d’ailleurs, au point de vue traitements, avantages et considération, conformément aux engagements internationaux pris par le Mali.
Des amorces de réponse hautement salutaires sont déjà visibles :
Le chantier du nouveau siège de la Cour Suprême, un des plus grands sièges au niveau sous-régional, pourvu que l’équipement soit à la dimension de l’immeuble ; l’engagement du ministre des Finances en faveur de la Cour Suprême, comme en témoigne la mise à la disposition du Président de la Cour Suprême de ce véhicule digne de son rang (une première). Nous espérons que les gestes seront élargis au parquet et aux autres compartiments de la Cour.
Sur le Programme d’Urgence Pour la Justice :
Nous saluons le Gouvernement du Mali, également initiateur de ce programme ambitieux dont la pertinence se justifie par la même nécessité, à savoir : faire en sorte que la justice malienne puisse être à la hauteur des attentes pour le bonheur du peuple au nom duquel elle est rendue. Le SAM aurait toutefois souhaité que des préoccupations pressantes des magistrats soient prises en charge sans encore attendre, tout naturellement, les aspects se rattachant : aux indemnités de judicature ; aux primes de logement, de zone, de risque, de recherche, d’électricité et eau, de téléphone ; à l’élargissement du droit au Passeport Diplomatique à tous les magistrats de la Cour Suprême, aux Premiers Présidents et Procureurs Généraux des Cours d’Appel, ainsi que celui du Passeport de Service à tous les autres magistrats, comme c’est aujourd’hui le cas au sein de l’espace sous-régional, etc. Le SAM avait également rappelé sa demande visant à ce que certaines indemnités et primes soient soumises à la taxation. Sur la base d’une étude comparative, l’aboutissement de ce programme d’urgence permettrait de régler un certain nombre de déséquilibres au niveau sous-régional.
En effet, pour l’heure, les magistrats du Mali ont les plus bas traitements de la sous-région, malgré notre rang de troisième, sinon de deuxième au sein de l’UEMOA : le salaire du jeune magistrat d’un quelconque pays de la sous-région est supérieur à celui d’un magistrat en fin de carrière au Mali ; les seules indemnités de judicature ou les seules primes de logement appliquées ailleurs au sein de l’espace sont supérieures aux avantages cumulés d’un magistrat de Grade Exceptionnel au Mali. Fort heureusement, nos honorables députés, après avoir pris l’initiative de sillonner tout le pays pour visiter les juridictions, ont pu constater l’ampleur des difficultés auxquelles les acteurs de la justice se trouvent confrontés au quotidien, comme en ont témoigné les déclarations et interviews, très largement médiatisées. Ils ont suffisamment compris le sens et le bien-fondé de nos revendications.
Le SAM a-t-il des Attentes du Président de la République ?
Le Président de la République est le garant de l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire. Aussi, il est le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, ce qui n’est pas le cas partout. Toutes ces dispositions constitutionnelles ayant leur sens, suffisent à justifier les attentes des acteurs de la justice à l’endroit du Président de la République. Suite à une demande d’audience adressée au Président de la République, le SAM a eu des entretiens, successivement avec un Conseiller de la Présidence, puis avec le Secrétaire Administratif du Conseil Supérieur de la Magistrature, au mois de Mai.
Il s’agissait de faire le point des préoccupations brûlantes des magistrats, en vue de trouver des solutions idoines. Les problèmes étant connus, sans perdre assez de temps, nous avons pu faire comprendre en quoi se justifiait notre remarque que la justice était laissée pour compte, et que certains aspects nécessitaient des solutions urgentes. Peu de temps après que l’assurance a été donnée que le Président de la République a pris bonne note de nos doléances, nous avons été heureux de suivre l’évolution du Programme d’Urgence pour la Justice, élaboré par le Gouvernement. Nous souhaitons que le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, puisse aller au bout dans sa démarche, et trouver les moyens nécessaires pour efficacement jouer son rôle constitutionnel de garant de l’Indépendance du Pouvoir judiciaire, avec le concours du CSM.
Et des Attentes du Gouvernement ?
Le SAM n’est pas un syndicat coupé de tout. Evoluant dans un environnement social et juridique, il doit nécessairement collaborer avec les différentes institutions, les pouvoirs publics et autres organisations. Avec le Gouvernement, notre partenaire privilégié, il est vrai que nous n’avons pas toujours la même lecture des situations et des textes ; parfois nos positions peuvent diverger. Cela n’est point anormal. Même si les demandes de soutien sont aujourd’hui très peu satisfaites ou même rarement répondues, dans l’ensemble, le partenariat se porte bien et j’estime que les rapports pourraient être améliorés.
Le Gouvernement devra continuer à soutenir le SAM pour lui permettre d’honorer ses engagements internationaux dans le cadre du Groupe Régional Africain et de l’Union Internationale des Magistrats, notamment la participation aux rencontres statutaires, le paiement des cotisations, l’organisation des rencontres internationales. Certes, un contentieux oppose le SAM au Gouvernement du Mali, à travers le Ministère du Travail, de la Fonction Publique et des Relations avec les Institutions, relativement à la mise en place du CESC dont nous ne reconnaissons pas le bureau dans sa composition actuelle. La raison tient du fait que le SAM y a été irrégulièrement exclu, en dépit d’une décision de justice définitive, devenue exécutoire depuis 2002, rendue par la plus haute juridiction de l’ordre administratif du pays. Pourtant, suite à une sollicitation du ministre en cause quelques semaines précédant la composition du CESC, le SAM avait communiqué le nom de son représentant devant siéger au sein dudit organe.
Ce département aurait dû nous faire parvenir par la même voie, les raisons pour lesquelles il remettait sa propre correspondance en cause. Face à ce silence de l’interlocuteur en dépit de notre insistance, le Comité Directeur du SAM n’avait autre voie que de faire recours à la justice, devant laquelle la procédure suit actuellement son cours. En tout état de cause, ce contentieux ne pourrait suffire pour conduire l’Etat à mettre fin à ses subventions en faveur du SAM qui, il convient de rappeler, n’a intégré ces organisations internationales, qu’après l’aval des plus hautes autorités.
Le SAM est-il prêt pour le rendez-vous de la 58ème Rencontre Mondiale des Magistrats ?
Les magistrats en provenance de tous les continents doivent effectivement se rencontrer à Barcelone, en Espagne, pour la rencontre mondiale des magistrats, prévue du 04 au 08 octobre 2015. Le SAM ne devrait manquer une telle opportunité qui est le lieu privilégié de donner et de recevoir, permettant d’abord d’échanger sur des sujets de préoccupations des magistrats, ensuite sur l’état de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Outre des débats autour de thèmes d’actualité, il s’agira comme toujours de dégager des lignes de conduite et des stratégies d’action pour le renforcement de l’indépendance de la magistrature au service de la Démocratie et de l’Etat de droit.
Les sujets retenus pour la rencontre portent sur :
L’Indépendance de la Magistrature : Comment Concilier La Gestion Efficace Des Juridictions Et L’indépendance Juridictionnelle (1ère commission d’étude) ; la Procédure civile : la Preuve D’expert (2ème commission d’étude) ; la Juridiction pour mineurs : La justice Juvénile (3ème commission d’étude) ; le Droit du travail : La Motivation du Licenciement du Travailleur ; Protection contre la Violence et le Harcèlement Moral ou Sexuel sur les lieux du travail (4ème Commission d’Etude).
Avec le chantier impressionnant de construction du nouveau siège de la Cour Suprême, en phase d’achèvement, l’engagement fort du Ministre des Finances en faveur de la Cour Suprême qui se concrétise déjà en action, l’implication plus grande des Parlementaires pour un meilleur fonctionnement de l’appareil judiciaire, la nouvelle Ministre de la Justice qui se dit être à l’écoute et favorable à toute initiative allant dans le sens de la crédibilité de la justice ainsi que du renforcement des capacités de ses acteurs, etc.
En bref, au vu de ce qui se dessine pour la justice malienne, le SAM serait à l’aise, non seulement dans la présentation de son rapport, mais aussi lorsqu’il s’agira de faire part des expériences ou faire le point des projets en cours. Même si le Mali n’a pas toujours occupé la bonne place en matière de mise en œuvre sur le plan pratique, ses textes et initiatives ont le plus souvent fait honneur en tant que source d’inspiration pour d’autres. Pour nous, membres du Groupe Régional Africain, nous aurons des séances de travail pour faire le point sur l’état de la mise en œuvre du Statut du Juge en Afrique, approuvé par notre Groupe depuis 1995, statut dont je vous remets copie.
Le continent africain étant insuffisamment représenté au sein de l’UIM dont les règles et conditions d’admission restent encore rigides, le groupe devra aller en bloc et faire preuve de solidarité autour des candidatures des associations et syndicats des pays frères répondant aux critères essentiels d’adhésion. Le statut du Groupe pourrait lui-même être réexaminé, en vue de lui donner une nouvelle dynamique, tenant compte des réalités et, le Mali soutient déjà un projet de réforme du statut du groupe. Aussi, lors de la rencontre d’Alger en mai-juin 2015, le Mali a été sollicité pour l’organisation de la 22ème Rencontre Annuelle du Groupe pour l’année 2017 ; il doit faire connaître sa position à la faveur de cette rencontre de Barcelone. C’est dire que la présence du SAM à Barcelone est souhaitable, pour plusieurs raisons.
Sur l’état de l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire au Mali :
Pour le Mali, ne pas soutenir le principe de l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire, reviendrait à aller à l’encontre de la volonté du Peuple Souverain, clairement exprimée dans la Loi Fondamentale qu’est la Constitution. Les garanties constitutionnelles devraient permettre à la magistrature malienne de jouir d’un niveau d’indépendance acceptable, qui cependant pourrait toujours être amélioré. À ce titre, il serait souhaitable que le niveau de la législation ordinaire, soit à la hauteur des ambitions des constituants de 1992 qui avaient bien compris, au vécu d’expériences parfois douloureuses, le danger réel que représente une justice non indépendante ou une magistrature aux ordres.
Par ailleurs, le Conseil Supérieur de la Magistrature, censé aider le Président de la République dans sa mission de garant de l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire, devrait être élevé au rang d’organe constitutionnel doté de moyens suffisants adéquats, plutôt que d’être confiné au stade de cellule d’un service de la Présidence, ne se réunissant le plus souvent qu’à l’occasion des mutations des magistrats. L’indépendance de la magistrature est avant tout un idéal ; elle n’est en général pas totalement acquise. Les questions qui l’entourent restent d’actualité tant au Mali qu’ailleurs, notamment dans la plupart des Etats appartenant au Groupe Régional Africain de l’Union Internationale des Magistrats. Nous ne nous lasserons jamais de rappeler que cette indépendance est plus une garantie de bonne justice, avant d’être un confort pour le magistrat.
Certes, il est du devoir pour les magistrats de veiller et d’œuvrer à son renforcement. Cependant, si ceux-ci doivent puiser en eux-mêmes la force et les ressources suffisantes permettant de résister aux différentes pressions, l’Etat reste tenu de fournir à la justice les moyens et traitements adéquats permettant de résister à la tentation. Il appartient principalement aux syndicats de magistrats, de rappeler constamment au politique son devoir d’assurer cette indépendance, notamment sur le plan financier et matériel.
Pour conclure, je dirai qu’un magistrat relativement indépendant, placé dans de meilleures conditions de vie et de travail, résisterait plus à la tentation ou donnerait plus de résultat que son homologue dans le besoin, submergé par le souci du quotidien.
Cheick Mohamed Chérif Koné
Vice-président du Syndicat Autonome de la Magistrature