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2012 autour du monde : Mali, survivre sous la charia
Publié le mercredi 26 decembre 2012  |  Nouvel Observateur


Crise
© Reuters
Crise au Nord du Mali
Resident du Nord-Mali


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Depuis leur conquête du nord du pays, Aqmi et ses alliés y imposent l'ordre islamique. Témoignages d'habitants de Tombouctou, Kidal et Gao.

Amputation pour les voleurs, fouet pour les mauvais musulmans, alcool et musique interdits se généralisent au Nord Mali... Comment vit-on sous la charia ?

En octobre 2012, Sarah Halifa-Legrand, journaliste au "Nouvel Observateur", a recueilli les témoignages d'habitants de Tombouctou, Kidal et Gao au Nord du Mali. En vidéo, elle raconte comment elle a pu entrer en contact avec eux, quelle est leur situation aujourd'hui et l'enjeu en 2013 pour ce pays.
"Ce n'est encore qu'un enfant. Comment pouvez-vous faire ça à un enfant ?" Le grand-père les a implorés en vain. La machette était toute neuve, si tranchante qu'on la voyait étinceler de loin. Le gamin, 20 ans tout au plus, a eu à peine le temps de hurler de douleur que sa main droite tombait sur le sable rougi de sang, à jamais perdue pour une simple histoire de vol. Depuis ce dimanche-là, Tombouctou est en état de choc. Rien qu'au souvenir de cette scène, Oumar a froid dans le dos : "On savait qu'à Gao il y avait des amputations. Chez nous, il y avait eu la profanation des mausolées des saints, mais on n'avait jamais vu ça ! C'est à partir de ce moment-là qu'on a eu peur", raconte cet instituteur. Cela fait bientôt sept mois qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et ses alliés islamistes du Mujao et d'Ansar Dine sont devenus les nouveaux maîtres du nord du Mali où ils imposent leur vision ultraradicale de la charia. Dans ce territoire plus grand que la France, interdit aux Occidentaux sous peine d'être pris en otage, à quoi la vie ressemble-t-elle au jour le jour ?

La psychose

"Je vais vous donner un exemple et vous allez comprendre", assure Amssétou, d'une voix rendue lointaine par le mauvais réseau téléphonique. "L'autre jour, relate cette retraitée de 52 ans, une voisine qui venait d'accoucher est sortie sur le pas de sa porte sans mettre son voile, juste le temps de verser dehors l'eau qui lui avait servi à laver les langes de son bébé. C'est à ce moment-là que le 4×4 rouge d'Ahmed Moussa a déboulé. Il l'a aussitôt embarquée, et ce sont des voisins qui ont dû lui apporter son bébé en prison." Ahmed Moussa ? C'est le cauchemar des habitants de Tombouctou. Cet imam, un Touareg autochtone qui aurait séjourné un temps en Arabie saoudite, est à la tête du tout nouveau "centre de recommandation et d'interdiction islamique chargé d'appliquer la charia", explique Oumar l'instituteur. Sa mission ? Sillonner jour et nuit la ville avec ses nervis et arrêter tout contrevenant à la loi islamique. "On a l'impression qu'il est partout à la fois", raconte Amssétou. Tombouctou, Gao, Kidal, toutes les grandes villes du Nord ont désormais leur Ahmed Moussa. "On vit dans la psychose. Quand je sors de chez moi, je demande à ma famille de prier car tout peut arriver", confie un animateur radio de Gao, au chômage technique depuis que son antenne a été fermée par le Mujao.

Amputation pour les voleurs, fouet pour les mauvais musulmans, alcool et musique interdits se généralisent au Nord Mali... Comment vit-on sous la charia ?

En octobre 2012, Sarah Halifa-Legrand, journaliste au "Nouvel Observateur", a recueilli les témoignages d'habitants de Tombouctou, Kidal et Gao au Nord du Mali. En vidéo, elle raconte comment elle a pu entrer en contact avec eux, quelle est leur situation aujourd'hui et l'enjeu en 2013 pour ce pays.


Nord Mali : survivre sous la charia par LeNouvelObservateur>

Article publié dans "Le Nouvel Observateur" le 25 octobre 2012

"Ce n'est encore qu'un enfant. Comment pouvez-vous faire ça à un enfant ?" Le grand-père les a implorés en vain. La machette était toute neuve, si tranchante qu'on la voyait étinceler de loin. Le gamin, 20 ans tout au plus, a eu à peine le temps de hurler de douleur que sa main droite tombait sur le sable rougi de sang, à jamais perdue pour une simple histoire de vol. Depuis ce dimanche-là, Tombouctou est en état de choc. Rien qu'au souvenir de cette scène, Oumar a froid dans le dos : "On savait qu'à Gao il y avait des amputations. Chez nous, il y avait eu la profanation des mausolées des saints, mais on n'avait jamais vu ça ! C'est à partir de ce moment-là qu'on a eu peur", raconte cet instituteur. Cela fait bientôt sept mois qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et ses alliés islamistes du Mujao et d'Ansar Dine sont devenus les nouveaux maîtres du nord du Mali où ils imposent leur vision ultraradicale de la charia. Dans ce territoire plus grand que la France, interdit aux Occidentaux sous peine d'être pris en otage, à quoi la vie ressemble-t-elle au jour le jour ?
La psychose

"Je vais vous donner un exemple et vous allez comprendre", assure Amssétou, d'une voix rendue lointaine par le mauvais réseau téléphonique. "L'autre jour, relate cette retraitée de 52 ans, une voisine qui venait d'accoucher est sortie sur le pas de sa porte sans mettre son voile, juste le temps de verser dehors l'eau qui lui avait servi à laver les langes de son bébé. C'est à ce moment-là que le 4×4 rouge d'Ahmed Moussa a déboulé. Il l'a aussitôt embarquée, et ce sont des voisins qui ont dû lui apporter son bébé en prison." Ahmed Moussa ? C'est le cauchemar des habitants de Tombouctou. Cet imam, un Touareg autochtone qui aurait séjourné un temps en Arabie saoudite, est à la tête du tout nouveau "centre de recommandation et d'interdiction islamique chargé d'appliquer la charia", explique Oumar l'instituteur. Sa mission ? Sillonner jour et nuit la ville avec ses nervis et arrêter tout contrevenant à la loi islamique. "On a l'impression qu'il est partout à la fois", raconte Amssétou. Tombouctou, Gao, Kidal, toutes les grandes villes du Nord ont désormais leur Ahmed Moussa. "On vit dans la psychose. Quand je sors de chez moi, je demande à ma famille de prier car tout peut arriver", confie un animateur radio de Gao, au chômage technique depuis que son antenne a été fermée par le Mujao.

Les femmes, premières victimes

Il y a les arrestations pour un voile mal noué, un bijou trop voyant, les coups de fouet pour avoir fumé une cigarette et puis "tout ce qui se chuchote", dit-il. Des rumeurs qui traversent les villes comme des vents de sable. Elles font depuis très récemment état de mariages forcés avec des islamistes qui contraindraient leurs nouvelles épouses à coucher chaque soir avec un homme différent. Les derniers rapports de Human Rights Watch et d'Amnesty International sur les exactions commises dans la zone ne rapportaient pas de tels cas. "Les femmes ont sûrement peur de raconter", avance Sira. Cette mère au foyer est à bout : "Depuis qu'ils m'ont arrêtée parce que je n'étais pas voilée comme il faut j'ai trop peur, je ne sors plus. J'envoie mes enfants au marché." Pourquoi ne part-elle pas de la zone "sous occupation", comme elle dit ? "On est libres d'entrer et de sortir de Tombouctou, mais il faut pouvoir payer le transport et la vie ailleurs. On est trop pauvres."

Premières victimes de la loi islamique, les femmes et les jeunes filles doivent être voilées et couvertes jusqu'aux poignets et aux chevilles. "Bientôt, elles devront porter des gants", prévient l'animateur radio de Gao. La liste des interdits s'allonge chaque jour et, dans toutes les villes, des prisons pour femmes ont été créées. Les baignades dans le fleuve et le sport, c'est du passé. A Gao, il y a quelques jours, des fillettes qui jouaient au basket ont été arrêtées. Conduire ? "Les femmes en ont le droit, mais elles n'osent plus trop", constate l'animateur radio. Tenir un petit commerce au marché ? "Les gens du Mujao voulaient l'interdire, on leur a dit que, dans ce cas, il faudrait nourrir toutes les familles, alors ils ont laissé faire", rapporte Kata Data, un notable de Gao. "Il n'y a plus de fêtes, plus de tam-tams. On se marie encore, mais si discrètement que cela passe inaperçu", déplore Amssétou.

La musique profane, l'alcool, la cigarette sont des plaisirs qui se consomment désormais à l'abri des regards. "Il y a deux semaines, une femme qui vendait clandestinement du whisky dans sa maison a été arrêtée", raconte Oumar, l'instituteur de Tombouctou. Dans la même ville, Sira ne décolère pas depuis que "des hommes de la police islamique sont entrés jusque dans notre vestibule, où mon mari fumait en cachette en écoutant de la musique malienne sur son téléphone. Es lui ont pris ses cigarettes et sa carte mémoire en l'accusant d'avoir trahi Dieu et le prophète Mahomet !"

La monotonie

"Moi aussi, je fume secrètement, avoue l'animateur radio de Gao. Que voulez-vous, il n'y a pas de travail, c'est la monotonie." "C'est tous les jours le week-end, plaisante même un membre du «comité de crise» de Tombouctou, chargé de l'interface entre la population et l'un des chefs d'Aqmi, l'Algérien Abou Zeid, le «vrai patron de la ville». ( ...) On palabre sous l'arbre, on boit du thé ou on reste à la maison. Ils ont coupé la télé malienne, mais comme j'ai une antenne parabolique je regarde les chaînes étrangères !"

Partout, l'économie tourne au ralenti. Il n'y a plus d'administration, seuls des petits commerces fonctionnent cahin-caha. Dans les rares écoles qui ne sont pas fermées, la mixité est bannie. Les islamistes n'obligent pas les enfants à aller dans les écoles coraniques, "mais ça ne saurait tarder", parie un jeune professeur touareg de Kidal. Les marchés sont bien approvisionnés, par les camions venant du sud du pays mais aussi de l'Algérie voisine, d'où vient également le carburant. A Gao et à Kidal, le prix des denrées alimentaires a même été presque divisé par deux, grâce à l'absence de taxe. "Mais on n'a pas d'argent !" Dans toutes les villes, c'est la même antienne. Les fonctionnaires ont beau continuer à recevoir leur salaire et les vieux, leur retraite, c'est la croix et la bannière pour récupérer l'argent, les banques ayant toutes été saccagées. Amssétou passe "par un chauffeur de bus. Il me rapporte ma retraite de Bamako". Les plus pauvres s'en remettent aux ONG, comme Handicap International, qui a distribué des céréales. Ou aux islamistes.

Grâce aux rançons versées lors des libérations d'otages, au trafic de drogue et à de généreux donateurs étrangers, notamment qataris, les groupes armés achètent les recrues et la sympathie des habitants. "Ils ont donné 50 millions de francs CFA aux notables pour faire fonctionner les groupes électrogènes afin qu'on ait gratuitement de l'eau et de l'électricité", rapporte Boubacar, un jeune de Gao. "Ils endoctrinent en donnant 1 000 francs CFA aux jeunes villageois désoeuvrés", accuse le jeune professeur touareg de Kidal. "L'islamisation gagne du terrain. C'est inquiétant car il n'y a pas d'étrangers à Kidal, les islamistes sont des gens de chez nous", alerte-t-il. Les groupes armés organisent aussi des transports gratuits en brousse, réglementent la vitesse en ville, encadrent l'abattage des arbres... Les histoires de policiers islamistes "chicotés" (fouettés) publiquement par leurs supérieurs pour avoir abusé de leur pouvoir sont fréquentes.

"Tout cela fait partie de leur campagne de séduction. Mais nous ne sommes pas dupes, nous savons que ce sont des monstres", avertit le notable du comité de crise de Tombouctou. D'autres sont pourtant séduits : "Avant leur arrivée, la situation n'était pas bonne. Ils ont rétabli la sécurité", observe Boubacar à Gao. Et d'enchaîner : "Les gens ne sont pas tous contre la charia. Certains pensent qu'il faudrait tuer les voleurs et pas seulement leur couper la main." Il y a ceux qui adhèrent, ceux qui collaborent, ceux qui tolèrent, ceux qui subissent et ceux qui résistent. "J'en ai vu qui refusent de saluer les policiers islamistes", raconte Oumar, l'instituteur de Tombouctou, impressionné par tant d'audace. Le 6 octobre, des femmes sont allées courageusement crier leur ras-le-bol devant le commissariat islamiste, avant d'être dispersées par des coups de feu tirés en l'air. Sira était parmi elles, pour dire combien elle "ne respire plus". L'animateur radio de Gao raconte qu'"un soir des jeunes ont tabassé un islamiste venu chicoter des filles qui bavardaient dehors avec eux".

A en croire les témoignages, depuis peu, la machine islamiste semble s'enrayer. A Gao et Tombouctou, les nouveaux patrons parlent de taxer la population pour faire fonctionner les groupes électrogènes. "Ils semblent être à court de liquidités. On ne les voit plus faire des achats en ville, remarque le notable de Tombouctou. Et des membres de la police islamiste disent qu'ils ne sont plus payés." La semaine dernière, ils ont libéré des prisonniers... contre une caution de 100 000 francs CFA (environ 150 euros). Combien de temps les islamistes vont-ils tenir ?

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