On le sait déjà : l’administration du football malien sombre dans l’abîme depuis dix mois pour des querelles internes et des intérêts strictement personnels. Mais, à partir de la semaine dernière, on s’achemine infailliblement vers une mort certaine de la discipline au Mali, la crise ayant été transposée chez les joueurs de l’équipe nationale seniors, qui avaient menacé de boycotter le match amical de vendredi dernier contre le Burkina Faso à Troyes, en France, si les primes de leur dernier match contre le Bénin n’étaient pas versées. Le comble, c’est que les Aigles s’attaquent à l’Etat malien, tout en soutenant la fédération, qui assure une délégation de pouvoir de ce même Etat. Il y avait visiblement et sans conteste une instrumentalisation des jeunes. Par qui ? Nous donnons des pistes.
Au-delà, le mouvement ayant été lié au non-paiement de primes, l’on est fondé de chercher à savoir là où vont les sommes versées à la fédération au titre des bonnes prestations des sélections nationales et le remboursement des voyages internationaux des mêmes équipes. A quoi sert cet argent ? Où va-t-il ?
Nous ouvrons un large dossier à partir de ce numéro.
Le mercredi 7 octobre dernier, l’opinion découvrait, via les médias étrangers, un communiqué des Aigles du Mali dénonçant les engagements non tenus par l’Etat malien à leur égard. Et les joueurs menaçaient de boycotter le match amical du surlendemain contre le Burkina Faso à Troyes, en France, si les primes de leur dernier match contre le Bénin n’étaient pas versées. Ce chantage est confirmé sur les ondes de Rfi par l’ancien international, Fousséni Diawara (un manager sans contrat), qui apporte le soutien des jeunes au président de la Fédération malienne de football qui, selon lui, va dans le sens des joueurs.
Un (mauvais) tireur de ficelles
Plus en détails, vendredi dernier, le Mali a joué et gagné, en France, un match amical contre le Burkina Faso (4-1). C’était dans le cadre de la préparation de l’équipe nationale pour les matches contre le Botswana en novembre (2è tour des éliminatoires de la Coupe du monde 2018 en Russie) et la Guinée Equatoriale (3è journée des éliminatoires de la CAN 2017 au Gabon).
Ce match était très attendu par le peuple malien qui avait besoin d’une assurance sur la forme de son équipe après le nul concédé, le 6 septembre, à Cotonou face au Bénin (2è journée des éliminatoires de la CAN 2017).
Mais, à la stupeur générale, c’est un communiqué, signé de certains joueurs, qui tombent l’avant-veille du match. Dans cette missive, diffusé dans plusieurs médias étrangers, on peut lire : « Actuellement en préparation pour notre match du mois de novembre (dans le cadre de la phase éliminatoire pour la Coupe du monde), nous sommes confrontés, depuis quelques semaines, à plusieurs problèmes qui viennent perturber notre préparation : manques d’équipements, staff médical incomplet (pas d’ostéopathe, de docteur), l’Etat qui ne respecte pas ses engagements liés aux versements des primes et des remboursements… ».
Ce communiqué est relayé sur Rfi par Fousséni Diawara (manager déclaré de l’équipe nationale, sans contrat avec l’Etat, sensé le payer) qui enfonce le clou. Dans sa sortie, l’ancien latéral droit des Aigles avoue le soutien des joueurs au président de la fédération malienne de football, dont il confirme qu’il va dans le sens des joueurs.
En clair, les joueurs signataires et le manager (imposé sans contrat par la fédération) dénoncent l’Etat « qui ne respecte pas ses engagements » d’un côté, mais reconnaissent, de l’autre, les efforts de la fédération qui n’est pourtant que l’interface entre eux et l’Etat. Un paradoxe qui cache sans doute une manipulation. Tout comme, les langues se délient et les preuves sont établies sur l’identité du vrai rédacteur du communiqué brandi aux joueurs mais que certains ont refusé de signer.
Pour en revenir au problème de primes non payées, l’aspect le plus médiatisé du feuilleton, une main invisible a sans aucun doute créé sciemment une situation qui n’existe pas, pour pourrir l’atmosphère au sein du département dont les premiers responsables s’apprêtent à prendre toutes leurs responsabilités dans la crise qui secoue le football malien.
Pourquoi disons-nous qu’il n’y a pas de problème de primes non payées ?
D’abord, parce que les principaux responsables de cette situation, ce sont les joueurs eux-mêmes qui refusent d’ouvrir des comptes bancaires au Mali afin qu’on y vire leurs primes. Or, après chaque match, les joueurs rejoignent leurs clubs respectifs dans les 48h ou 72h. Les états financiers n’auront donc pas suivi toute la procédure afin que l’argent soit décaissé au trésor, le montant des primes ne pouvant être connu avant la fin du match. En effet, la prime varie selon que le match s’achève sur une victoire ou un match nul.
L’Etat ne pouvant pas se promener dans les pays africains, européens, asiatiques et ailleurs pour remettre à chaque joueur sa prime, un principe a été arrêté : les primes du dernier match sont payées aux joueurs lors du regroupement suivant, contrairement aux primes de sélection versées aux joueurs avant le match.
Ce mécanisme fonctionne à merveille, du moins jusqu’à la semaine dernière. Justement, à propos des primes du match contre le Bénin, les joueurs ont perçu leurs primes de sélection. Pour les primes du match nul du 6 septembre, il était systématiquement connu qu’elles seront versées lors du regroupement de Mali-Burkina en France. Mieux, il avait été formellement convenu que ce sera le 9 octobre, exactement.
Alors, pourquoi faire un tollé avant cette date ? Pourquoi se rebeller contre une convention qui n’a jamais souffert d’aucune contestation ? Réponse : il y a un tireur de ficelles tapis sous l’ombre.
Où vont les recettes du football ?
Le plus incompréhensible, c’est qu’il n’y a pas d’arriérés de primes, mais une seule prime, déjà décaissée et que les joueurs n’ont pu toucher par leur propre faute. Si Seydou Kéïta était là, il n’aurait jamais adhéré à une telle initiative de chantage et il aurait convaincu ses camarades de ne pas tomber dans un tel piège de dénigrement de l’Etat.
Aujourd’hui, la situation a quasiment pris des allures d’affaire d’Etat. C’est pourquoi, l’on est en droit de se poser certaines questions, légitimes, à propos de la gestion des recettes générées par le football. Qui les perçoit ? Où vont-elles ? Qui finance les activités du football ? Qui en tire les retombées ?
Nous reviendrons dans nos prochaines parutions sur l’ensemble de ces interrogations. Mais il convient de lever le lièvre sur quelques cas pratiques.
Récemment, les autorités sénégalaises ont révélé que l’Etat a perçu 487 millions de FCFA suite à la 4è place obtenue à l’issue de la dernière coupe du monde U20 (juniors) en Nouvelle Zélande, battu justement par le Mali. Dans la même compétition, le Mali est monté sur le podium, se classant 3è derrière la Serbie et le Brésil. Or, à ce jour, le peuple malien n’a pas vent d’une quelconque prime de médaille de bronze versée au football, ni le montant. Dans les allées du département des sports, nul échos de cet argent. Alors, est-il en caisse à la fédération en attendant un compte-rendu ? A combien le montant versé au Mali ?
Deuxième aspect qui suscite des interrogations : les remboursements des frais de déplacements des équipes lors des matches internationaux.
En effet, les frais engagés dans les déplacements des équipes nationales pour les matches internationaux sont remboursés par la Fifa sur présentation de la facture. Au Mali, c’est l’Etat qui préfinance les déplacements des équipes. Et les sommes engagées sont récupérées après avec la facture. Qu’en est-il de la dernière CAN, en Guinée Equatoriale ? Nous n’en dirons pas plus. Pour le moment.
Pour l’heure et pour l’intérêt de tous, c’est de laisser les joueurs et leur encadrement en dehors de la crise interne à la fédération et qui devrait en principe connaître son épilogue dans les prochains jours.
Sékou Tamboura