INTERVIEW - L'attaque contre un hôtel à Sévaré n'a pas encore été revendiquée, cependant elle s'inscrit dans un contexte de regain de violence de la part du groupe «Al-Qaida au Maghreb Islamique» (Aqmi). Pour le spécialiste du terrorisme Alain Rodier, l'armée française est encore appelée à jouer un rôle important et durable dans la région.
Spécialiste du terrorisme et de la criminalité organisée, ancien officier au sein des services de renseignement français, Alain Rodier est directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).
LE FIGARO. - L'Attaque contre un hôtel de Sévaré au Mali a fait 12 morts, dont 5 militaires maliens, 5 terroristes et deux blancs, d'après les derniers éléments donnés par l'armée. Après deux attaques d'Aqmi ayant fait 13 morts chez les militaires, c'est la troisième action de ce type en moins d'une semaine. Quelle interprétation en faites-vous?
Alain RODIER: Le «théâtre d'opérations sahélien» d'Al-Qaida via sa branche «Al-Qaida au Maghreb Islamique» (AQMI) est toujours vivant. En particulier, son chef, Abdelmalek Droukdel, est toujours dans la nature. Il semble qu'il ait donné des ordres pour que son mouvement reprenne l'initiative, non seulement en Algérie qui a connu plusieurs opérations sanglantes ces dernières semaines, mais aussi sur son front sud, en particulier au Mali.
Dans ce dernier cas, il est aussi possible que la branche dissidente al Mourabitoune soit derrière cette affaire mais il convient de se rappeler que son émir, Mokhtar Belmokhtar alias «Mr. Marlboro», même s'il ne reconnaît plus l'autorité de Droukdel, reste pour le moment fidèle à Ayman al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaida «canal historique».
Il reste l'option Daech mais je ne crois pas que ce mouvement soit capable de lancer une telle opération dans la zone pour l'instant.
Les suites de l'enquête devraient nous éclairer sur qui a fait quoi, d'autant qu'il y aurait sept prisonniers. De plus, selon l'habitude, une revendication devrait tomber dans les jours qui viennent.
Il est peu probable que l'armée française puisse quitter cette zone d'opérations qui est vitale pour Al-Qaida «canal historique».
La France a apporté sa contribution dans la résolution de cette prise d'otages. Notre armée est-elle «condamnée» à rester durablement dans la région, pout épauler les forces régionales?
La guerre au Sahel s'inscrit dans celle déclenchée contre le terrorisme - je n'aime pas cette expression car on ne fait pas la guerre contre un «moyen» mais contre des hommes qui défendent une idéologie et qui utilisent le terrorisme (comme la guérilla ou la guerre conventionnelle) ; mais pour simplifier, je l'utilise tout de même - d'origine islamique radicale dans le monde entier. Il est peu probable que l'armée française puisse quitter cette zone d'opérations qui est vitale pour Al-Qaida «canal historique». En effet, AQMI fait partie intégrante de la nébuleuse Al-Qaida «canal historique». Pour exemple, le 5 août, un communiqué commun signé par le Front al-Nosra agissant sur le théâtre syrien, par Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) à l'offensive actuellement au Yémen et par AQMI, a fait l'apologie du Mollah Omar dont la mort vient d'être officialisée. Or, ce dernier était le guide spirituel d'Al-Qaida «canal historique». On s'aperçoit donc bien que la nébuleuse agit de conserve sur plusieurs théâtres: Sahel, Syrie, Yémen sans compter la zone Afpak, la Somalie et le «nouveau secteur du sous-continent indien» qui comprend l'Inde et le Bengladesh (où un quatrième blogger défendant la laïcité a été assassiné le 7 août sur ordre d'Al-Qaida). Il serait illusoire de croire que l'on va pouvoir quitter la région sahélienne alors que la relève n'est pas encore assurée. Certes, des accords ont été signés entre Bamako et les Touarègues, mais AQMI est un cas à part qu'il faut traiter avec toute l'efficacité nécessaire. La menace est grande car Daech affûte ses armes en Libye voisine et Boko Haram étend ses tentacules vers le Tchad, le Niger et le Cameroun. Des actions terroristes peuvent avoir lieu à tout moment et n'importe où.
Il serait illusoire de croire que l'on va pouvoir quitter la région sahélienne alors que la relève n'est pas encore assurée.
Au vu de la capacité de nuisance d'Aqmi, la situation dans les pays et dans les régions avoisinantes est-elle inextricable? A quelles conditions la présence de la France pourrait-elle ne plus être nécessaire?
La situation au Sahel est préoccupante. A mon humble avis, il serait utile de redéfinir l'action de la France dans la globalité de la guerre contre le terrorisme. Les moyens déployés en Irak pourraient être rapatriés sur le Sahel où ils seraient bien utiles. De toutes façons, en Irak (et en Syrie), ce sont les Américains qui sont principalement à la manoeuvre. Je ne pense pas qu'ils aient vraiment besoin de nous sur un plan opérationnel sur place (par contre, nous avons besoin d'eux au Sahel, en particulier au niveau de la logistique, des ravitaillements, du renseignement technique, etc.).