La visite d’Etat que le président Ibrahim Boubacar Kéïta effectue cette semaine en France et annoncée à grande pompe médiatique par les services de communication de la présidence et l’Elysée, prouve à suffisance qu’IBK est et demeure l’Homme de la France; un élève que le président François Hollande élève à une hauteur jamais caressée par un chef d’Etat malien. Koulouba et l’Elysée entonnent en effet, fièrement, que c’est la première visite d’Etat pour un président malien en France. Mais les Maliens s’interrogent : pourquoi, depuis l’indépendance en 1960, aucun chef d’Etat n’a reçu un tel honneur ? Réponse : aucun des prédécesseurs d’IBK ne s’était distingué en obligé de Paris et chacun d’eux a eu son coup de bec avec son homologue français de son époque. Par contre, aussitôt instauré au perchoir, l’actuel chef de l’Etat cède tout à la France. Ainsi, de l’autorisation de l’installation des militaires français sur le territoire malien à la libération de terroristes, IBK n’a jamais dit NON à Hollande. Alors, cette soumission explique-t-elle ce grand honneur, que revendique déjà l’entourage d’IBK. Sans doute !
Depuis une semaine, l’actualité nationale est marquée par la visite d’Etat en France du président Ibrahim Boubacar Kéïta du 21 au 22 octobre. Les médias d’Etat maliens, la presse privée et en ligne nationale ainsi que les radios relaient, sans discontinuer, cet événement pour lequel les Maliens sont tympanisés jour et nuit.
Les services de communication de et de l’Elysée, l’Ambassade de France au Mali prennent toutes les précautions utiles pour mettre l’accent sur le fait que c’est la toute première visite d’Etat d’un président malien en France. Et, ils engagent même la polémique avec ceux qui veulent en savoir plus ou informer le peuple autrement.
Pourquoi ces structures se donnent-elles le plaisir et autant de peine à mettre en avant cet honneur suprême ? Que cache cette campagne de plaidoyer pour une (simple ?) visite qui passerait presque inaperçue sous d’autres cieux ? Le peuple malien et l’opinion internationale s’interrogent.
Non à la France !
De Modibo Kéïta à Amadou Toumani Touré, les rapports entre les présidents maliens et leurs homologues français n’ont pas été toujours roses, et par conséquent, les relations entre le Mali et la France.
Tout a commencé sous Modibo Kéïta, premier président du Mali indépendant. La France colonisatrice attendait de lui une sorte d’allégeance aveugle pour avoir été élu, en 1956, député à l’assemblée nationale française dont il fut vice-président. Mais aussi secrétaire d’État dans les gouvernements français de la Quatrième République : secrétaire d’État à la France d’Outre-mer du gouvernement Maurice Bourgès-Maunoury (du 17 juin au 6 novembre 1957) et secrétaire d’État à la Présidence du Conseil du gouvernement Félix Gaillard (du 18 novembre 1957 au 14 mai 1958).
Cependant, sans désobliger la France, Modibo Kéïta choisit l’option socialiste, prônée par l’ennemie soviétique. L’alliée d’hier ne le gobera pas. Modibo tombe après 8 ans de règne.
Arrivé en novembre 1968 au pouvoir, Moussa Traoré joue pendant longtemps le jeu français, sans se compromettre à fond.
Le discours de La Baule prononcé par le président de la République française, François Mitterrand, le 20 juin 1990, dans le cadre de la 16e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France qui s’est déroulée dans la commune française de La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique), crée le clash entre le général Moussa Traoré et Mitterrand.
Au sommet de La Baule, les pays africains sont invités à accélérer leur processus de démocratisation en vue d’une pérennisation des échanges avec la France. Car, pour François Mitterrand, « Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement ». Moins d’un an plus tard, Moussa Traoré coule.
Elu démocratiquement en 1992, Alpha Oumar Konaré mène une politique de coopération normale avec la France. Sans plus.
Mieux, en 1994, Alpha a solennellement refusé de se rendre à Dakar pour rencontrer le Président Jacques Chirac, en disant que celui qui a besoin de rencontrer le président malien se rend au Mali. Chirac était parti à Dakar pour rencontrer ensemble les présidents des pays de l’ex-AOF; à Libreville au Gabon pour rencontre ceux de l’Afrique centrale. Si les Lansana Conté et consorts sont partis en courant, le nationaliste Alpha Oumar Konaré a refusé cela, pour l’Histoire.
Pour cela et pendant 8 ans, Alpha n’a pas eu droit à un honneur de visite d’Etat.
Puis, arriva, en 2002, le président Amadou Toumani Touré. ATT ne fera pas moins qu’Alpha. Il entretient et maintient les relations ordinaires entre les deux pays.
Mieux, il refusera de signer l’accord de réadmission soumis à lui par le président Nicolas Sarkozy et tant d’autres actes non catholiques que voulait lui imposer le « Hongrois ». A un mois de la fin de son mandat, ATT est renversé, plongeant le Mali dans le plus grand chaos de son histoire. Le pays y sombre aujourd’hui encore.
Détail très important à signaler : tous ces présidents ont refusé de signer un (vrai) Accord de défense avec la France. Ils ont refusé de vendre une portion du territoire à la France.
Donc, aucun d’entre eux ne pouvait prétendre à un honneur de visite d’Etat. Le voulaient-ils d’ailleurs réellement ?
IBK : le plus Français des présidents maliens !
Avec IBK, ce fut tout le contraire. Installé en septembre 2013, le cinquième président du Mali se livre poings et pieds liés au vingt-quatrième président de la France et le septième de la cinquième République, Jacques Chirac.
Comme le malade au cou plâtré, IBK ne peut remuer la tête à Hollande. Une allégeance, une adoration, une soumission qui lui valent sans doute d’être le premier président malien à effectuer une visite d’Etat en France. Inchallah !
Deux actes majeurs posés par IBK pour satisfaire Hollande peuvent être pris en exemples. Malheureusement pour le Mali.
Premier acte : le 16 juillet 2014, IBK offre, enfin, son Accord de défense, celui que les Français ont taillé sur mesure pour leurs intérêts.
En effet, ce jour-là, le ministre de la Défense et des Anciens combattants, le colonel-major Bah N’Daw et son homologue français Jean-Yves Le Drian apposaient leurs signatures au bas du traité de défense entre le Mali et la France. Ce traité de défense remplace l’accord de coopération de sécurité qui existait entre le Mali et la France depuis 1985.
Aussitôt après la signature, les deux ministres montent au palais de Koulouba pour montrer le document signé au président de la République. Sur place, Ibrahim Boubacar Keïta décore trois officiers français : le général Marc Foucaud, commandant de l’opération Serval, le général Antoine Nauguier, chef du cabinet du ministre français de la Défense et le colonel Thiery Marchand, un autre commandant de « l’opération Serval ».
On se rappelle encore ce que le ministre français de la Défense a confié à la presse : « Nous avons signé un traité de défense qui remplace un accord de coopération sécuritaire qui datait de 1985. Donc, il était nécessaire que les relations entre nos deux pays soient garanties juridiquement par un acte de cette importance, comme on le fait d’ailleurs avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire, etc. Cela permet de fixer le cadre de coopération. Le cadre de la coopération en matière de formation d’équipement, de communication. Cela veut dire aussi, avoir les garanties juridiques pour le personnel militaire présent ici au Mali ou le personnel malien présent en France. Dans ce cadre, c’était nécessaire. Le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta le souhaite et c’est une bonne chose pour nos relations ».
Ce que Le Drian ne dit pas, c’est qu’avec cet Accord, la France fait désormais tout ce qu’elle veut au Mali. Et nul ne pourra convaincre le peuple du contraire. Ça, c’est du IBK.
Deuxième acte : en décembre 2014, l’opinion internationale et le peuple malien apprennent avec stupeur qu’IBK a libéré le terroriste, Mohamed Ali Ag Wadoussène, le bourreau de Kola Sofara, garde pénitentiaire sauvagement assassiné en mai 2014.
Wadoussène a été libéré en contrepartie de la libération de l’otage français Serge Lazarevic, détenu par Aqmi.
Ironie du sort : le terroriste Wadoussène était incarcéré pour avoir participé à l’enlèvement de Philipe Verdon et Serge Lazarevic à Hombori le 4 novembre 2011, aux massacres d’Aguelhoc et pour avoir assassiné Kola Sofara.
Pour permettre la libération du dernier otage français dans le sahel, la France a tordu la main au président IBK, qui a cédé. Pour se dédouaner, IBK dira que Wadoussène sera rattrapé et tué dans les montagnes. Vous avez dit impunité ? C’est du IBK.
Au cas de Wadoussène, il faudra ajouter la libération du juge islamique de Tombouctou, Houka Houka, qui a coupé beaucoup de mains. Cette libération était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et les Maliens ont montré leur colère en descendant dans la rue pour demander des explications au ministre de la Justice de l’époque, Me Mohamed Aly Bathily.
Devant les marcheurs, celui-ci confiera que la libération de Houka Houka n’est pas fortuite et qu’elle s’explique par le fait qu’il sert de source d’informations pour le Mali, étant au courant de tout ce qui se trame au nord contre le Mali. Pauvre explication d’un ministre de la justice aux ordres d’un président (IBK), lui-même aux ordres d’un homologue (Hollande).
Dès lors, vous avez les racines de la visite d’Etat d’IBK en France. Une première !
Sambou Diarra