Dans un entretien exclusif, Hamil Boubacar Touré, porte parole des jeunes patrouilleurs en langue Sonrhaï « Lawra Zankey » ou Brigade de vigilance de Gao qui regroupe la commune de Gao, Gounzourey, Sonni Albert et Gabero, nous parle de Gao depuis son occupation à nos jours, le rôle déterminant qu’ont joué les jeunes, le quotidien des habitants et leur détermination à en découdre avec les envahisseurs. Pour ceux qui ne les connaissent pas, cette brigade constituée de jeunes natifs de Gao qui s’est soulevée contre les séparatistes du MNLA en les chassant de leur ville. Grâce à eux l’hôpital de Gao fonctionne aujourd’hui, car ils ont facilité la récupération des matériels sanitaires volés. Ces jeunes continuent à braver les interdictions des intégristes du MUJAO. La preuve, ils ont organisé un tournoi de football du 15 septembre au 15 octobre dernier au vu et au su des barbus. Et n’hésitent pas à rappeler la police islamique à l’ordre
Journal Enquêteur : Que représente cette brigade à Gao ?
Hamil Boubacar Touré (H.B.T) : Cette brigade représente la jeunesse de Gao qui s’est constituée immédiatement après la prise de la ville de Gao le 31 mars 2012. Plus précisément le 2 avril 2012 les jeunes leaders de Gao se sont constitués en un mouvement de patriotes de Gao ou brigade de vigilance Gao dont le premier objectif est la protection des personnes et de leurs biens. Comme deuxième objectif, la réunification en aidant l’armée malienne à reconquérir les villes du nord et plus particulièrement la ville de Gao. Voilà la raison de la création de ce mouvement.
J.E : Y-a-t-il un rapport entre vous et les groupements armés du Mujao, Ançar dine, MNLA ?
H.B.T : Il n’y a aucun lien entre nous, d’autant plus qu’on a très bien dit que c’est un mouvement de résistance, qui s’est créé immédiatement comme je l’ai dit après la prise de Gao, le 31 mars 2012. Nous n’avons aucun lien avec ces mouvements qui sont au nord du Mali, que ce soit ceux qui sont présents comme ceux qui sont partis. La preuve en est que nous sommes mobilisés contre ces mouvements à la prise de Gao, plus précisément d’abord contre le MNLA qui, en son temps, quand ils avaient pris la ville de Gao, nous avait approché pour constituer une jeunesse au nom de l’Azawad. Nous leur avons ouvertement dit que nous restons et demeurons attachés au Mali et nous resterons Maliens. Voilà pourquoi, nous avons dit qu’on n’a aucun lien avec ces gens. Et pire encore, la première révolte qui s’est passée à Gao, c’était contre le Mujao. Entre le 14 et le 15 mai 2012, il y a eu une première révolte de la jeunesse de Gao contre les islamistes qui avaient, en son temps, un dimanche 13 mai, battu des jeunes au niveau du 2e quartier de Gao et cassé leurs jeux vidéos, ainsi de suite; et immédiatement le lendemain, cette jeunesse de Gao, à la tête des brigades de vigilance, s’est révoltée contre le Mujao et tous les autres mouvements qui étaient sur place, c’est-à-dire Ançar dine, MNLA, Mujao et consorts.
J.E : Comment vous vous êtes organisés pour mener cette brigade, quels moyens ou soutiens aviez-vous pour mener cette noble mission patriotique ?
H.B.T : Cette mission noble et patriotique, nous on l’a dit, ce n’est pas politique, c’est un devoir de génération, nous nous sommes constitués sans contrepartie, c’est-à-dire que nous n’avons aucun moyen, aucun soutien, nous nous sommes dits que c’est un devoir de génération et que c’est l’histoire qui nous jugera. Nous sommes des jeunes leaders comme je l’ai dit, on s’est dit que c’est un devoir pour nous en tant que jeunes de Gao de défendre la ville de Gao et d’autres villes qui sont sous occupation. Donc nous n’avons pas de contrepartie, nous sommes constitués, je le dis haut et fort pour prendre notre ville en charge, en quelque sorte pour garder notre ville, nos parents contre les envahisseurs.
J.E : Comment avez-vous vécu la prise de Gao et parle-nous un peu du quotidien sous occupation ?
H.B.T : Je dis qu’aujourd’hui on n’a pas besoin de dire ce que les populations du nord vivent. C’est-à-dire tout ce qui se passe au nord est vécu immédiatement au sud et puis aussi aux yeux du monde. Tout le monde sait ce qui se passe réellement. Aujourd’hui les populations du nord, les populations de la ville de Gao souffrent de cette occupation d’autant plus que les gens ne se sont jamais dits que ça allait prendre tout ce temps. Nous-mêmes qui sommes constitués en mouvement, on pensait que c’était une question d’une semaine ou deux maximum, soit un ou deux mois. Mais nous sommes surpris de voir l’ampleur que cette occupation est entrain de prendre. Cette ampleur nous n’arrivons pas à la comprendre, d’autant plus qu’aujourd’hui, il faut reconnaître que ça fait quand-même beaucoup de mois. Depuis le mois de juillet nous n’avons pas reçu quelque chose de la part ni des organisations, ni des associations humanitaires, ni de l’Etat malien pour venir en aide à cette population. Aujourd’hui la population du nord, la population de Gao se débrouille, se donne les petits moyens que les gens ont, d’autant plus qu’il n’y a aucun mouvement, le commerce ne fonctionne pas, il n’y a pas de fonctionnaires au nord, la population est restée elle-même sous occupation où les femmes n’ont plus la liberté de se promener comme elles veulent, elles n’ont pas le droit de faire le commerce comme elles veulent, elles n’ont pas également le droit de s’habiller comme elles veulent. Autrement dit, ils ont amené une nouvelle loi à Gao par rapport aux femmes et chaque femme avant de sortir doit porter le hidjab. Dans une zone qui est sous occupation où les gens cherchent à manger, on te demande de payer un habit de 10 000 à 25 000 F CFA. C’est-à-dire on te demande de rester à la maison. Quand tu pars au marché sans ces habits tu es bastonnée, humiliée devant tout le monde. En grosso modo tout le monde est privé de liberté, à savoir la liberté d’expression, de mouvement et même de mener les activités qu’on veut. Aujourd’hui c’est pénible de vivre au nord. La population du nord restée sur place est à saluer après huit mois sous occupation.
J.E : Accepteriez-vous aujourd’hui une élection au Mali avant la libération des régions du nord du Mali comme le préconisent l’ONU et la classe politique ?
H.B.T : Moi, je pense que les hommes politiques tiennent plus aux élections qu’à la libération du pays. Ça c’est politique. Je n’en disconviens pas. Mais, que les deux se fassent concomitamment, c’est de ne pas mettre la reconquête du nord au second plan. Pour penser aux élections, il faut que l’armée parvienne à prendre au moins les grandes villes d’abord pour que nous sentions que nous sommes en République du Mali. Là les gens qui sont dans les coins reculés peuvent venir voter dans la ville de Gao, Kidal, Menaka, Tombouctou et Douentza. Là on peut dire que la reconquête a commencé, mais sans prendre une seule ville, pour dire qu’il faut faire des élections ? Nous nous refusons. La reconquête est primordiale et quiconque tentera de l’ignorer, nous trouvera sur son chemin. Les gens du nord ne demandent que la solidarité des autres frères du Mali pour alléger leur souffrance.
J.E : Selon votre analyse, est-ce que l’armée malienne peut reconquérir seule les régions nord du Mali?
H.B.T : Bien sûr ! La preuve, à chaque fois qu’on parle d’intervention militaire ces bandits armés sont pris de panique et enregistrent des défections dans leurs rangs. Ces gens sont des maitres d’intimidation et de chantage. Mais depuis qu’on a dit que la reconquête a été remise jusqu’en septembre 2013, ils sont revenus. Ils ne sont pas nombreux dans la ville de Gao et rares sont ceux qui y passent la nuit. A commencer par le chef de guerre du MUJAO, Abdoul Hakim qui est toujours sur le qui-vive. Quand il rentre chez-lui, il ne dure pas et fait tout pour que les gens ne maitrisent sa position, il a peur de la population. La preuve, un de nos éléments, Mamadou Maïga a bastonné six éléments de la police islamique au marché de Gao tout récemment, parce qu’ils voulaient frapper une fille devant lui et il s’est opposé. Les gens du Mujao l’ont arrêté, mais il a été vite libéré. Avec un peu de soutien venant des autres, on les chasse de Gao. Si l’armée se lève, nous allons les soutenir activement. On sait où ils se trouvent et on sait où ils dorment. Ce n’est pas impossible, l’armée seule peut relever le défi de la reconquête du nord. Nous ne devons attendre personne.
J.E : En tant qu’habitant de Gao que pensez-vous de l’initiative citoyenne du Biprem Fasoko qui projette de mobiliser plus de 100 000 personnes pour la réunification du pays, à commencer par la ville de Gao ?
C’est salutaire ! Si c’est bien organisé, les gens de Gao n’attendent que ça, car ils se sont beaucoup plaints du manque de solidarité de la part des régions libres. Nous avons toujours sollicité le soutien actif des ressortissants du nord qui sont dans les régions libres, c’est à dire vivant dans le sud. A part quelques gestes symboliques, on a rien vu de concret. Cette initiative du Biprem Fasoko peut être l’élément déclencheur de la libération du nord.
Une telle initiative, tous les gens qui sont restés sur place vont la soutenir sans contrepartie. Ça sera vraiment salutaire de voir nos frères et sœurs venir à notre rescousse, on n’attendait que ça pour chasser les envahisseurs au prix de notre vie.
J.E : Un cri de cœur ?
Mon appel à lancer, nous pensons que la jeunesse doit être au devant de cette histoire. Chaque jeune du Mali doit se mobiliser pour la réunification du pays. Car le Mali de demain c’est nous. Aujourd’hui c’est un devoir de génération qui s’impose à nous. Nous n’avons pas le droit d’abandonner le nord du Mali parce qu’il est sous occupation. C’est ce que nous les jeunes de Gao, on a fait depuis le début de l’occupation. Nous avons montré à ces envahisseurs que nous sommes du nord, nous resterons du nord; nous sommes du Mali nous resterons du Mali. Tous les maliens doivent se lever comme un seul homme pour le combat de la réunification de notre cher pays, le Mali. Nous ne demandons à nos autorités qu’une reconnaissance à l’endroit de la jeunesse de Gao. C’est grâce à elle que l’hôpital fonctionne, les caniveaux ont été curés et même les bandits du MNLA qui ont ouvert la voie aux terroristes, ont été chassés.
L’Etat doit agir le plus rapidement possible, car il ya quatre jours de cela la ville de Gao est privée d’électricité.