Il ne saurait y avoir de véritables avancées dans la recherche d’une solution durable à la crise que traverse le pays si la communauté internationale, qui est censée nous aider, n’a pas en face d’elle un interlocuteur légitimement élu.
Balla Seye
Il est des moments où l’on se sent étrangement seul et impuissant. Des moments où, alors que des illuminés créent le chaos dans le Nord, au nez et à la barbe du monde entier, on se demande ce que l’on a pu faire au bon Dieu pour mériter un sort pareil. Des moments où l’espoir et l’inspiration vous manquent, au point de penser au pire scénario qui puisse exister, pourvu qu’il soit un remède définitif aux maux de tête qui vous terrassent à force de réfléchir.Mais c’est justement en ces moments de déréliction qu’il importe de se ressaisir et de rechercher dans le noir la petite lueur d’espoir qui pourrait marquer le début d’une ère nouvelle.
Alors que les contendants se tirent dans les pattes, qu’au Conseil des Sinistres, les mesures individuelles ont la cote et qu’à l’Assemblée Nationale, les Dépités font des tours pour rien, les cœurs des Maliens balancent entre espoir et désillusion. Et c’est peu dire tant le chaos et la confusion qui règnent actuellement dans le pays annihilent toute lisibilité de la scène socio-politique. Ainsi a-t-on vu l’intervention militaire s’approcher puis s’éloigner, les institutions se relever puis s’abaisser, les hommes partir puis revenir et vice-versa, sans pouvoir jusqu’à présent dire où nous en sommes dans la réalisation des deux objectifs que nous nous étions fixés au mois d’avril dernier, à savoir l’organisation des élections présidentielles et la reconquête du Nord du pays. Il appert tout de même que si le second semble foncièrement difficile à accomplir aujourd’hui, la réalisation du premier contribuera sans nul doute à faciliter les choses puisqu’elle posera les jalons d’un Etat de droit, représenté par un Président auréolé d’une parfaite légitimité et valablement habilité à répondre au nom du Mali.
Il ne s’agit bien évidemment pas de penser que les organes de la transition ne représentent pas actuellement les Maliens, mais simplement de comprendre qu’une majorité de ces derniers ne se reconnaissent pas en eux ou pire, leur en veulent pour telle ou telle raison. Aussi, bien qu’ils soient de bonne foi dans nombre de cas, il n’est guère étonnant qu’ils éprouvent toutes les peines du monde pour faire passer leurs avis et leurs idées, tant à l’intérieur du pays que sur le plan international, ce qui laisse supposer que nous continuerons à faire du surplace jusqu’à ce qu’il y ait une certaine lisibilité au niveau de nos organes représentatifs. Et quoi de mieux dans ce cas que d’organiser des élections libres et transparentes à l’issue desquelles les électeurs auront désigné celui à qui ils donnent mandat pour parler en leur nom ?En d’autres termes, il est constant qu’il ne saurait y avoir de véritables avancées dans la recherche d’une solution durable à la crise que traverse le pays si la communauté internationale, qui est sensée nous aider, n’a pas en face d’elle un interlocuteur légitimement élu.
La Résolution 2085 pêche par ignorance
Cette situation explique sans nul doute la teneur de la Résolution 2085 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui, au-delà des exigences qu’elle pose, lève le voile sur un pan essentiel du règlement de la crise, à savoir l’absence d’un mandataire crédible du Peuple malien.
Mais cette Résolution, commandée par le souci d’éviter un génocide touareg qui n’a véritablement de Résolution que le nom, pèche par ignorance et par infirmité en assujettissant l’intervention militaire au respect de certains préalables. Ainsi est-il demandé aux autorités maliennes d’établir un plan de route pour la transition, de rétablir pleinement l’ordre constitutionnel et l’unité nationale, notamment en tenant des élections présidentielles et législatives crédibles et sans exclusive d’ici avril 2013 ou, à défaut, dès que possible techniquement. De même, nos autorités sont invitées à mettre en place rapidement un cadre de référence crédible pour les négociations avec toutes les parties se trouvant dans le nord du pays et ayant rompu tout lien avec une organisation terroriste. Et c’est à ce propos que le Conseil exige enfin des groupes rebelles maliens qu’ils rompent tout lien avec des organisations terroristes, en particulier avec Al-Qaida au Maghreb islamique.
Ces formules lapidaires, qui sont supposées rassurer les partisans de l’intervention militaire, se révèlent en substance particulièrement dangereuses pour la préservation de l’intégrité territoriale de notre pays. Ainsi, malgré les déclarations de bonne intention des uns et des autres sur cette intégrité, il ne fait aucun doute que grâce au dialogue auquel sont appelés les Maliens, le projet avorté de création d’un Etat de l’Azawad reviendra à l’ordre du jour et pire, se verrait ouvert devant lui un grand boulevard. Il n’est donc nul besoin d’être un génie pour comprendre que dans la confusion qui règne actuellement dans le pays, tant au niveau des institutions qu’au niveau de la population, c’est le scénario invraisemblable vers lequel on tend et que si les Maliens ne se ressaisissent pas, ils auront sous peu la douleur d’apprendre qu’ils ont dorénavant un huitième pays frontalier, dirigé par des fous de dieu, dans lequel les droits les plus élémentaires tel le libre-arbitre sont proscrits.Ce scénario est d’autant plus avéré que l’Algérie, avec ses milliers de Touaregs, ne veut point d’une guerre à ses frontières et n’hésite pas à faire jouer sa position de base arrière des Etats-Unis dans la sous-région, pour militer en faveur d’une zone-tampon sur le territoire malien, laquelle présenterait tous les aspects d’un no man’s land et dans laquelle pourront immigrer tous les Touaregs de la sous-région.Penser le contraire relèverait plus de la démagogie qu’autre chose. Aussi, le dialogue et la négociation prônés par le Conseil de Sécurité ne pourront-ils être menés que par le représentant élu des Maliens qui, bien évidemment, devra tout mettre en œuvre pour contrer un tel dessein. Il ne faudrait pas, en effet, que du jour au lendemain, la création d’un Etat de l’Azawad nous soit imposée parce que nous n’avons pas été capables d’organiser des élections libres et transparentes pour désigner celui qui est habilité à parler en notre nom et à prendre des décisions dans notre intérêt. C’est pourquoi il importe de prendre le Conseil de Sécurité au mot, en mettant en place les conditions idoines pour élire notre Président à la fin de la période transitoire.
Des obstacles non insurmontables
Il reste cependant indéniable que l’organisation de ces élections peut rencontrer quelques obstacles, mais ceux-ci ne sont nullement insurmontables et si chacun y met de la bonne volonté, le pays aura bientôt son Président élu. Ainsi, nonobstant les difficultés liées au coût de l’organisation, la principale préoccupation demeure le vote des électeurs du Nord qui, même s’ils ne sont pas très nombreux, restent des Maliens comme les autres et ont le même droit de voter. A partir de là, il importe de trouver la meilleure formule pour prendre véritablement en compte leur suffrage. Parmi les pistes à explorer, on peut d’ores et déjà considérer comme acquis le fait que beaucoup de ressortissants du Nord ont depuis longtemps émigré dans une zone où ils peuvent exprimer valablement leurs choix, puis envisager pour les autres un système qui s’approche de celui des Grands Electeurs aux Etats-Unis, avec un suffrage indirect exprimé à travers leurs représentants. Ce n’est que dans ces conditions que leur participation aux élections ne sera pas un simulacre et que l’on évitera les élucubrations sur la partition du pays.
En tout état de cause, l’élection du Président de la République doit demeurer la principale priorité du moment et les autorités de transition gagneraient à les organiser rapidement, d’autant plus que ce sera l’occasion de mettre fin aux tergiversations de l’Armée qui sera tenue de se mettre à la disposition et sous l’autorité du Président nouvellement élu. Encore faudrait-il cependant que ce dernier soit à la hauteur…