Annoncé du 10 au 14 octobre 2015, le Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta n’ira finalement pas Ségou, une localité située à quelques 200 km de Bamako. En tout cas pas avant le mois de décembre prochain. Mais, il se rendra plutôt à Paris à partir du 20 octobre pour un séjour de quatre jours qui lui vaudra au moins 6 heures de vol dans l’air à bord de son Boeing 737. Et pour détourner l’attention des Maliens qui trouvent que leur Président voyage un peu trop, qu’il n’apporte pas de solutions concrètes à leurs problèmes, le régime a mis à contribution la Direction de la Communication et Relations publiques de la Présidence pour trouver la formule.
Une des premières missions de cette cellule de communication consistait à trouver une excuse pour le report de la tournée du Président à Ségou qui devait se dérouler 6 jours plutôt avant le départ du Président pour Paris. Et c’est ce qui fut fait, le lundi 12 octobre 2015 par le Directeur de la communication et des Relations publiques, Racine Thiam, lors d’une rencontre avec les journalistes à l’ancien Secrétariat général de la Présidence. Interrogé sur la visite du Président IBK à Paris qui intervient quelques jours après le report de sa visite très attendue en 4ème région, le directeur de la communication de la présidence de la République a lié ce report aux événements douloureux de Mina.
« Il s’agit de partager la douleur du peuple entier par rapport à la catastrophe de Mina. Vous savez, les visites à l’intérieur du pays drainent beaucoup de foules. Des fois, ce sont des moments de recueillement ou de joie sur l’itinéraire du président. Il allait y avoir du folklore, de la joie, c’est naturel quand le président va à l’intérieur.
Avec responsabilité, il a décidé que ce n’était pas le moment de faire sa tournée à Ségou, il l’a annulé, c’est la seule raison ! Mais il est loisible pour le président d’annuler sa visite à l’intérieur. Il était de sa responsabilité d’honorer l’invitation de François Hollande pour cette visite historique. C’est simple, IBK a décidé avec responsabilité d’un report, mais elle se fera normalement en début du mois de décembre. Et il poursuivra sa visite à l’intérieur par Kayes », a expliqué Racine Thiam.
Drôle de comportement de la part du Président IBK qui tient subitement compte de l’état d’âme de son peuple au moment de ses prises de décisions. Car, dans un passé très récent et dans une situation douloureuse similaire au mois d’août 2015, le Président de la République n’a pas pu s’abstenir de faire la fête en avant première avec le grand artiste musicien nigérian Davido, le vendredi 14 août 2015, chez lui à à Sébénincoro, la veille même, la nuit du jeudi 13 aout, de l’assassinat de Aladji Sékou, l’imam de Barkérou (moins de 5 km de Nampala).
Le vieux de 63 ans venait d’être abattu par des djihadistes qui l’accusaient de complicité avec l’armée et les autorités maliennes. Mieux, cette visite du chanteur, qui s’est d’ailleurs transformée en concert avec la famille présidentielle et toute la jeunesse dorée de la capitale, intervenait aussi après une série d’évènements douloureux perpétrés par les Jihadistes, qui se sont suivis comme des perles de feu. Il s’agit notamment de la prise d’otages à Sévaré le vendredi 7 aout, se soldant par 12 à 14 morts ; le lendemain samedi, pendant que cette prise d’otages était en cours, la Brigade de gendarmerie de Baguineda essuyait des tirs d’assaillants inconnus.
Quelques jours avant, le lundi 3 aout, c’était l’attaque contre le camp des gardes de Gourma Rarhouss qui a eu un bilan lourd avec 11 gardes tués et deux civils se trouvant sur les lieux au moment de l’attaque. Le Samedi, 1er août, une escorte des forces armées du Mali (FAMA) tombait dans une embuscade sur l’axe Diabaly-Nampala, à 6 km de Toulé, commune de Nampala dans la région de Ségou. Quelques jours après l’attaque du camp des gardes de Rarhous, dans un contexte d’absence totale de l’Etat, un conflit entre populations avait dégénéré le dimanche 9 août, faisant 12 morts dans le village de Gaberi, dans le Gourma, région de Tombouctou.
Mais malgré l’hécatombe et le contexte sécuritaire du pays à l’époque, le Président IBK s’est livré à ce qui a été qualifié par notre éditorialiste, Boucary Daou, comme « la recréation, la fête, la bombance au sommet de la l’Etat » pendant que le pays brûle. C’est donc dire que le Président de la République a fait pire, à la suite d’évènements douloureux, que d’aller vers ses compatriotes, c’est-à-dire ceux qui l’ont plébiscités en 2013, pour s’enquérir de leurs préoccupations et besoins. C’est aujourd'hui regrettable qu’il ne puisse trouver mieux à dire, qu’il reporte sa tournée à Ségou pour « partager la douleur du peuple entier par rapport à la catastrophe de Mina ».
Le Président peut bien partir à Paris, mais qu’on sache que les Maliens ne sont pas dupes. Par contre, on peut comprendre qu’il soit fatigué à cause de ses voyages qui ne finissent pas à l’étranger, son âge et son état de santé ne l’aidant pas. On peut aussi comprendre qu’il ait préféré repousser cette tournée à Ségou pour être d’aplomb avec son ami Hollande. Mais, tout sauf le drame de Mina.
Youssouf Z KEITA