Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la promotion d’un leadership jeune constitue un tremplin pour assurer la relève au sein des formations politiques. Pour ce faire, les partis politiques se doivent de renforcer les capacités des jeunes afin de leur permettre de devenir de vrais acteurs de changement et de transformation sociale.
Après la révolte populaire de mars 1991, le peuple malien, à l’issue d’une conférence nationale, s’est engagé sur la voie de la démocratie consacrant le multipartisme intégral. Cette large ouverture du landernau politique a donné lieu à la création de plusieurs formations politiques concourant à l’expression du suffrage des électeurs dans les différentes joutes électorales. Les jeunes de l’époque, à travers le mouvement estudiantin, ont été au cœur de la lutte pour l’avènement d’un Etat de droit et d’une démocratie pluraliste. Aujourd’hui, force est de constater que dans bien de formations politiques, les jeunes qui constituent le fer de lance de toute transformation sociale ont de la peine à émerger. Ibrahim K. Sissoko, politologue, affirme que la plupart des partis politiques maliens n’offrent pas un cadre propice à l’émergence politique des jeunes. Car les vielles têtes pensantes du parti se sont accoutumées depuis belle lurette à se servir des jeunes comme des marchepieds pour accéder au pouvoir. « Lorsque je suis retourné au bercail après les études post-universitaires à Dakar, j’ai côtoyé pas mal de partis dans l’espoir de militer activement pour une émergence future. Hélas ! J’ai constaté que ma chance était minime. Car un jeune qui n’a pas d’emploi, pas de moyens, sortira péniblement sa tête de l’eau dans le marigot politique de notre pays. C’est cette amère réalité qui m’a poussé à créer avec d’autres jeunes un nouveau parti politique dénommé ‘’UPS‘’ (Union pour la paix et la Stabilité) », confie M. Sissoko. Il fera ensuite remarquer que cette équation s’explique par le fait que la vielle garde qui est censée se désister au profit de l’émergence des jeunes ne veut rien lâcher. Pour preuve, dans la quasi-totalité des partis politiques, les pères fondateurs veulent rester éternellement des candidats aux différentes joutes électorales. De surcroit, argumentera t-il, l’un des gros handicaps de la jeunesse, c’est le manque de moyen. A titre d’exemple, pour être tête de liste à l’élection communale qui a été reportée, il faut avoir sept (7) millions FCFA. Cet état de fait freine incontestablement l’émergence des jeunes et va à contresens de l’idéal démocratique. «Il faut que les anciennes figures s’écartent un peu pour donner la chance à la jeunesse. On ne peut pas être éternellement le président du parti ou en être le Secrétaire général», a-t-il suggéré.
Abondant dans le même sens, Lassine Diallo, jeune militant du Parti écologiste pour la démocratie, dit envisager se présenter à l’élection communale. Son ambition se trouve être plombé par le facteur finance, accentué par l’attitude vieux qui le juge inexpérimenté.
Ousmane Diarra, juriste, estime, lui, que la loi électorale de notre pays doit être adaptée à notre environnement sociopolitique. «Il faut que l’égalité des chances entre les militants devienne une réalité au sein des formations politiques, c’est la condition sine qua none vers l’émergence des jeunes. La possession de la richesse ne doit pas être déterminante dans le jeu politique», estime-t-il.
Crise de l’esprit démocratique au sein des partis politiques ?
Après les élections générales de 2002, le paysage politique de notre pays s’est étoffé de plusieurs nouvelles formations politiques fondées par des jeunes. Pour expliquer cet élan, Ibrahima K. Sissoko affirme que la gestion des partis politiques au Mali pilotés par les vieux laisse à désirer. Selon lui, même le simple désir de devenir membre de la plupart des grands partis politiques n’est pas fastoche. «On vous fait tourner en rond», déplore-t-il. Partant, il a souligné que les jeunes qui ont fondé leur parti politique, tels Moussa Mara, Amadou Koïta, Housseyni Amion et bien d’autres, n’avaient pas la chance d’être candidats à l’élection présidentielle s’ils étaient dans certains partis politiques. C’est cette situation de frustration qui pousse bien des jeunes à s’engager dans cette aventure. « Si la démocratie était une réalité au sein des partis politiques, garantissant une égalité de chance aux militants sans autre considération à aller d’abord en primaire, il y aurait moins de partis politiques.
Abondant quasiment dans le même sens, Amadou Koïta, président du parti socialiste Yelen Koura, justifie son départ du Pdes par la non-présentation d’un candidat à la présidentielle avortée de 2012, ainsi que le manque d’orientation par la direction du parti pour soutenir un éventuel candidat. «Un parti politique se crée pour des idéaux autour d’un projet de société qui ne peut se réaliser qu’à travers la conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir. Un parti ne peut pas et ne doit pas être créé pour figurer. Certes, nous avons soutenu ATT, mais nous devons être parmi ceux qui vont continuer à poursuivre l’œuvre d’ATT et revendiquer son bilan. Nous avons quitté le Pdes pour créer l’association Umam et après le Parti socialiste Yélen Kura», a-t-il rappelé. Par ailleurs, il a estimé que la création des partis politiques par les jeunes prouve la vitalité de la jeunesse et de la démocratie de notre pays. «Quand la jeunesse s’intéresse à la politique, c’est qu’elle accepte de défendre les idéaux, elle accepte de se battre pour les valeurs», note M. Koïta.
Promouvoir l’émergence des jeunes, une exigence du realpolitik
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la promotion d’un leadership jeune constitue un tremplin pour assurer la relève au sein des formations politiques. Pour ce faire, les partis politiques se doivent de renforcer les capacités des jeunes afin de leur permettre de devenir de vrais acteurs de changement et de transformation sociale par le truchement de la formation sur les modules tels que: la citoyenneté, la promotion et la protection de la diversité culturelles, la démocratie, l’éducation à la paix et aux droits humains, la participation aux processus de prise de décision, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et les malversations économiques, les élections libres, paisibles et transparentes, le genre, perspectives de paix et développement. S’agissant de l’émergence, Amadou Koïta affirme qu’à l’issue du dernier congrès du PS Yelen Kura, de pertinentes recommandations ont été formulées pour assurer la promotion des candidatures des jeunes surtout des femmes. A l’en croire, au parti socialiste, l’apport financier importe peu. «Le socialisme, c’est des valeurs de justice sociale. C’est l’homme qui compte d’abord», a indiqué Koïta.
Le Mali étant une jeune démocratie, avec une population de 60% de jeunes, devrait s’inspirer de bonnes pratiques en matière de la promotion du leadership des jeunes afin de consolider les acquis démocratiques et l’Etat de droit. A titre d’exemple, en France, depuis 2006, un séminaire de leadership a été créé à l’intention exclusivement des jeunes, destiné à la génération émergente des hommes et femmes politiques, français et francophones. Ce programme intitulé «Jeunes Leaders Politiques» met en compétition les jeunes de toutes les sensibilités politiques qui traiteront des principaux aspects du leadership politique à savoir : construire et exprimer une vision, convaincre, négocier, conduire le changement, construire sa crédibilité. Ainsi, 20 à 25 jeunes élus sont sélectionnés chaque année par un jury composé de politologues et de spécialistes de leadership, et présidé par une personnalité politique de grande expérience.
La jeunesse face a son destin
L’inclusion des jeunes dans la vie politique est importante. La jeunesse peut constituer une force positive de changement. Ce n’est pas les pays arabes tels la Tunisie et l’Egypte qui le démentiront. Dans ces pays, les jeunes, de part leur engagement dans la vie politique, ont réussi à balayer les régimes autoritaires du pouvoir. Ce constat atteste que si les jeunes ne sont pas inclus dans les nouvelles prises de décisions formelles, une grande frustration pourrait se développer. Sans nul doute, cela peut déstabiliser la démocratisation et accélérer les dynamiques de conflit. Pour booster l’émergence des jeunes sur la scène politique, Amadou Koïta a estimé que la jeunesse devrait se former et se battre, sans pour autant confondre vitesse et précipitation. « Il faut aller à l’école de la vie, à l’école du parti. Quand on se cultive, on a forcément sa place. Une jeunesse sans formation politique est un bétail électoral », a-t-il conseillé.
Et Mamadou Bah, président des jeunes du parti Convergence d’Action pour le Peuple (CAP), d’enfoncer le clou en affirmant que les jeunes doivent s’en prendre à eux-mêmes. «La meilleure façon d’être aidé, c’est de prendre d’abord son destin en main», a fait remarquer M. Bah.
Pour sa part, Fodé Keïta, président des jeunes du parti Mouvement africain pour la démocratie et l’intégration (Madi), précise que les jeunes ne s’impliquent pas en réalité dans les activités politiques. «Il faut que la jeunesse se forme et soit constante dans la lutte», a noté M. Keïta.
Fily Dabo Sissoko, président des jeunes du Parti pour la solidarité et le progrès (PSP), a estimé que la jeunesse doit d’abord s’approprier la chose politique «L’avenir repose sur la jeunesse, mais une jeunesse qui se lève pour s’instruire», a-t-il souligné.
Il faut le dire sans risque de se tromper, la section jeune au niveau des formations politiques constitue une base sympathisante pour leurs membres. Elle facilite la mise en réseau et la formation d’alliances personnelles. Dans une structure de jeunesse avec ses propres assemblées et bureaux, il y a beaucoup d’opportunités de faire l’expérience des processus de décision et de développer leurs compétences et leurs opinions politiques. Les sections jeunesse peuvent jouer un rôle central pour l’augmentation du nombre de nominations de candidats jeunes et pour l’inclusion de questions concernant les jeunes dans les programmes des partis. L’existence d’une section jeunesse forte sur une période de plusieurs générations permet aussi que des membres influents du parti soient d’anciens membres de la section jeunesse. Ils peuvent également faire office de champions et de mentors pour la nouvelle génération. Comme dirait Koffi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU, «personne ne naît bon citoyen, aucune nation ne naît démocratique. Mais pour tous deux, il s’agit d’un processus en constante évolution. Les jeunes doivent être inclus dès leur naissance. Une société qui se coupe de sa jeunesse est une société qui se coupe de sa source de vie et se condamne à mort».
Boubacar SIDIBE