L'actualité et les nuages s'amoncellent sur l'Afrique. D'une partie du Maghreb, en passant par le Sahel, l'Afrique centrale, jusqu'à la corne orientale, les conflits ethniques et/ou religieux se multiplient et dévoilent certaines perspectives sombres pour l'année 2013.
Petit tour d'horizon non exhaustif des tensions africaines. En commençant par le Mali, la Centrafrique, le Nigeria et la République démocratique du Congo, les foyers les plus brûlants...
Mali
Sans exclure les négociations avec certains groupes touareg (les nationalistes du MNLA et les islamistes locaux d'Ansar Dine, menés par Iyad Ag Ghali, déjà auteur d'une rébellion touareg en 1990), la reconquête du nord du pays sera un des grands sujets africains de 2013. Un des plus tendus vu de ce début d'année.
L'avantage du terrain des Touareg, la fragilité institutionnelle de Bamako (démission du Premier ministre Cheik Modibo Diarra le 10 décembre, rôle flou des putschistes du 22 mars), l'incertitude sur le niveau réel et les moyens de l'armée malienne et de la force de la Cédéao (Communauté économique de l'Afrique de l'ouest) n'engagent pas tout à fait l'optimisme.
La porosité des frontières constitue une difficulté supplémentaire : le MUJAO (Mouvement unifié du Jihad en Afrique de l'ouest) avec la Mauritanie, AQMI (Al Qaïda au Magreb islamique) avec l'Algérie, la fragilité du Niger. Si attaque il doit y avoir, elle devra être coordonnée au niveau international pour éviter l'évaporation...
Les résolutions de l'ONU permettent la construction d'une force de 3 300 hommes de la Cédéao, la mise en place progressive d'une mission de formation auprès de l'armée malienne. La mission EUTM (European Union Training Mission) sera dirigée par le général François Lecointre, l’actuel commandant de la 9e Brigade légère blindée de marine. L'argent occidental et 400 soldats dont 250 formateurs et 150 "anges gardiens", suffiront-ils à remettre à niveau (équipement, paie, moral) quatre bataillons de l'armée malienne ?
Le 31 décembre au soir, dans son message à la nation, le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, s'est montré extrêmement déterminé : " La guerre légitime, légale, rapide et propre (hum) que nous voulons mener avec l'appui de la communauté internationale requiert davantage de temps pour régler tous les détails techniques, stratégiques et politico-juridiques. Cependant, je puis vous assurer d'une chose : c'est que le Mali n'attendra pas des mois, comme certains semblent le préconiser (l'Italien Romano Prodi, envoyé spécial au Sahel des Nations-Unies, évoque plutôt une action à partir de septembre 2013). Nous n'attendrons pas que le cancer fasse des métastases dans tout le corps. La guerre contre les terroristes se fera plus tôt qu'on ne le pense et l'armée malienne y jouera les premiers rôles. "
Au-delà de l'intention, le mouvement reste complexe. Depuis l'indépendance du Mali, le pouvoir du sud a toujours négligé la population du nord, touareg, songoy, arabe malienne. Et se méfie de l'influence des chefs touareg. Une négociation équitable avec ces derniers pourrait affaiblir la rébellion, isoler les terroristes et trafiquants résolus. Une autonomie partielle et contrôlée est-elle envisageable ?
Pour l'heure, la tension perdure comme les exactions dues à l'établissement de la charia dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. Redoutant des attentats, la police malienne a interdit lundi soir un rassemblement de jeunes à Bamako contre l'occupation du nord du Mali par des jihadistes armés.
Centrafrique
" Nous avons décidé de suspendre l’offensive en direction de Bangui et nous allons envoyer une délégation au Gabon en vue de participer aux pourparlers de paix ", a déclaré ce mercredi Eric Neris Massi, le porte-parole de la coalition rebelle de la Séléka (alliance en sango, la langue nationale). Ces pourparlers pourraient avoir lieu le 8 janvier à Libreville au Gabon, sous l’égide du président congolais Denis Sassou Nguesso.
Il a réaffirmé ensuite l’exigence d’un " départ du président François Bozizé ". La veille encore, la rébellion centrafricaine disait s'apprêter à attaquer Damara, dernier verrou à 75 km au nord de Bangui. Elle est positionnée pour le moment à Sibut, à 160 km de la capitale.
En quelques semaines, les insurgés de la Séléka se sont imposés dans une large partie nord de la Centrafrique. Ils sont issus de mouvements dissidents des groupes signataires de l'accord de paix de Libreville en 2008. Difficile encore d'y retrouver tous ses petits égarés. La Séléka, présidée par Michel Djotodia, n'a été créée qu'en août. Elle réclame le départ du président François Bozizé, arrivé au pouvoir par la force en 2003.
L'armée centrafricaine n'a guère pesé lors de l'émergence de la rébellion. Le Tchad, allié de Bozizé, s'implique désormais pour empêcher la prise de Bangui et l'effondrement du pouvoir. Ce mercredi, le général Jean-Félix Akaga, commandant de la Force multinationale d'Afrique centrale (FOMAC) déployée en Centrafrique depuis 2008 pour consolider la paix, a averti sèchement l'adversaire : " Nous ne céderons pas Damara, que ce soit clair. Si les rebelles attaquent Damara, c'est une déclaration de guerre. Cela veut dire qu'ils ont pris la résolution d'engager les dix Etats d'Afrique centrale. Je ne pense pas sincèrement qu'ils en arriveront là. " Plus caustique, le général gabonais Akaga ajoute : " ça m'étonnerait que les rebelles sachent combien ils sont, c'est un mélange de plusieurs tendances... "
Quatre cents militaires tchadiens sont à pied d'oeuvre. A tel point que le président François Bozizé a remercié le Tchad et son président Idriss Déby lundi soir : " Grâce à l'armée tchadienne, vous m'écoutez aujourd'hui à la radio et vous me regardez à la télévision. Sinon, on serait tous dans la brousse. "
La FOMAC demeure à Damara, face aux rebelles désormais. Le Congo a annoncé l'envoi de 120 soldats supplémentaires pour renforcer le contingent ; 120 Gabonais et 120 Camerounais sont également arrivés en renfort. Ce contingent se porterait ainsi à près de 800 hommes. Ce qui a peut-être fait réfléchir la Séléka...
Soutenu par la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC), le président François Bozizé est poussé à négocier : " Je suis prêt pour ce dialogue. J'attends que les chefs d'Etat fixent la date pour que nous puissions y aller de concert avec le Séléka pour trouver des pistes de sortie de la crise. " La rébellion, qui rejetait jusque-là cette proposition, semble donc évoluer depuis ce mercredi.
La France privilégie officiellement le dialogue mais après l'attaque de son ambassade, s'inquiète d'abord pour ses 1 200 ressortissants (dont 400 binationaux). En plus du détachement de 250 hommes du 8e RPIMA (régiment parachutiste d'infanterie de marine) de l'opération Boali stationné à Bangui, qui agit en soutien de la FOMAC, 150 parachutistes du 2e REP (régiment étranger parachutiste), puis 180 sont arrivés en provenance des Forces française du Gabon et la base opérationnelle de Libreville.
Nigeria
Mardi 1er janvier, treize islamistes et un soldat nigérian ont été tués au cours d'un affrontement à Maiduguri au nord-est du Nigeria, le fief du groupe armé islamiste Boko Haram. Ceci pour rappeler les troubles sanglants qui agitent le pays. On évalue à trois mille le nombre de morts depuis 2009 dans les violences entre Boko Haram et les forces nigérianes.
Vendredi, quinze chrétiens ont été égorgés dans leur sommeil à Musari dans l'état de Borno. Le soir de Noël, des hommes armés ont attaqué une église, toujours dans le nord-est (état de Yobe), tuant six personnes dont le pasteur pendant l'office, avant de brûler le bâtiment.
Si Boko Haram semble incontrôlable et ne reçoit pas forcément un soutien massif de la population, le défi s'accentue entre le sud chrétien et le nord islamique. Le Nigeria et ses 160 millions d'habitants est le pays le plus peuplé d'Afrique.
Un otage français, Francis Collomb, enlevé le 19 décembre à Rimi dans l'état du Katsina au nord, serait détenu par un groupe islamiste, Ansaru, probablement lié à Boko Haram. Ansaru, lors de la revendication de l'enlèvement, a justifié son action par " la position du gouvernement français et des Français contre l'islam et les musulmans ", par la préparation d'une intervention au Mali et la loi française contre le port du voile intégral en public.
RD Congo et Rwanda
Le conseil de sécurité de l'ONU a décidé des sanctions contre le M23, la rébellion du Nord-Kivu, et contre les mercenaires hutus rwandais du FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) qui naviguent également dans cette région. C'est la première fois que l'ensemble du M23, soupçonné d'être soutenu par le Rwanda, subit des sanctions.
" Nous estimons que ces décisions vont faciliter des progrès vers une paix durable dans l'est de la RDC, a déclaré Susan Rice, l'ambassadrice américaine à l'ONU. Nous demandons aux membres du M23 et du FDLR de faire défection et de se démobiliser afin de se dissocier des groupes sanctionnés. "
En attendant, les négociations à Kampala en Ouganda, entre la RDC et le M23, devraient reprendre le 4 janvier.
Côte d'Ivoire
Après un conflit de près de dix ans, la chute de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 et l'élection d'Alassane Ouattara à la présidence, la CIV se reconstruit peu à peu. L'intégration des anciens rebelles dans les Forces républicaines de Côte d'Ivoire, le retour au calme des Jeunes Patriotes sont des problèmes épineux. Les anciens soutiens de Ouattara attendent d'être payés en retour en intégrant par exemple l'armée. Comment absorber ces milliers de jeunes désormais désoeuvrés ?
Alassane Ouattara a promis lundi de poursuivre sa lutte contre les groupes armés résiduels et espéré une reprise du dialogue avec l'opposition fidèle à Laurent Gbagbo : " Nous continuerons de combattre ces actes subversifs destinés malheureusement à saboter le processus de réconciliation. "
La réalité n'est pas si simple. Des dizaines de personnalités pro-Gbagbo restent emprisonnées depuis la crise post-électorale d'avril 2011. Tandis qu'aucune figure pro-Ouattara n'est poursuivie pour les exactions commises durant les troubles de 2010 et 2011...
Enfin...
D'autres sujets d'inquiétude préoccuperont l'Afrique en 2013. Les élections générales et présidentielle se profilent au Kenya le 4 mars. Lors du précédent scrutin, des heurts entre ethnies kikuyue et luo avaient fait un millier de morts.
Le Soudan et le Sud-Soudan poursuivent leur bras-de-fer dans la guerre du pétrole (l'exploitation au sud, l'oléoduc au nord) qui s'ajoute au conflit sur le Darfour
Enfin, il reste encore et toujours la Somalie, la stabilisation précaire de la Libye, des possibles soubresauts en Egypte entre islamistes et laïcs, la Guinée apaisée par Alpha Condé qui revotera pour les législatives...
Le livre blanc français de la Défense et de la Sécurité devrait réorienter son arc de crise.