Le très charismatique Modibo Kéita (4 juin 1915- 16 mai 1977), premier président du Mali indépendant renversé le 19 novembre 1968 et assassiné en 1977, incarnait assez de valeurs (politiques, socioéconomiques et culturelles) pour être enseigné à toutes les générations. Surtout à la nouvelle génération en manque de repères.
Il faut alors saluer l’initiative d’organiser une «leçon sur le président Modibo Kéita» père de l’indépendance du Mali. Comme ce fut le cas ce 15 octobre 2015 aux écoles «Mamadou Konaté» (où il a enseigné et qui porte le nom d’une autre figure emblématique de la lutte d’indépendance en Afrique) et de Tominkorobougou en présence du président Ibrahim Boubacar Kéita.
À ses côtés, président d’honneur de la commission d’organisation du centenaire du président Modibo Keita, Professeur Dioncounda Traoré, ancien président par intérim de la République du Mali. «C’est un moment de grande émotion. Tout a été dit sur Modibo. Modibo était le vainqueur de ses bourreaux. Il était l’incarnation du Mali.
Ce fut un homme de dignité et d’honneur absolu... Mamadou Konaté et Modibo Keita ont été des hommes qui n’avaient souci que d’être utiles à la patrie. Ils avaient confiance en ce qu’ils faisaient. Modibo est la fierté de tous les Maliens et l’Honneur du RDA et de toute l’Afrique. Il est le symbole du courage intellectuel et politique», a déclaré en fin de cérémonie Ibrahim Boubacar Kéita, sans doute fasciné par l’enseignant modèle et l’éminent homme politique à cheval sur le patriotisme.
Le principe de la «leçon modèle» est à saluer. Mais nous doutons réellement de la portée morale et politique de l’initiative. Cette idée traduit-elle réellement la volonté d’IBK de faire «revenir l'esprit, le mode de gestion de Modibo Kéita comme un outil politique très avantageux» pour la gouvernance politique du Mali ? Rien n’est moins sûr ! D’abord parce que nous ne pensons pas que «Le Tisserand» en chef ait «courage intellectuel et politique» d’un tel changement de cap.
Sans compter que, entre le très regretté Modibo Kéita et Ladji Bourama, c’est comme le cavalier et son ombre, le réel et le virtuel, la réalité et le mirage. À l’analyse, nous ne trouvons rien de particulièrement commun à part le nom de famille : Kéita ! Mais, si le premier avait réellement la trempe d’un Mandé Massa (empereur du Mandé), l’autre tente désespérément de l’incarner. Ceux qui ont connu Modibo Kéita disent que l’homme n’était pas très volubile. Il était sobre et modéré, préférant l’action à la parole, malgré son éloquence et sa prestance. Tout le contraire d’IBK qu’on connaît sur la scène politique.
L’actuel président parle et promet beaucoup et agit très peu. Il est vrai que les deux hommes n’ont pas accédé au pouvoir dans le même contexte politique et socioéconomique. Mais le plébiscite d’IBK en 2013 repose sur un élément essentiel : cette impression d’un vrai leader rigoureux doté de la poigne nécessaire pour redresser le pays après la grave crise qu’il a traversée de janvier 2012 à août 2013. C’est malheureusement sur ce point que Ladji Bourama est en train de décevoir le plus les Maliens.
Au point que beaucoup de ses admirateurs se demandent aujourd’hui s’ils n’ont pas voté pour «un tigre en carton» ! Sans compter que le légendaire «Kankelentigui» (homme de parole) a du mal à traduire ses promesses en actes concrets. Tout le contraire d’un Modibo Kéita réputé pour sa probité morale, sa rigueur dans la gestion, l’humilité dans son train de vie (l’actuel locataire de Koulouba se définit comme un bourgeois).
Un homme d’Etat, un citoyen d’honneur, un enseignant rigoureux qui a toujours incarné le vrai modèle et la bonne référence pour ses collègues et surtout pour ses élèves. Modibo Daba s’est aussi distingué par la clarté de sa vision (politique, sociale, économique, culturelle, sportive). En sciences politiques comme en management, la vision renvoie toujours à des valeurs claires et courageusement assumées. Et s’il y a réellement un fossé entre IBK et Modibo Kéita, c’est sans doute celui de la vision, donc des valeurs.
Le patriotisme, le mérite, le culte du travail et de l’excellence, la reconnaissance du mérite… sont le socle de la vision politique de Modibo Kéita. Une vision qualifiée de socialisme mais que nous définissons comme du panafricanisme pragmatique. Et cela d’autant que le combat du père de l’indépendance a toujours été de permettre au jeune Etat de traduire cette souveraineté par une voie propre de développement garantissant le plein épanouissement de ses citoyens.
Une voie qui n’est pas à l’opposé des valeurs cardinales de la société malienne au fil des siècles et qui repose sur un juste diagnostic des richesses du pays et de la capacité des Maliens à se transcender pour se libérer définitivement du joug colonial par le travail, le savoir et le savoir-faire. De l’indépendance à nos jours, Ibrahim Boubacar Kéita a sans doute battu tous les records en matière de scandales politico-économiques en un laps de temps. Ce qui fait que sa gouvernance brille par son manque de lisibilité en termes de valeurs prônées.
En effet, on constate amèrement que le fossé est maintenant énorme entre son discours et les actes posés. IBK est subitement devenu ce souverain aux multiples visages qui promet vite sous le coup de l’émotion. Il faut alors aisément comprendre que ses promesses soient rarement tenues, car oubliées une fois que l’émotion est passée.
Ancrer le modèle dans la gouvernance pour favoriser le changement des mentalités
L’intérêt d’une leçon modèle est qu’elle puisse servir de référence à ceux à qui elle est dispensée. Dans le système actuel de gouvernance, combien d’élèves bénéficiaires de ces cours sont sûrs de réaliser leurs ambitions sur la base de leur seule compétence ? Le président a essayé de les convaincre qu’ils représentent la relève. Mais le doyen Seydou Badian Kouyaté (Sous l’Orage) ne dit-il pas que «les pintades regardent toujours la nuque de celles qui les guident».
Que font les dirigeants actuels pour réellement être des modèles à suivre et inculquer à ces enfants des valeurs comme le travail bien fait, le respect du bien public et de l’autorité publique, la volonté de se surpasser pour mériter de la patrie…? Ils ont presque tous les pantalons troués pour pouvoir grimper sur l’arbre de l’honneur et de la dignité. Ce que ces enfants retiennent de leurs dirigeants, ce que ce sont de «gros menteurs». Les enfants ne sont plus dupes car précocement éveillés par les nouvelles technologies, surtout les réseaux sociaux.
Leurs parents se comportent de sorte qu’ils sachent que l’appartenance politique est le principal ascenseur social du Mali de l’après Modibo Kéita. Un pays où la délinquance financière et le détournement des deniers publics sont devenus des signes de «bénédiction». Il faut alors être maudit pour ne pas se servir aux dépens du contribuable quand on vous offre l’opportunité par une promotion loin d’être méritée. Il faut servir et bien servir son clan pour longtemps garder son fauteuil.
En la matière, le régime du général Moussa Traoré valait mieux aussi que les régimes démocratiques que nous avons connus de 1992 à nos jours, car cultivant à souhait le culte de l’excellence. N’importe qui ne pouvait être ministre ou Directeur général sous Moussa Traoré. C’est avec la démocratie que l’enquête de moralité est devenue secondaire dans le choix de nos dirigeants.
On a beau être médiocre, on tire son épingle du jeu avec une certaine influence dans l’un des partis alliés au pouvoir. À défaut d’être dans les grâces de Koulouba, il faut avoir le «bras long» ou être sous la protection d’un des barons d’une chapelle inféodée. La compétence ouvre peu de portes et accorde peu de faveur aujourd’hui en matière de choix des décideurs de notre pays. Ce qui est primordial, c’est l’appartenance politique, le sexe, la fortune (bien ou mal acquise), l’appartenance aux mêmes cercles d’adeptes de Bacchus… C’est cela le Mali d’IBK !
Et bien avant lui, celui d’AOK (Alpha Oumar Konaré) et d’ATT (Amadou Toumani Touré). Donc, le Mali de la démocratie pour laquelle de nombreuses vies ont été pourtant sacrifiées. Un Mali aux antipodes de celui des prestigieux royaumes et empires qui font encore notre fierté dans le monde. Aux antipodes du Mali que Modibo Kéita était en train de bâtir avant d’être renversé ce triste 19 novembre 1968.
IBK a beau exhorter chacun des élèves à «mieux connaître l’homme (Modibo Kéita) et à suivre la voie tracée par le Premier président malien afin de s’approprier les valeurs morales (amour de la patrie, courage, dévouement et respect…) qu’il a léguées à la jeunesse…», ce discours restera de la fiction aux yeux des enfants tant qu’il n’est pas concrétisé au quotidien comme un modèle de gouvernance.
La meilleure leçon pour ancrer les valeurs et la vision de Modibo Kéita, comme référence, c’est de les traduire en actes concrets dans la gouvernance au quotidien, notamment en bannissant l’impunité et la médiocrité, en cultivant le mérite et l’excellence. À défaut, quelles que soient la pertinence et la noblesse de l’initiative, elle peut-être aisément confondue à la démagogie. Le seul exercice dans lequel les politiciens maliens brillent réellement !
Kader TOE