En lieu et place d’une rentrée solennelle des classes à Kidal, promue et annoncée à grande pompe, après trois années de fermeture, c’est une rentrée au rabais qui nous a été servie. Et cela, dans des circonstances plus que confuses. Malgré les multiples concertations avec les maîtres supposés de Kidal, au sein de la CMA, le gouvernement a été empêché d’y mettre pied. C’est la partie éducation de la mission d’évaluation, présente dans la localité, depuis le début du mois, qui a procédé à l’ouverture des classes. Au même moment, des enseignants, par la voix du SNEC, réitéraient leur intention de boycott de la mesure. Que vaut alors la parole de la CMA ? Sans enseignants, faute de climat sécuritaire acceptable, avec les combattants et leurs armes dans la nature, de quelle école Kidal aura-t-elle droit ?
Ce lundi, aux environs de 14 h 30, pendant que la partie éducation de la mission d’évaluation, présente à Kidal, depuis le début du mois, avait déjà procédé à l’ouverture des classes, au nom du gouvernement, à 22 heures, loin de là, à Bamako, les autorités nationales étaient toujours dans la confusion sur la question. Dans un communiqué du lundi 19 octobre, posté à 18 h 51 par les soins du ministère de l’Économie numérique et de la communication, le gouvernement constatait avec un « grand étonnement que la rentrée scolaire dans la région de Kidal, prévue ce lundi 19 octobre 2015, n’a pas eu lieu, en dépit des engagements fermes et de toutes les garanties données par la CMA ».
Quelques temps après, plus exactement à 22 h 23, un second communiqué fait état de « l’ouverture des classes effective dans la région de Kidal ». Quelle atmosphère de brouille !
Quelle école à Kidal ?
Les deux communiqués contradictoires du gouvernement, concernant un même événement, se déroulant dans une même localité du pays, sonnent comme la manifestation concrète d’une cacophonie au sommet de l’État sur une question aussi délicate, relativement au respect des droits des enfants quant à la reprise des classes sur une partie du territoire national.
Contrairement à la volonté des plus hautes autorités, cette rentrée voulue solennelle n’a finalement été que symbolique pour des raisons d’humeur de quelques individus à la solde d’indépendantistes, tapis dans l’ombre. Toute chose qui apporte de l’eau au moulin des fonctionnaires (enseignants) qui n’ont pas caché leur volonté de boycotter la décision gouvernementale. L’Union des travailleurs de la région de Kidal, et particulièrement les enseignants, revendiquent un minimum de sécurité pour leur permettre de faire leur boulot. Ils réclament, pour cela, le retour de l’armée à Kidal et l’opérationnalisation du processus de cantonnement et du désarmement des combattants. « Les conditions sécuritaires sont loin d’être réunies pour les militants. Les enseignants exigent la présence des forces de l’ordre et de sécurité, la réhabilitation des écoles et des locaux l’administration scolaire », a confié un responsable syndical.
Le syndicat s’en mêle
Pour Maouloud Ben Kattra du SNEC, cette rentrée est politique et il n’est pas question pour les syndicats de cautionner cette façon de faire à la sauvette.
« Nous, nous ne voyons pas la rentrée en terme de prime. Nous voyons la rentrée en termes de sécurité des enseignants. Les primes ne sont que de l’argent qu’on donne, mais la vie des enseignants compte beaucoup plus que l’argent qu’on va leur donner. Les conditions sécuritaires ne sont pas du tout réunies pour permettre à nos militants d’aller sur place. Nous ne mettons pas l’argent en avant, nous mettons en avant leur vie d’abord avant l’argent. Nous avons vu que les enseignants ont fait plus que des sacrifices. Nous avons vu que certains d’entre eux ont été blessés. Depuis qu’ils ont été blessés, nous n’avons vu la présence d’aucune structure étatique. Donc, il n’y a pas de sacrifice plus que ça. Tant que les structures de souveraineté ne sont pas présentes à Kidal, les enseignants ne peuvent pas aller donner les cours », a commenté le secrétaire général du Syndicat national de l’éducation et de la culture.
En plus d’être une garantie de sécurité, la présence d’un ministre de la République, à Kidal, pouvait être une source de motivation pour de nombreux enseignants qui ont fuit la localité, depuis le début de la crise en 2012.
Une reprise symbolique, comme fustigée par les enseignants, ne semble pas être la solution à ce problème d’école à Kidal. Car ne permettant pas de mobiliser les enseignants qu’il faut pour offrir aux enfants de Kidal la même chance à l’éducation qui est un droit fondamental. Une éducation scolaire, c’est d’abord un temps d’apprentissage bien déterminé et des conditions idoines pour ce faire. Autrement, à Kidal, ni le temps d’apprentissage, ni la qualité du personnel enseignant, encore moins les conditions de travail, ne sont encore réunies. Donc, cette rentrée « « symbolique » » n’est que de la poudre aux yeux.
À défaut d’une rentrée effective, c’est une « rentrée symbolique » qui a eu à Kidal, comme le dit si bien Habala Ag Hamzata de la Plateforme.
Que valent alors les paroles de la CMA ?
Aujourd’hui, c’est la question qui taraude tous les esprits. Suite à des manifestations hostiles, le ministre de l’Éducation n’a pu se rendre ce lundi à Kidal pour la rentrée des écoles de cette région, dont les enfants sont privés de scolarité, depuis trois ans. Les manifestants, une minorité marginale, selon plusieurs sources, étaient composés, notamment de femmes et d’enfants sympathisants de l’ex-rébellion séparatiste. Ce soudain regain de tension dans la ville surprend plus d’un en raison du fait que la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’ex-rébellion séparatiste, était bien favorable à la mission du ministre et de sa délégation.
Le secrétaire général adjoint du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), membre de la CMA, a expliqué que la polémique autour de la venue du ministre de l’Éducation, à Kidal, résulte d’un malentendu. Mahamadou Djery Maïga juge « normal que s’il y a ouverture que les plus hautes autorités de l’école puissent être présentes » sur place. Selon lui, les gens qui ont manifesté dans la ville ne sont pas « contre le fait que le ministre arrive. Ils veulent simplement être informés ».
La situation résulte plutôt d’un déficit de communication que d’une hantise des autorités nationale, a apaisé Djéry Maiga. Pour lui, cette incompréhension s’est installée du fait que les leaders des groupes armés étaient plutôt occupés, ces dernières semaines, à Anéfis, où les anciens frères ennemis étaient réunis pour conclure un « pacte d’honneur » dans lequel ils s’engagent à enterrer à jamais la hache de guerre.
« Ce qui a fait que les responsables de la CMA n’ont pas eu le temps de revenir à Kidal pour non seulement expliquer ce qui s’est passé à Anéfis, mais aussi sensibiliser les gens sur l’arrivée du ministre », a tempéré Mahamadou Djery Maïga, lequel espérait par-là convaincre l’opinion sur la sincérité de la CMA.
Vaincre la psychose séparatiste
Après de longues discussions, ces derniers jours, le gouvernement et les ex-rebelles de la CMA s’étaient pourtant entendus sur les modalités de la cérémonie de lancement de cette rentrée scolaire, notamment sur la présence du ministre de l’Éducation nationale dans la ville de Kidal, toujours considéré comme le fief incontesté de la CMA.
Mais, ce dimanche, après des manifestations, ayant rassemblé une centaine de femmes et de jeunes, dans la ville, contre la venue du ministre, la CMA a tenté de renégocier les modalités de la cérémonie ; demandant que les autorités soient finalement représentées à un niveau inférieur. La réouverture des écoles, de façon solennelle, devait être un moyen, pour les autorités maliennes et les groupes armés signataires de l’accord, d’envoyer un signal fort aux Maliens du nord, comme du sud, mais également à tous les bailleurs de fonds qui soutiennent le processus de paix et qui, pour cette raison, se réuniront ce jeudi à Paris.
Dès lors que ce rendez-vous s’est soldé par un échec, faut-il encore croire à la CMA ? A-t-elle réellement les moyens de faire adhérer tout le monde à sa cause?
Ce qui s’est passé lundi n’est ni moins ni plus que la manifestation de la mauvaise foi, le double jeu des responsables de ce mouvement armé. Ces femmes et enfants qui ont manifesté, lundi, ont toujours été les « otages » de certains responsables du mouvement irrédentiste, depuis le déclenchement de la crise dans cette partie du pays. Selon plusieurs observateurs, les velléités séparatistes des rebelles de la CMA ne sont pas prêtes de s’essouffler de sitôt puisqu’ils continuent de maintenir de sérieuses connexions avec leurs cousins djihadistes, salafistes amenés par Iyag ag-Ghali
Pour revenir à la case départ autour de Kidal, comme ville entièrement malienne , beaucoup estiment qu’il est indispensable que le HCUA dont le chef porte la couronne tricorne « Amanokal en second des Ifoghas, chef de guerre tribal Ifoghas et Imam kel Adagh par procuration », développe des trésors d’ingéniosité d’approche pédagogique, politique, nationaliste pour ramener Kidal dans le giron de l’État. Et cela, en vainquant la psychose séparatiste qui s’est incrustée durablement dans les têtes des enfants et des femmes de Kidal, souffrant, eux, à leur tour, du syndrome de « soulèvement ».
Par Sidi Dao