Juste après le vote de la Loi de finances 2012 par les députés, nous avons tendu notre micro au Président de la prestigieuse Commission des finances de l’Assemblée nationale, Oualli Diawara. Il nous parle de l’environnement économique dans lequel le budget 2013, déficitaire de 50 milliards, a été adopté et se montre optimiste quant à la capacité de notre pays à résorber ce déficit.
22 Septembre : Les députés viennent de voter le budget 2013. Pouvez-vous nous dire dans quel contexte économique il a été élaboré?
Oualli Diawara: L’environnement économique pour notre pays est assez difficile actuellement, car l’année 2013 va être très tributaire de 2012, en termes d’inscriptions budgétaires. Et 2012 a été, comme nous le savons tous, marquée par les différentes crises que nous continuons de vivre, politique, sécuritaire, alimentaire. Donc, au regard de ces évènements, c’est un environnement contraignant. Tant que la sécurité ne reviendra, beaucoup de choses seront enclenchées du mauvais côté par rapport à nos prévisions ou à nos agrégats économiques. Pour l’environnement international c’est presque la même chose, mais nous abordons l’année 2013 avec une croissance en deçà de ce qui était attendu depuis 2010. Cela est tributaire de la situation agricole des années 2011 et 2012.
Vous savez que, par rapport à la croissance, on doit se reporter à ces années, qui ont été marquées par des pluviométries qui n’étaient pas à la hauteur de nos souhaits, avec une production assez basse. Il est vrai que notre économie aussi, il faut relativiser tout cela, est soutenue par des éléments qui n’ont pas subi cette situation difficile, notamment les mines.
La production d’or surtout, parce que l’or a une embellie constante. Cela a soutenu notre économie. Mais il y a eu une contraction générale, avec les évènements de 2012. Il n’y a presque pas eu d’investissements, alors que c’est eux qui soutiennent la croissance. Tous les bailleurs de fonds étant partis, les projets majeurs dans le cadre des BTP et d’autres éléments du secteur des investissements, que ce soit dans le primaire ou le secondaire, ont été tous affectés, parce que les projets ont fermé. Quand les projets ferment, c’est qu’il n’y a pas d’investissement. Quand il n’y a pas d’investissements, la croissance est affectée et les salaires ne tombent pas comme il faut. Les autres éléments, comme les matières premières qui entrent dans la production quotidienne des entreprises, sont tous affectés. Cela a amené une certaine contraction de l’économie, qui prend du temps avant de redémarrer. C’est cette atmosphère d’économie contractée, de crise sécuritaire qui traîne dans le temps qui a marqué la conception du budget 2013. Toutefois, il est bon de dire que ce budget, non seulement va continuer à bénéficier de l’embellie de l’or, mais aussi d’une campagne agricole qui parait bien meilleure que celle de l’année dernière. Au vu des productions très avancées, on peut s’attendre à une certaine remise sur pied de l’économie, surtout à une remontée partielle du gap qui avait été créé par les évènements de 2012. Voici l’environnement dans lequel le budget a été élaboré. Certaines recettes ont été prévues, selon nous, avec optimisme, mais d’autres, nous le pensons, vont pouvoir se maintenir. Je crois qu’on peut s’attendre à un résultat assez acceptable et surtout à un budget qui pourra se réaliser en proximité avec les prévisions.
Pensez-vous donc que les prévisions de recettes vont effectivement se réaliser?
Oualli Diawara: Cela a été toute notre préoccupation pendant les écoutes. Vous savez l’écoute d’une Loi de finances, c’est beaucoup d’étapes. Il y a, par exemple, les débats en Commission. C’est une question qui est revenue entre nous-mêmes, commissaires de la Commission des finances. Combien les impôts peuvent-ils réaliser et comment la douane peut-elle réaliser tel montant? Au regard, non seulement des réalisations de 2012, dont le budget initial a été corrigé en novembre dernier, avec un budget rectificatif au 15 voire au 30 novembre, nous avons essayé d’évaluer. Il y a des questionnements qui sont restés, mais sur beaucoup de points les réalisations vont être obtenues en 2013. Pour 2013, nous avions effectivement des points de réserve, que l’administration des Finances a essayé d’expliquer cas par cas. Par exemple par rapport aux impôts, 521 milliards sont programmés. Au regard des recettes des impôts en 2012, cela parait difficile. D’autres partenaires aussi évaluent et ont les mêmes agrégats avec le service des Finances, notamment le FMI, qui avait fait des évaluations selon lesquelles on pourra dépasser les 521 milliards de francs CFA. Au regard de ce qui se passe, on peut, selon les tendances de l’année dernière, par une approche historique, on se dit que, peut être, il va être difficile d’y arriver. Mais, au niveau des impôts, il y a une liasse fiscale qui a accompagné la loi de finances de cette année. Elle reprend toutes les réformes programmées pour l’année à venir. Donc, au regard de la grande volonté des Impôts pour l’élargissement de la base, d’une part, mais aussi pour l’institution d’un certain nombres de taxes nouvelles, notamment la TARTOP, taxe de 2% que les gros opérateurs de téléphonie devront verser à l’Etat pour l’année qui vient, à l’instar d’autres pays, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin, on peut être confiants. Si cette taxe rapporte 7 milliards en 2013, cela comblera le gap du FMI, qui n’avait pas tenu compte de l’arrivée de cette taxe. Il y a un certain nombre d’éléments comme cela. Comme la plus value à court terme et à moyen terme, qui est instituée, une réforme de la TVA, le remplacement de l’ADIT par le précompte… Ces mesures, même si elles ne sont pas trop dures pour les usagers directement, procurent une facilité d’exercice. Cela va amener, sinon aider, à élargir la base taxable. En tout cas, par rapport aux recettes, nous avons toujours quelques points de réserve, mais, comme un budget est un acte de prévision, ils ont été expliqués même s’ils ne sont pas totalement levés. Nous devons aussi accorder à l’administration des Finances un certain crédit et nous dire qu’avec la volonté d’y aller ils pourront atteindre les objectifs fixés.
Le budget dégage un déficit de plus de 50 milliards. Etes-vous sûr que nos partenaires, notamment le FMI et la Banque Mondiale, nous viendront en aide pour le résorber?
Oualli Diawara: Le budget est établi à 1007 milliards en recettes et 1057 milliards en dépenses, donc plus de 50 milliards de déficit. Par rapport à nos partenaires, au regard des éléments que nous avons étudiés au moment du vote, ce déficit peut être rapidement résorbé. Notamment avec le passage du FMI et le dernier accord de facilité de crédits signé avec le gouvernement, qui sera validé au cours de son Conseil d’Administration de février 2013. Vous savez que le FMI est un élément déclencheur, qu’il joue le rôle de gendarme au niveau des PTF. Rien que l’accord signé avec le FMI va booster d’autres bonnes prédispositions des bailleurs, notamment la Banque Mondiale, la BAD, et d’autres au plan bilatéral. Tous ont dit: si vous êtes d’accord avec le FMI, nous sommes prêts à débloquer.
Rien que ces annonces, faites aussi par la Banque Mondiale et la BAD, représentent aujourd’hui plus de 71 milliards, dont 19 milliards au compte du FMI même. Mais il faut relativiser tout cela, parce qu’on vit au jour le jour. Chaque jour, des situations peuvent être remises en cause. Quand le FMI passait, il y a trois semaines de cela, rien de très grave ne s’est passé, seulement quelques petits évènements. Il faut prier pour que cela continue dans le bon sens et que tout puisse être fait. Au-delà de cela, nous avons posé la question du financement de ce déficit. Notre pays a pris un gros coup par rapport à sa propre signature, car sinon la levée de fonds par le biais de bons du Trésor ou d’emprunts obligataires de 50 milliards, ce n’est rien généralement pour le Mali. Il est arrivé qu’on souhaite lever 70 à 80 milliards sur le marché et qu’on en obtienne 100 facilement. Nous avions l’une des meilleures signatures de la sous région, mais, avec les évènements, notre signature n’a plus la même crédibilité. Avec la BCEAO, nous avons des accords. Il existe des réserves dans lesquelles on peut puiser par moment ou des transactions que nous pouvons faire avec les banques de la place. Je pense que financer les 50 milliards ne sera pas du tout difficile. Toutefois, en tout état de cause, et pour rester très, très prudent, ce qui est un principe budgétaire important, le gouvernement, avec la Commission des finances, a dégagé un certains nombre de projets, à hauteur de 54 milliards, pour asseoir leur financement sur le rythme d’entrée des attentes. Autrement dit, si les financements extérieurs ne tombaient pas, ces projets connaitront un gel. Ils seront dégelés progressivement avec le déblocage des fonds. Donc, l’exécution du budget, en termes de fonctionnement de l’Etat et de ses structures, en principe, ne posera pas de problèmes, au regard de la qualité de nos recettes aujourd’hui.
Dans le budget de l’armée, il y a une composante de 20,4 milliards pour l’opération Badenko. De quoi s’agit-il?
Oualli Diawara: L’opération «Badenko», au regard des informations que nous avons, a commencé depuis 2012, dès le lendemain des premiers coups de feu. Elle consiste au versement de 1,6 milliards par mois à l’armée pour assurer la sécurité. Partout où des hommes sont sur le front, pour la mobilisation progressive des troupes vers le Nord, les patrouilles et le maintien de la sécurité, avant même que la situation ne se dégrade, cela fait 1,6 milliards par mois, soit 20,4 milliards par an. Au-delà de cela, il y a d’autres inscriptions qui ont été faites cette année, pour qu’on n’ait pas de problèmes par rapport à la reconquête des régions occupées. Cette année, les priorités du budget sont les problèmes sécuritaires et de défense. En outre, il y a 22 autres milliards inscrits pour les investissements du département. Cela concerne l’achat de matériel de guerre et l’entretien des garnisons, contrairement aux années précédentes, où il n’y avait que 6 milliards, comme en 2012. Sur la troisième licence de téléphonie, vendue 55,1 milliards, le gouvernement a décidé de garder en priorité 30 milliards pour les dépenses de Défense, si celle-ci arrivait à consommer les premiers crédits. Cela pour que notre propre armée ne soit pas bloquée pour aller jouer son rôle. En tout, 72 milliards lui ont été accordés, c’est une volonté du gouvernement qui a été acceptée par le Parlement.
Qu’avez-vous à ajouter?
Oualli Diawara: D’une manière générale, en tant que Président de la Commission des Finances, je puis affirmer tout d’abord que le Parlement a pleinement conscience de ce que nous vivons aujourd’hui. C’est dans cet esprit que le budget a été voté, avec une grande préoccupation pour les dépenses de sécurité. Deux, au-delà de ce que nous vivons comme problèmes de sécurité, politiques et économiques, la gouvernance économique de notre pays a beaucoup avancé. Il faut le savoir. Que dire par rapport à la gouvernance économique? Il y a un certain nombre d’agrégats, de documents, surtout par rapport à la liasse budgétaire, qui ont marqué des évolutions positives d’année en année. Aujourd’hui, l’information budgétaire est assez exhaustive par rapport à ce que nous connaissions. Le ministère des Finances a fait beaucoup d’efforts. Il est vrai les ministres peuvent changer, mais l’administration centrale est là. Et chacun met son empreinte positive. Au regard de cela, nous avons aujourd’hui de bonnes informations en matière de gouvernance économique. C’est ce qui fait que le FMI et les autres bailleurs, quoi qu’on dise sur le Mali, savent ce qu’ils trouveront ici. Tout le monde a été étonné de voir comment on avait pu se sortir de cette situation. Vous savez, après les évènements, tout le monde avait prédit qu’au bout de trois mois on ne pourrait plus payer les salaires. Mais il y en a qui ont veillé au grain.
Il y en a qui ont fait les recettes et d’autres qui les ont bien gardées et bien gérées. Je pense qu’il faut saluer l’administration des Finances pour la qualité de ses documents budgétaires.
Lorsque la liasse budgétaire venait, dans le temps, il y avait juste cinq ou six annexes.
Aujourd’hui, nous avons plus de dix-huit annexes, qui donnent des informations d’année en année. Quand nous disons au gouvernement, attention, ceci n’est pas bon, l’on ne peut pas utiliser l’argent du contribuable sans l’informer, il faut que cela soit suivi d’effets. Aujourd’hui, le rapport de la Commission des Finances, à lui seul, fait 63 pages, l’Assemblée nationale en a tiré un travail de 170 pages. C’est important pour la postérité. Autre chose, la communication. Nous avons exhorté et nous continuons à exhorter tous nos collègues à faire les restitutions nécessaires et les populations à s’y intéresser.