En vacances à Bobo Dioulasso pour les fêtes de fin d’année 2012, Alain Sibiry Traoré, le meneur de jeu des Etalons du Burkina Faso et de Lorient (Ligue 1 française) nous a reçus dans la villa familiale. Sans détour, Alain nous parle de sa vie privée, de sa famille, de sa blessure contractée en club, des chances des Etalons du Burkina Faso en partance pour la CAN 2013, de l’Etalon d’Or.
Avec l’international Etalon Alain Sibiry Traoré, tous les sujets ont été évoqués. Lisez en exclusivité la grande interview !
Bonjour Alain! Merci de vous prêter à nos questions. Pourquoi Alain Sibiry Traoré, un nom composé ?
On a tenu à me donner deux prénoms dont l’un catholique et l’autre musulman, du fait que ma mère est d’une famille musulmane et mon père d’une famille catholique. D’où Alain Sibiry Traoré.
Cette appellation ne vous dérange pas ?
Au début, je n’aimais pas le prénom Sibiry. Au fil des temps, j’ai commencé à comprendre les choses. Et aujourd’hui, je trouve que c’est un joli prénom.
Je pense que Sibiry, c’est un oncle à vous ?
Oui, c’est un oncle à moi. Et il très sympa avec moi. Je le trouve très gentil. Ça fait honneur de porter le nom de son oncle.
Vous êtes d’une grande famille. Les circonstances de la vie ont fait que vous avez perdu très tôt votre père. Est-ce que vous avez en mémoire votre père feu Isaï, un ancien footballeur du Burkina Faso ?
Bien sûr, je l’ai en mémoire. J’ai vu quelques uns de ses matches et des photos. Il jouait bien au ballon. A chaque sortie avec les Etalons du Burkina Faso, des supporters me disaient que c’était un grand joueur et me demandaient si je pourrais relever le défi. Je dirais que c’est mon rival et mon modèle. Les gens me comparaient déjà à lui.
Que représente pour vous votre mère Aminata Isabelle Traoré, un être cher à vous, après le décès de votre père ?
Notre mère est la clé de notre réussite. Elle est restée avec nous tout le temps. Elle nous a soutenus, épaulés surtout durant les moments difficiles. Je me rappelle bien quand on était petits, on marchait pour faire nos tournées de foot. Malgré tout, elle nous suivait et guidait. Notre mère représente tout pour nous. Elle a été mon premier coach, supportrice, kiné, bref un confident. C’est grâce à elle que tout le monde connaît aujourd’hui Alain dans ce milieu du football. Il y a d’autres joueurs burkinabés qui sont passés par elle dont Bertrand. Je ne cesserai jamais de parler de cette femme. Elle représente beaucoup pour mes frères et sœurs. Elle a une grande part de responsabilité pour la réussite de notre famille. Merci maman !
Votre mère Aminata Isabelle joue aujourd’hui le rôle de chef de famille dans la mesure où elle vous prend toujours pour des «petits gamins»…
Après avoir perdu notre papa, elle a d’abord voulu nous donner une meilleure éducation de vie avant de penser à se remarier. Nous lui disons coup de chapeau. Cette chance n’est pas donnée à tout le monde d’avoir une maman exemplaire comme elle. Penser d’abord à une bonne éducation de ses enfants au détriment de sa vie privée. Donc, c’est quelque chose qui nous a tous marqués. Pour cela, nous ne cesserons jamais cesser de la remercier. Il faut qu’on réussisse dans cette vie et cela va la soulager. Que Dieu le lui rende au centuple !
Dans votre famille, il y a l’aîné David, Ernestine, Alain, Bertrand et tout récemment un dernier Steven. Parmi les quatre premiers, il y en a deux qui jouent au ballon.
Pourquoi votre grand-frère David n’a pas embrassé la carrière de footballeur ?
Une explication s’impose : il a très vite fait face aux difficultés de la vie. Il était très intelligent à l’école. Beaucoup de gens disaient qu’il avait plus de chance de réussir dans la vie par le canal de l’école que par d’autres chemins. Sinon, il était l’un des meilleurs joueurs du Séminaire de Nansso. Il n’a pas voulu faire carrière en football. Cette discipline demande beaucoup de sacrifices. David n’était pas prêt à faire des sacrifices. Comme on le dit chez nous en Afrique, il aimait trop son corps.
Vous êtes d’une famille de sportifs puisque votre père feu Isaï était footballeur et selon nos infos, votre mère Aminata était N°10 de l’équipe les Panthères Noires. On a dû vous raconter ça ?
On n’a pas vécu l’époque où notre mère jouait au foot, mais on a une tante qui ne cesse de nous expliquer les anecdotes qu’elles ont eues pendant leur jeunesse. Apparemment, il y avait une équipe féminine de foot dont ma mère était N°10 et ma tante défenseuse en même temps capitaine d’équipe. C’était la grande époque, malheureusement, nous n’avons pas connu cette période. Notre mère connaissait le foot. Elle savait à quoi s’attendre et comment guider ses enfants pour pouvoir réussir dans ce métier.
Le fait que votre mère ait porté le N°10 en son temps vous a-t-il influé de prendre le N°10 avec la sélection nationale ?
Non cela n’a rien à avoir. Je ne savais même pas qu’elle portait le N°10. Ce sont ses amis qui m’ont poussé à porter le N°10. Généralement, c’est un numéro qu’on donne au meilleur joueur de l’équipe. A mon jeune âge, mes amis me donnaient toujours le N°10. C’est une marque de confiance qui m’a suivi jusqu’en sélection. En sélection des moins de 17 ans, on me l’a donné. Lorsque j’ai intégré l’équipe nationale, les Etalons du Burkina Faso, on m’a tout de suite donné ce numéro. Personne n’a voulu le prendre. Si ma mémoire est bonne, mon papa aussi portait le N°10 tout comme Bertrand qui l’a porté chez les petites catégories. Mais en club, je porte le numéro 21. Pour moi, le plus important, c’est d’être bon sur le terrain.
Selon ce que je constate, il n’y a pas de frontière entre petits frères et grands frères. C’est une vraie famille à l’africaine… Comment se passe justement votre vie en famille ?
On a l’esprit ouvert. Nous avons forgé notre famille sur une bonne base, sur le respect et les bonnes choses de la vie. On rigole tous ensemble, on se taquine tous et puis la maman, au centre, guide nos pas et nous oriente. David, l’aîné de la famille se confond même à nous. On se respecte mutuellement. Chacun de nous sait là où s’arrête la liberté individuelle. On doit cette cohésion de famille à l’éducation reçue de nos parents.
Il y a une fille, Ernestine, au sein de votre famille. Comment vous vivez avec elle. Est-elle la plus choyée de la famille?
Je pense qu’elle est la plus gâtée de la famille. Ernestine est la seule fille, donc la représentante de notre maman. Dans ce cas, elle a droit à tout. Bertrand et Ernestine avaient toujours droit au gâteau d’anniversaire pas nous (rire). David et moi, on est grand et cela ne nous gène pas. On se comporte en grands.
Vous l’avez évoqué plus haut, votre maman s’est entièrement consacrée à votre éducation après le décès de votre père. Sa vie privée était reléguée au second plan. Ensuite, elle s’est remariée avec M. Sow. Est-ce que ce mariage vous a choqué ?
Pas du tout. Comme je l’ai déjà dit, on a l’esprit ouvert à tout. C’est vraiment quelque chose de fort de la part d’une jeune veuve de 26 ans de penser d’abord à l’éducation de ses enfants au détriment de sa vie privée. Plus les années passent, plus, nous prenons de l’âge, donc on est mûr. Un jour, elle nous a tous invités à table pour nous demander si elle peut passer à autre chose. A l’époque, je connaissais déjà l’Europe tout comme David. On savait que beaucoup de gens acceptent d’y vivre avec leur beau-père. Donc, on a dit oui même s’il faut reconnaître qu’au début, c’était un peu difficile. Vous connaissez bien les garçons avec leur jalousie. Par la grâce de Dieu, on s’entend bien avec notre tonton, il s’occupe bien de nous, même cette belle maison que vous voyez c’est lui qui l’a construite. Et aujourd’hui, je suis content que ma maman ait retrouvée la joie de vivre.
Comment vous avez accueilli le petit Steven, le tout dernier de la famille ?
Avec beaucoup de plaisir. La preuve est que Steven a eu de la chance puisqu’il n’est pas né en Afrique. Il est né à Londres. Cela démontre l’accueil chaleureux qu’on lui a reversé. Vu l’âge de notre maman, on a fait tout pour qu’elle accouche à Londres et non en Afrique. Nous sommes très contents d’accueillir notre petit «Anglais» Steven.
Parlez-nous de votre lien avec le Mali à travers votre grand-mère maternelle qui vit à Bamako dans le quartier N’Tomikorobougou. Certains pensent que Bertrand et vous êtes des Maliens ?
On nous dit ça tout le temps. On dit que les Traoré sont des Maliens, en ce sens que ma grand-mère est du Mali. Beaucoup de gens m’ont posé la question de savoir pourquoi je n’ai pas joué pour le Mali. Je leur dis que je suis Burkinabé. De temps en temps, je rends visite à ma Mamy à Bamako au Mali. Et je suis sûr que ma Mamy sera contente de me voir avec une femme malienne. (Rire).
On sait que vous aimez votre mère. Vous l’adorez presque. Si on vous demandait de lui adresser un message ?
Je lui dirais merci du fond du cœur pour tout ce qu’elle a fait pour nous. Elle continue de se battre et nous donner ses précieux conseils.
Quel est le support de la famille dans votre carrière. Je ne parle pas du côté financier, mais de l’accompagnement physique de la famille pendant vos matches ?
Avec ma maman, mon oncle, ma tante, David, tout le monde au Stade, je sais que je n’ai pas droit à l’erreur. Vous connaissez bien les supporters africains si ça marche tout est rose, si ça ne marche pas c’est à la famille qu’ils s’attaquent. Souvent, ils s’attaquent même à la vie du sportif. Raison pour laquelle j’ai du mal à m’endormir quand je perds un match que ça soit Lorient ou avec le Burkina Faso. Avec cette pression, je suis obligé de donner le meilleur de même.
Ouvrons le chapitre CAN. Nous sommes à quelques jours de la grande messe du football africain. On se rappelle qu’il n’y a pas longtemps Alain Traoré s’est blessé au cours d’un match de championnat français. Décrivez-nous la scène de votre blessure avec votre club Lorient ?
Je pense que mon adversaire m’a chargé par derrière. Ensuite, il y a eu un problème d’appui et nos jambes se sont emmêlées. Quand je suis tombé, vu son poids sur moi, c’est ce qui a un peu tordu ma cheville. Mais c’est un fait de jeu avant tout. Après le match, il est venu me présenter ses excuses. Il s’agit du Sénégalais Bayall Sall. Sincèrement, le geste de Sall est involontaire.
Quel est votre état de santé actuel puisque je vous vois sans béquille. Est-ce qu’on peut dire que ça va mieux ou c’est l’heure d’arrêter avec les béquilles ?
Non, ce n’est pas encore l’heure d’arrêter avec les béquilles. Je ne peux pas vous dire ça sinon mon médecin va me gronder. Il va dire que je suis venu en Afrique chez moi et je marche sans les béquilles (rire). Il y a des fois où ça fait mal aux bras et pouvoir reposer les pieds.
Alain Traoré croit-il aux gris-gris dans le foot ?
Pas du tout, mais la pratique fait partie des croyances africaines. Le plus important pour un homme dans ce métier, c’est l’entraînement, le professionnalisme et le respect de ses parents. Je pense que le premier marabout d’un homme, ce sont ses parents. Ma conception a toujours été ma famille d’abord, le foot en seconde position et puis les autres. Le respect de ses parents est très important pour réussir dans la vie.
Un rappel de taille. Lors du dernier match de qualification de la CAN 2013 contre la République Centrafricaine au Stade du 4 août de Ouagadougou, le Burkina était mené… Et surgit le diable d’Alain SibiryTraoré pour égaliser dans un premier temps et offrir ensuite le 3e but, celui de la victoire propulsant les Etalons à la CAN. Est-ce le plus beau jour de votre vie ?
Ce n’est pas le plus beau jour de ma vie, mais ça fera partie des souvenirs que je ne pourrais pas oublier. Ce n’est pas donné à tout le monde de marquer le but de la qualification à la 95’ au Stade du 4 août et rendre heureux tout un peuple presque à l’agonie. Toute la famille était au Stade ce jour là. Ma tante n’arrêtait pas de pleurer. On se demandait comment les choses vont se passer après le match car à la veille, on a vu à la télé les incidents survenus à Dakar lors du match Sénégal-Côte d’Ivoire. J’avais promis à ma famille et à mon coach, Paul Put que je marquerai deux buts. Je demandais à mes coéquipiers d’être concentrés, la qualification est possible. Je vais vous faire une confidence. Après la défaite (1-0) à Bangui à l’aller, le coach est venu me voir dans ma chambre, désespéré. Il a lancé cette phrase : «La situation est compliquée». Je lui répondu qu’elle n’est pas compliquée car à 2-0, on va se qualifier et je ferai tout faire pour marquer ces deux buts. Aux défenseurs de bien sécuriser par derrière. Donc, on a fait un pari et puis il m’a tendu sa main. Coïncidence de l’histoire, Bertrand aussi avait marqué le but de la qualification des Juniors.
La CAN débute le 19 janvier prochain en Afrique du Sud. Alain Sibiry Traoré sera-t-il à la CAN pour défendre les couleurs du Faso ?
Tous les joueurs des équipes qualifiées pensent à cette CAN. On est en trêve et tout le monde pense à cette coupe. Pour l’instant, j’ai la tête à ma blessure, surtout de bien guérir et de bien retrouver ma forme pour pouvoir participer à cette Coupe d’Afrique. Alain à 70%, ce n’est pas la peine d’aller à la CAN puisque tout le Burkina compte sur moi à 200%. Donc, je ne peux pas me prononcer sur ma participation à la CAN. De toutes les façons, je serai à 200% derrière les Etalons.
Est-ce à dire que vous êtes incertain pour la CAN ?
Au moment où je vous parle, je suis incertain car je suis sur un seul pied. La CAN, c’est dans deux semaines en Afrique du Sud. Pour un sportif de haut niveau, avoir un plâtre à deux semaines d’une compétition, c’est frustrant. Après le plâtre, c’est la rééducation, la mise en forme. La CAN est une compétition pas comme les autres en Afrique, il faut être au top pour pouvoir participer. Je n’aimerais pas aller à la CAN étant malade. J’ai vécu la même chose il y a un an en Guinée Equatoriale. Je ne suis forfait, mais pas apte également. Il faut positiver, rassurer les supporters.
En tant que joueur et technicien de foot, quel est votre pronostic ?
Il faut attendre le premier match de toutes les équipes pour pouvoir faire un pronostic. L’an passé, j’étais sûr de la qualification de la Zambie en finale après le match qu’elle a livré contre le Sénégal. Pour ce qui est du Burkina Faso, je sais qu’on a une très bonne équipe, on est jeune, on a de l’ambition. Notre seul défaut est qu’on a un manque d’implication. Je pense que si on est tous impliqués, on peut faire une bonne CAN.
Pratiquement l’année 2012 a été celle du bonheur pour vous. La qualification à la CAN, votre prix d’Etalon d’Or. Quels sentiments vous animent ?
J’ai du mal à parler de moi. Je pense que mes amis sont mieux placés pour le faire. Le succès, on ne peut pas l’avoir étant assis. Il faut fournir beaucoup d’efforts. Et le titre Etalon d’Or récompense ceux qui se sacrifient pour la patrie. Au début, ce n’était pas facile, mais je me suis accroché tout en continuant à bosser dur, et aujourd’hui, le résultat est là.
Côte jardin : Alain est-il toujours célibataire ?
Oui ! Je suis célibataire sans enfants. Moi-même, je suis enfant donc ce n’est pas la peine de se précipiter. Comme le dit un proverbe : «Plus vite que la musique, on danse mal.» Je veux bien danser donc je ne vais pas aller plus vite. Il faut d’abord garantir son avenir et celui de sa famille ensuite penser à fonder un foyer.
Par Baba Cissouma, envoyé spécial à Bobo Dioulasso