Lundi et dans la nuit de lundi à mardi, des groupes islamistes armés, des hommes d'Ansar Eddine en tête, sont venus au contact de l'armée régulière malienne dans les localités de Konna et de Douentza, plus très loin de Sévaré et de Mopti, de l'aéroport qui permet l'approvisionnement, l'acheminement de soldats et des 400 instructeurs européens de la future mission de formation. Tout cela à 600 km de Bamako.
On ignore pour l'heure ce que recherche Iyad Ag Ghali (photo ci-contre), le chef d'Ansar Eddine, qui aurait initié ce mouvement vers le sud. En attendant des informations plus consistantes, partons à la découverte de ce personnage clé de la crise au Mali, un Touareg du nord, de l'Adrar des Ifoghas dans la région de Kidal... Un rebelle et affairiste, devenu islamiste et djihadiste.
Officiellement, l'armée malienne n'a effectué que des tirs de sommation à Konna devant l'avancée des rebelles qui auraient opéré un repli tactique. Mais ce début d'accrochage s'inscrirait dans un plus large mouvement des groupes islamistes armés. Jusqu'ici, une " ligne de démarcation " séparait les deux camps, passant par Léré non loin de la frontière mauritanienne jusqu'à Boni à l'est côté Burkinabé. Ils seraient réunis en masse depuis quelques jours à Bambara Maoudé, entre Tombouctou et Mopti, et ont opéré un mouvement vers le sud.
On ignore encore si ce coup de pression rebelle est une phase offensive militaire délibérée ou un bluff de nature politique. On peut certes douter des capacités de résistance de l'armée malienne et s'inquiéter franchement. Mais avec la proximité des négociations, le 10 janvier à Ouagadougou, sous la présidence du président burkinabé Blaise Compoaré, cette action peut aussi être interprétée comme une carte abattue par le boss d'Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali... Histoire que ses émissaires débarquent au Burkina-Faso en position de force.
A 54 ans, Iyad Ag Ghali est un drôle de personnage, un fils d'éleveur, un Touareg de la tribu des Ifoghas dans la région montagneuse de Kidal au nord du Mali. Une caste dominante qui lutte ou travaille, selon les époques et ses intérêts, avec le pouvoir central de Bamako. Tour à tour, on le piste en Libye, au Liban, au Tchad, dans les légions vertes de Kadhafi. On le retrouve en 1990 à la tête de la révolte menée à Menaka par le Mouvement populaire pour la libération de l'Azawad (MPLA).
Iyad Ag Ghali se rallie ensuite à l'ancien président Amadou Toumani Touré (débarqué par le coup d'Etat du 22 mars 2012). En 2003, il place même son réseau au service de Touré dans les négociations pour la libération d'otages détenus par les Algériens du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, les ancêtres d'AQMI). Déjà. Il en profite, s'enrichit... et peaufine sa connaissance des milieux islamiques.
Le président malien ne saisit toujours pas ce qui se trame lorsqu'il l'envoie comme consul à Djeddah en Arabie saoudite en 2007. Il pense l'éloigner. Iyad Ag Ghali est expulsé trois ans plus tard du charmant pays de la péninsule arabique pour des contacts un peu trop appuyés avec les milieux extrémistes...
Il rentre au pays humilié et tente fin 2011 de prendre le commandement du MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad). Il échoue et fonde Ansar Eddine (Défenseurs de la foi, une autre orthographe en français donne Ansar Dine) qui finit avec l'aide d'AQMI, du MUJAO et peut-être des Nigérians de Boko Haram (qui s'entraîneraient régulièrement dans l'Adrar des Ifoghas en traversant le Niger) à prendre le pas sur les nationalistes touareg du MNLA.
La communauté internationale, l'Algérie en tête (toujours influente auprès des Touareg), pensait pouvoir ramener à la raison Iyad Ag Ghali. Ansar Eddine avait même signé un accord avec le MNLA le 21 décembre à Alger. Mais il faut croire que les liens avec Al Qaïda au Maghreb islamique et ses filiales régionales sont plus forts qu'imaginés.
Le chef d'Ansar Eddine souffle le chaud et le froid, annule sa proposition d'arrêt des hostilités pour demander l'autodétermination de l'Azawad (avec l'application de la charia). Mais ses ambassadeurs seront à Ouagadougou le 10 janvier. Il profite quelque part de la faiblesse du pouvoir malien et de la grande prudence de la communauté internationale...
OL. B.
Un peu de paix dans ce monde de brutes. En vidéo, une chanson du talentueux groupe de rock touareg, Tinariwen, originaire de l'Adrar des Ifoghas, comme Iyad Ag Ghali...