Si la junte de Kati avait lu Sun Zhu, elle aurait compris que la guerre est une affaire trop sérieuse pour s’accommoder d’improvisations échevelées, de fanfaronnades et autres actes de mauvais films de série B.
Pour éclairer tous les lecteurs de cet article, je vis et travaille au Canada depuis une trentaine d’années à différents postes de responsabilités dans la haute fonction publique. Bref ce que je dis dans cet article est simplement le fruit de ma compréhension de ce que vit et traverse mon pays, le Mali.
Aujourd’hui il est facile de verser dans la démagogie et de traiter de tous les maux le régime démocratiquement élu du président Amadou Toumani Touré. Mais les raisons profondes de cet état de déliquescence du Mali sous la gouverne d’ATT sont à rechercher tant dans le comportement indolent du malien ordinaire que dans celui de son élite politique et intellectuelle.
Les sursauts de colère (irruption d’un certain capitaine Sanogo sur la scène politique) n’ont jamais remplacés les actions impulsées par une pensée structurée. Malheureusement, le Comité mis en place par les mutins et leurs suppôts politiques n’appréhendent pas correctement les difficiles compromis et contorsions que nécessite la gestion d’un état multiethnique, pauvre et inculte.
Je suis assez vieux pour me rappeler que le CMLN du lieutenant Moussa Traoré avait promis la liberté et le bonheur au peuple malien, après avoir traité le régime socialiste du président Modibo Kéita de tous les maux : dictature, corruption, détournement de deniers publics et j’en passe. Sans formation et sans expérience dans le commandement d’une compagnie ou d’un bataillon et par la seule magie des décrets, les officiers subalternes du CMLN sont tous devenus des officiers supérieurs d’une armée malienne, le coup d’Etat justifiant cette promotion éclair.
Par la suite, tous les autres corps de l’administration publique ont suivi cette dérive initiée par les jeunes militaires maliens. Des commis d’administration sont devenus du jour au lendemain des administrateurs civils, des inspecteurs des affaires économiques ou des inspecteurs du trésor et des moniteurs d’agriculture sont devenus le temps d’un stage de six à douze mois des ingénieurs agronomes, et j’en passe.
Après 23 ans de règne du même Moussa Traoré, avec le CMLN ou plus tard avec l’UDPM, le peuple malien n’a connu ni la liberté promise, ni la fin de la corruption et du détournement des deniers publics, encore moins un soulagement de sa pauvreté. Au contraire, tous les Maliens qui ont eu le courage de s’opposer au CMLN ou à l’idéologie du parti unique ont trouvé sur leur chemin la férocité d’un régime dont le seul souci était de se maintenir au pouvoir.
Ainsi plusieurs militaires ont connu une fin atroce dans les geôles de Taoudéni ; des syndicalistes et leaders estudiantins furent incarcérés et torturés pour des revendications essentiellement corporatistes. Enfin le Mali moderne a connu ses premiers millionnaires de la sécheresse. Il a fallu que le demi-Dieu qu’était le lieutenant Moussa Traoré ait vraiment dépassé les limites acceptables pour qu’une autre junte, dans un réflexe d’autoconservation, se débarrasse de ce Malien qui se croyait élu des cieux.
Le monde a changé
Les raisons invoquées par les militaires du CNRDRE, essentiellement l’incompétence et la corruption du président ATT, du Premier ministre et du gouvernement, ne justifient pas cet assaut violent contre les institutions de la République. Des gouvernements incompétents et corrompus, il y en a dans tous les pays, grands et petits, noirs et blancs, développés et sous-développés. Le propre du jeu démocratique est de permettre au peuple de se débarrasser de ces gouvernements par les urnes, pas par des uzzis et des kalachnikovs.
C’est au peuple que revient ce droit, pas à un quelconque Malien, pas à une partie quelconque d’une institution malienne. Que cette irruption violente de ces militaires maliens soit applaudie par certains maliens témoigne de notre difficulté à discerner le vrai du faux, à confondre l’essentiel et l’accessoire, à nous accrocher à des principes surtout lorsqu’ils ne font pas notre affaire, bref notre difficulté à intégrer la raison dans la matérialisation de nos actions.
Au Mali, nous avons perdu l’habitude de cette qualité humaine essentielle, la faculté de penser, de réfléchir et de poser des actions conformes à notre pensée pour notre bien commun et pour celui de notre nation entière. Depuis le coup d’Etat de la soldatesque inculte qui a pris le pouvoir en 1968, le Mali n’a cessé de régresser dans tous les domaines importants de l’édification d’une nation. A-t-on vraiment besoin de fréquenter Sandhurst, Saint-Cyr ou West-Point pour imaginer qu’un changement à la tête d’un pays en guerre aboutirait inexorablement à une cassure dans la chaîne de commandement et finalement à une défaite de l’armée ?
Mais malheureusement pour le Mali, les sous-officiers et les quelques officiers de la junte n’avaient pas appréhendé toutes les implications de leur irruption brutale sur la scène politique. Devant les réactions fermes de la Cédéao et de la communauté internationale condamnant la prise de pouvoir par la force et l’application stricte des sanctions contre le Mali, la junte, dans un rare moment de lucidité, lança un appel pathétique à la communauté internationale pour l’aider à lutter contre les rebelles. Si elle avait lu Sun Zhu, elle aurait compris que la guerre est une affaire trop sérieuse pour s’accommoder d’improvisations échevelées, de fanfaronnades et autres actes de mauvais films de série B.
Un président intérimaire et un Premier ministre doté de pleins pouvoirs sont installés. Le chef des putschistes continue à se promener entre Kati et Bamako ; depuis, les 2/3 du territoire national échappent à la junte de Kati qui crie à hue et à dia qu’elle s’était invitée à la table politique pour pouvoir lutter efficacement contre les rebelles.
Des bandes armées tuent, pillent et violent dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou tandis qu’à Bamako d’autres bandits armés (probablement les milices de la bande de Kati) tuent, enlèvent et pillent. Ce cirque a trop duré pendant que l’économie malienne est en lambeaux et que les pistoleros de Kati semblent vouloir jouer un rôle politique que leur interdit la Constitution du Mali.
Au lieu de pérorer sur la période de transition qui n’est pas explicitement inscrite dans la Constitution, il y a simplement lieu de se référer à la Cour constitutionnelle pour éclairer tout le monde sur l’esprit et la lettre de la dite Constitution, car par delà ce qui est inscrit dans la Constitution, il y a aussi les intentions du législateur, les conventions, les coutumes et les précédents (nationaux et internationaux) en la matière.
Organiser une convention comme le réclame aujourd’hui le capitaine de Kati est une autre preuve de l’impréparation des militaires à gérer un Etat car cet acte improvisé indique que cette junte est aux abois. Une convention nationale ne s’improvise pas et ne peut être tenue convenablement avant la fin de l’intérim du président Dioncounda Traoré. Qui va participer ? Et sur quels critères va-t-on désigner les participants ? Les participants vont-ils représenter leur région d’origine, leur ethnie, leur couleur de peau, leur religion et que sais-je encore ? Et quelle autorité va désigner les participants ?
Exclusion ?
Si je me fie au Premier ministre à partir de la composition de son cabinet, les Arabes et les Touareg ne participeraient pas à cette convention nationale. Comme Malien, je ne dissocie de toute entreprise qui écarterait une ethnie quelconque des discussions sur le devenir de la nation. Que le Premier ministre constitue un gouvernement sans consulter la classe politique est malsain et malséant en soi ! Mais qu’il décide d’exclure tout Arabe ou tout Touareg est inacceptable et condamnable dans la mesure où son mandat était justement de constituer un gouvernement d’union nationale.
J’imagine que les loubards qui applaudissent un tel comportement ne mesurent pas la portée d’une telle exclusion sur la psyché profonde d’une quelconque ethnie au Mali. Car en politique la perception est hélas la réalité. Ça pue le racisme systémique et je pensais qu’aucun gouvernement du Mali ne s’abaisserait à ce niveau. On ne peut pas vouloir d’un Mali uni en écartant du gouvernement ceux dont le seul crime est d’avoir le faciès du rebelle.
La junte malienne ne semble pas comprendre que la stabilité est le socle de tout progrès économique ou social. Il serait intéressant de calculer ce qu’a coûté au Mali l’intervention des militaires depuis le 22 mars 2012 en termes de chute du PIB et de l’exhiber à la face de tous ceux qui s’amusent à vouloir un état militaire au Mali dans les circonstances présentes. L’on doit constamment se rappeler que le Mali ou ce qui en reste est un pays pauvre qui ne peut se permettre de se mettre à dos la communauté internationale et la Cédéao.
Cette réalité n’est pas le fait de Modibo Kéita, de Moussa Traoré, d’Alpha Oumar Konaré ou d’Amadou Toumani Touré. L’incompétence et la corruption s’observent dans toutes les sphères des institutions du Mali. Encore une fois, la pauvreté explique en grande partie cet état ; les militaires de Kati n’ont-ils pas remarqué la corrélation entre le niveau de développement d’un Etat et son niveau de corruption ? La seule façon de corriger cette situation est de travailler à faire reculer les frontières de l’ignorance et d’édifier ainsi un Mali plus juste et plus solidaire en développant le progrès économique et social de ses populations.
La junte doit rentrer dans les casernes et laisser les Maliens et les historiens juger de l’à-propos de son irruption sur la scène politique au Mali. Les Maliens ne seront pas plus vertueux parce qu’un quelconque capitaine leur intime de l’être. Malheureusement et pour longtemps encore la condition économique va déterminer au Mali le comportement et la vertu de ses populations et de ses institutions, même si un gouvernement au comportement irréprochable pourrait influer sur cet objectif.
La pauvreté n’est pas un vice et encore moins une fatalité ; nous sommes capables de la réduire au Mali en faisant travailler nos cerveaux plutôt que nos muscles.
Oumar Touré