Visite d’Etat, la première d’un président du Mali en France en 55 ans. Promesse de financement de la relance de l’économie malienne (y compris le développement du nord) à hauteur de 2 000 milliards de FCFA sur deux ans. Perspective d’un accroissement de l’investissement privé au Mali. Hommage de la célèbre université française, la Sorbonne, à l’un de ses anciens étudiants et enseignants. Le président IBK a été, assurément, comblé lors de son dernier séjour dans l’Hexagone. Pour lui-même et davantage pour le Mali, souligne t-il volontiers.
En posant le pied sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, ce mardi 20 Octobre, le président IBK, un fin connaisseur des usages dans le microcosme politique français, n’ignorait rien des fastes attachés à une visite d’Etat, la plus haute marche du protocole de l’Hexagone. Pourtant, à son entourage et aux nombreux visiteurs qu’il a reçus dans la suite cossue du prestigieux hôtel Meurice, généreusement mise à sa disposition par le pays hôte, il s’est dit ” surpris par tant d’attentions et d’honneurs portés à (sa) modeste personne “.
Il est vrai qu’il n’est pas courant que la France accorde une visite d’Etat à des personnalités politiques étrangères. Sa Majesté la reine d’Angleterre y a eu droit sous François Mitterrand. Plus récemment, le président du Mexique a accédé à ce rare privilège. La plupart du temps, nous assure-t-on, les invités de marque de la France doivent se contenter d’une visite officielle, plus sobre en démonstrations d’affection et de respectabilité. Cas du président des Etats Unis d’Amérique, Barack Obama, pour ne citer que le plus illustre.
36 motards et 130 chevaux sur les Champs Elysées
IBK, pour ce qui le concerne, s’est vu offrir tous les honneurs, tous les privilèges. Tapis rouge et hymne national du Mali partout où ses pas l’ont conduit : Orly, Arc de Triomphe, palais de l’Elysée, Sénat, Hôtel de Ville de Paris, Verdun. Escorte de 36 motards et 130 chevaux sur les Champs Elysées, ” la plus belle avenue du monde ” comme aiment à le dire les Français. Les bâtiments et places publics pavoisés aux couleurs vert-or-rouge du Mali. Un dîner d’Etat dans les salons lambrissés du palais présidentiel où le gratin de la France s’est retrouvé autour du président IBK, de son épouse et d’une dizaine de personnalités maliennes triées sur le volet pour partager un copieux repas sous des airs de musique mandingue distribués par des artistes réputés venus spécialement de Bamako.
Alors question : pourquoi une visite d’Etat pour IBK, venu aux affaires voici seulement deux années, quand certains de ses homologues africains, plus anciens dans la fonction présidentielle, peinent à obtenir une simple visite de travail ? L’homme par qui ce bonheur lui est arrivé, François Hollande, s’en est expliqué lors de la conférence de presse qu’il a coanimée avec son hôte, dans la journée du mercredi 21 octobre et dans le toast qu’il a prononcé dans la soirée du même mercredi au cours du dîner d’Etat à l’Elysée.
«Visite exceptionnelle» Hollande dixit
Cette “ visite exceptionnelle” a-t-il dit, a été organisée parce que “ IBK est à la tête d’un pays ami de la France ” et parce que IBK lui-même ” est un ami “. Les deux pays, a-t-il ajouté, “sont liés par une fraternité d’armes ” qui s’est illustrée de nouveau par l’intervention de l’armée française, le 11 janvier 2013, aux côtés de celle du Mali, “pour repousser les terroristes“.
L’amitié de la France et du Mali se traduit aussi au plan économique (plus de 300 millions d’euros engagés depuis 2013 pour soutenir de nombreux projets dans divers secteurs) et au plan politique (appui et accompagnement de la France dans la négociation, la signature et la mise en œuvre de l’Accord issu des discussions d’Alger).
Autre aspect de ” l’historique ” relation franco-malienne qui plaide pour cette visite d’Etat, 8 000 Français résident au Mali dont 2 000 rien que sur les deux dernières années – “une marque de confiance ” souligne t-il – et 70 000 Maliens vivent en France.
Bâtir un Mali émergent
Au delà des fastes, des hommages et des civilités, le séjour parisien d’IBK a été fortement marqué par l’économie. D’abord au niveau du siège parisien de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) où se tenait, le 22 octobre, une conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali intitulée “Bâtir un Mali émergent “.
Initiée conjointement par le gouvernement malien et l’OCDE avec l’appui de la France et d’autres partenaires, elle s’inscrit en droit fil de la signature, en mai-juin dernier, de l’Accord de paix et de réconciliation au Mali. Son but, en effet, est de mobiliser les fonds nécessaires à la reconstruction du Mali “d’après guerre ” en partant du postulat qu’il n’y a pas de “ véritable paix sans développement” comme ont-tenu à le rappeler les présidents Hollande et IBK, présents tous deux à l’ouverture des travaux.
Une Mission d’Evaluation Conjointe des besoins dans le Nord (MIEC/Nord Mali) a estimé le coût des actions de relèvement rapide, de réduction de la pauvreté et de développement pour les six prochaines années à 2 320 milliards de FCFA (3,5 milliards d’euros). Les annonces d’engagement financier faites par différents partenaires ont porté sur 2 120 milliards de FCFA (3,2 milliards d’euros) sur la période 2015-2017). La contribution de la France, annoncée par François Hollande, sera de 195 milliards de FCFA (300 millions d’euros) sur ces deux ans.
Une contribution de 300 milliards de FCFA du Mali
Le Mali lui-même ne sera pas en reste qui, dans le respect des dispositions de l’accord de paix, a mis au point une Stratégie Spécifique de Développement des régions du Nord au terme de laquelle il apportera sur fonds propres une contribution de 300 milliards de FCFA (450 millions d’euros) sur les deux années 2016-2018.
Le montant annoncé au cours de cette Conférence de Paris n’est toutefois pas exhaustif. Pour des raisons liées à des considérations électorales ou de calendriers budgétaires, des partenaires traditionnels du Mali ont préféré ne pas faire d’annonces spectaculaires. Mais ils ont assuré qu’au moment opportun, ils seront aux côtés de notre pays comme ils l’ont toujours fait.
D’autres se sont montrés réservés eu égard à leur omniprésence dans de nombreux projets en cours ou en voie d’exécution.
Au sein de la délégation malienne, on affichait une satisfaction non feinte tout en espérant que cette rencontre de Paris ne sera pas un remake de la Conférence de Bruxelles en 2013. La communauté internationale avait alors annoncé 3 milliards d’euros mais le Mali n’en aurait réellement reçu qu’un ou un peu moins. “ Les donateurs ont repris de la main gauche ce qu’ils avaient donné de la main droite en se faisant payer au coût fixé par eux-mêmes les prestations fournies au Mali principalement aux plans sécuritaire et militaire ” relève un interlocuteur.
Tout en reconnaissant que cette fois-ci le contexte est différent : ” La sécurité reste toujours prioritaire mais les aides prendront mieux en compte la vie et les préoccupations réelles des populations : nutrition, santé, éducation, eau, hygiène et assainissement, protection, réinsertion sociale, justice, réconciliation et gouvernance etc.”
Le secteur privé français pour booster l’économie malienne
Une plus forte implication du secteur privé français à la relance de l’économie malienne au sortir de la crise a constitué l’autre volet économique du séjour parisien du président IBK. Venus en grand nombre et représentant les principaux secteurs d’activité (agriculture, mines, énergie, transport, BTP, banque, import-export, habitat, hydrocarbures, NTICs) des chefs d’entreprises maliens ont rencontré au siège du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) leurs homologues français au nombre d’une bonne centaine. Ce qui a fait relever par l’ambassadeur de France au Mali, Gilles Huberson, présent sur les lieux et l’un des artisans de la rencontre, tout l’intérêt que ceux-ci portent à l’économie malienne.
Trois panels ont été organisés autour de l’agriculture, des infrastructures, l’énergie et les mines, qui ont été animés par des ministres, hauts cadres de l’administration et dirigeants d’entreprises. Des séances B to B ont eu lieu également entre opérateurs maliens et français.
Signe de l’attrait du marché malien sur les investisseurs français, trois contrats ont été signés sous le regard satisfait du président IBK, entre des entreprises françaises et leurs partenaires publics et privés maliens. Il s’agit de Akuo Kita Solar, Oberthur Technologies et Kama Sa et Contirep.
IBK honoré par la Sorbonne
Enfin, la visite d’Etat d’IBK a été marquée par trois cérémonies qu’il n’oubliera sûrement pas de sitôt. La première a concerné l’hommage solennel qu’a rendu la ville de Paris à un vieux Parisien (IBK y est arrivé la première fois quand il avait 13 ans, après avoir été premier à un concours organisé pour les élèves du Soudan français, qui comprenait alors l’actuel Mali, le Niger et l’ex-Haute Volta devenue Burkina Faso).
La deuxième a eu trait à la reconnaissance par la plus prestigieuse université de France, la Sorbonne, de ce qu’il fut l’un de ses étudiants avant d’être l’un de ses enseignants. Toutes choses qui lui ont valu de se voir délivrer “ la médaille de l’Université “.
Enfin, IBK s’est rendu au cimetière de Douaumont, qui fut le champ de bataille de Verdun lors de la grande guerre de 1914-1918 et où sont enterrés des milliers de morts parmi lesquels des Français, des Allemands, des Américains mais aussi des Africains. Il s’est recueilli sur un carré de tombes de soldats d’origine malienne. Dans l’une d’elles se trouve un aïeul à lui, «mort pour la France et la liberté» qu’il n’a jamais connu.
Saouti Haïdara, Envoyé spécial