Sans salaire digne de ce nom, difficile pour les journalistes congolais, comme pour d’autres en Afrique, de ne pas chercher à monnayer leur travail. Au détriment de l’objectivité de l’information et de ceux qui ne peuvent pas payer. Ce reportage accablant de la vie de journaliste au Congo, reflète quelque part des réalités qui interpellent la presse malienne et les hommes politiques.
La salle de rédaction. Sous le soleil tropical d’octobre, trois journalistes suent à grosses gouttes. L’abattement se lit sur leur visage. Ils sortent d’une entrevue avec un ministre. D’habitude, cela signifie beaucoup d’argent. Cette fois-ci, ils n’on reçu que 5000 Fcfa. “Quand le ministre a dit à son collaborateur de nous payer le taxi, j’ai compris qu’on allait nous tromper. Il aurait fallu qu’il nous tende lui-même l’enveloppe”, fulmine l’un deux.
Ces journalistes ont été embauchés il y a quatre mois. Depuis, ils attendent toujours leur salaire.
Comme la plupart des journalistes d’Etat, sous-payés ou non payés, ces journalistes pratiquent la “camora”. C’est ainsi qu’on appelle la corruption dans les milieux de la presse au Congo. Vénue comme un mal nécessaire et douloureux par la profession, la “camora” permet aux journalistes d’assurer “le haricot pour les enfants”.
“Si on veut que les journalistes ne demandent plus d’argent partout où ils vont, on n’a qu’à nous verser un salaire chaque mois. Après tout, il faut vivre”, explique ce reporter de Radio-Congo. “Etre intègre, pour gagner quoi” ? se demande cet autre journaliste.
La “camora” se pratique au grand jour. En août dernier, les membres du parlement provisoire l’ont dénoncée auprès du ministre de l’information, François Ibovi, avec cette question laconique : “pourquoi les journalistes congolais, ceux des médias d’Etat surtout, exigent-ils toujours de l’argent à la fin des reportages ?” La réponse du ministre a été directe : “Aucun budget ne prend en compte le fonctionnement correct d’un média public. Pour garantir la couverture des événements, les organes d’information doivent poser le problème du déplacement et des consommables aux organisateurs”.
Certains journalistes tentent pourtant de résister. “Il ne faut pas encourager de telles choses. Le journalisme est un métier noble. Nous devons nous faire respecter plutôt que de nous prostituer…”, analyse cette journaliste fonctionnaire, qui est aussi correspondante d’une agence de presse étrangère. Même constat du secrétaire général de Reporters sans frontières, Robert Ménard qui, de passage à Brazzaville a suggéré aux patrons de presse de “cesser de donner des salaires ridicules à leurs employés, pour éviter les pots-de-vin”.
Sans argent, pas de reportage.
Les associations, les ONG, les mouvements religieux, les personnalités savent tous qu’aucun reportage n’est plus gratuit dans les médias d’Etat congolais.
Pour la moindre entrevue de dix secondes, il faut “donner la bière”, autrement dit, payer sous la table entre 10 et 13 000 Fcfa. Sans compter la note de taxi des journalistes et des techniciens. Et il ne suffit pas de verser de l’argent. Il faut aussi veiller au partage.
Il y a quelques années Mr M.M., alors directeur de Radio Pointe-Noire, a été copieusement molesté par ses confrères. Motif : il aurait “boukouté” (brouté) seul le pactole qu’une compagnie lui avait versé. Les altercations publiques entre journalistes d’Etat sont courantes quand le butin est mal partagé…
La “camora”, qui grippe aujourd’hui tous les rouages de la vie publique au Congo s’étend aussi aux journaux privés issus de la révolution démocratique des années 90.
Ces journaux n’ont ni siège social, ni capital.
Ils sont dirigés par des fonctionnaires peu qualifiés et leurs principaux pourvoyeurs de fonds sont les hommes politiques.
Rares sont les journaux qui peuvent se permettre de payer des piges à leurs journalistes.
Quand c’est le cas, ces piges ne dépassent pas 5000 Fcfa, ce qui est à peine assez pour faire le marché quotidien. Cette situation pousse les directeurs de publication à se prostituer et à inciter ouvertement les journalistes à piétiner la déontologie.
Résultat : la “camora” a aussi des effets sur le traitement de l’information. Beaucoup d’articles s’apparentent désormais à des publi-reprotages et l’importance accordée à l’information dépend de la façon dont l’équipe a été “récompensée”. De la même façon, aucun journaliste ne prend plus la peine d’aller sur le terrain, donner la parole aux paysans ou aux pauvres : “Qu’est ce que je peux gagner avec un travail aussi difficile ? Moi, je vais là où je peux avoir quelque chose”, explique ce journaliste de Télé-Congo.
“Dès que tu arrives, on te demande ce qu’un tel t’a donné. Si tu ne présentes rien, tu es ridicule et l’information ne passe pas”, ajoute cet ancien journaliste d’un hebdomadaire satirique, qui a fini par démissionner en raison des changements incessants de ligne éditoriale.
Pour certains directeurs de publication, la “camora” masque un problème plus grave encore que celui des salaires. “Les opérateurs économiques ne s’intéressent pas à la presse. Il n’y a pas de publicité dans les journaux. Nos dirigeants ont plus de considération pour les confrères venus de l’étranger que pour les représentants de la presse congolais.”
D’après SYFIA