Pour protester contre le mauvais traitement infligé au personnel des banques et des établissements financiers du Mali par la justice, le Syndicat national des banques et des établissements financiers (Synabef) menace d’aller en grève. L’information a été donnée le vendredi 6 novembre dernier au cours d’une Assemblée générale extraordinaire, tenue dans la cour de la BHM.
En appliquant les lois relatives aux instruments de payement et la directive communautaire de l’Uemoa sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, le personnel des banques et établissements financiers se retrouve aujourd’hui entre le marteau et l’enclume. Il s’agit notamment de la loi n°97021 du 14 mars 1997, relative aux instruments de paiement; du règlement n°15/2002/CM/Uemoa, relatif au système de paiement dans les Etats membres de l’Uemoa; de la directive n°07/ 2002/CM/Uemoa, relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans les Etat membres de l’Uemoa. A en croire les banquiers, non seulement ces mesures les protègent dans les opérations bancaires, mais aussi et surtout empêchent le blanchiment des capitaux.
Cependant, force est de reconnaitre que malgré l’application stricte de ces lois, certains employés des banques se retrouvent inculpés et emprisonnés. Face à cette situation, le Synabef est depuis un certain temps sur le gril non pas pour affronter les patrons de banques comme on pouvait le penser, mais contre les décisions de justice qui frapperaient «injustement» les agents de banque dans l’exercice de leurs fonctions. C’est pourquoi, le vendredi dernier, tous les agents ont été invités à clôturer leur journée à 10 heures afin de se rendre à la BHM pour soutenir la cause qui préserve les leurs et le patrimoine des banques contre certains agissements de la justice. Le Synabef entend ainsi se liguer davantage contre ce qu’il appelle «l’insécurité judiciaire des agents de Banque».
De quoi s’agit-il ?
La société «Cissé technologies» (C.tech-Sarl), entreprise évoluant dans le domaine des matériels médicaux et récemment adjudicataire du marché d’Etat de 8 milliards FCFA pour la fourniture de solution informatique à la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam), aurait subi un préjudice de 800 millions de F CFA du fait de retraits frauduleux effectués dans son compte domicilié chez la Bicim. Les retraits auraient été effectués sur la base de chèques sur lesquels la signature du mandataire habilité de la société aurait été imitée. En effet, au sein de cette société, un certain A.T occupait les fonctions de comptable et détenait par devers lui l’ensemble des documents comptables dont les chéquiers de banque. Il effectuait à cet effet les opérations de banque sur les comptes ouverts au nom de la société. Suite à des soupçons sur des opérations douteuses accomplies par le sieur A.T (plusieurs fournisseurs n’ont jamais reçu les paiements pourtant effectués), la société « Cissé technologies» entreprit des investigations auprès de la Bicim. Ces investigations ont permis de révéler que le nommé A.T aurait effectué plusieurs retraits d’importantes sommes d’argent sur le compte de la société par imitation de la signature du gérant de la société sans éveiller l’attention de la banque. La société estime que l’importance des sommes détournées (environ 800 millions FCFA) et la séquence des opérations auraient dû amener la banque à plus de prudence et de vigilance avant de payer. La société suspecte une complicité entre le comptable fraudeur et l’agent de la Bicim qui s’occupe de son compte, à savoir Hamadoun Boré. Il tire argument du fait que celui-ci ne l’aurait pas appelé pour confirmer l’émission desdits chèques.
La justice, saisie sur plainte de la société «Cissé technologies», a mené ses investigations, lesquelles ont abouti à l’inculpation de l’agent de banque. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire du syndicat des banques qui crie à l’injustice et à l’acharnement.
Rappelons que le cas Boré, selon le Synabef, fait suite à un ensemble de cas où les agents de banque ont été trainés à la police et à la gendarmerie chaque fois que les clients contestent les retraits, estimant que leur signature aurait été imitée. « Trop c’est trop !», clame le Secrétaire général du Synabef, Aguibou Boiré, car aucun personnel n’est à l’abri de la prison.
Dans son argumentaire juridique, le Synabef estime que le banquier n’a aucune obligation légale d’appeler un client au téléphone pour vérifier l’authenticité de l’émission d’un chèque tiré sur ses livres avant de payer ledit chèque. Au regard du règlement 15 de l’Uemoa sur les chèques, la seule obligation qui incombe au banquier est de vérifier la conformité visuelle de la signature et l’inexistence d’une éventuelle opposition concernant le chèque. Dans le cas d’espèce, l’examen des signatures qui étaient apposées sur les chèques concernés ne laissait planer aucun doute sur leur authenticité. Lesdits chèques n’ont de surcroît pas fait l’objet de la moindre opposition. En outre, les retraits concernés auraient été effectués sur une période suffisamment espacée pour permettre à tout client soucieux de son rapprochement bancaire de se rendre compte d’une anormalité. Pour Aguibou Boiré, leur camarade a été embastillé sur la base d’un échafaudage qui n’a d’égale que la boulimie extravagante de ses artisans et complices.
Que dit la loi en la matière ?
Au support de la loi, la jurisprudence est également assez claire et constante sur la question. Il ne peut être fait grief au banquier qui a procédé aux vérifications habituelles de n’avoir pas décelé la falsification sur le chèque par apposition d’une signature particulièrement bien imitée. Il peut par contre lui être reproché les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le chèque fut présenté à l’encaissement, lesquelles circonstances auraient dû raisonnablement attirer l’attention du professionnel qu’il est pour ne pas faire droit à la demande de paiement qui lui est sollicité. Par exemple, le client qui appelle son conseiller bancaire pour lui aviser avoir remis un chèque d’un montant bien précisé à M X et lui aurait demandé de lui en faciliter le paiement. Si curieusement c’est M. Y qui se présente avec ledit chèque endossé, le banquier devrait habilement chercher à recontacter son client pour confirmation avant de payer. (CA Rennes 3 février 1982, 1ère chambre n° 83 Pantecouteau C/BNP).
Visiblement, le Synabef n’a aucune intention de s’en laisser conter dans ce qu’il estime être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
La question qui mériterait d’être posée est de savoir si le syndicat, malgré la pertinence des arguments qu’il invoque, était dans son rôle dans une affaire judiciaire en cours d’instruction. A cette question, un membre répond que le Synabef est et restera légaliste, mais qu’il est prêt à tout pour se faire entendre afin que cesse à jamais le harcèlement inique de la justice contre les banquiers. Raison pour laquelle il déposera un préavis de grève de 72 h à partir de ce matin. Aussi, envisage-t-il d’enclencher une grève illimitée si l’agent bancaire en question ne bénéficiait pas d’un non-lieu.
Affaire à suivre…
Nouhoum DICKO